Éloge du « Remake »

Publié le Mis à jour le

(Texte publié le 4 janvier 2014 sur le site Plateau arts et culture)

 

L’univers de Marcel Pagnol m’enchante. Aussi, durant la période des Fêtes, j’ai vu Marius, puis Fanny, les deux très belles adaptations signées Daniel Auteuil des films du même nom réalisés au début des années 30*. En France, plusieurs critiques se sont demandés pour quelle raison Auteuil avait voulu s’attaquer à de si grandes œuvres. On l’a même accusé de s’être ridiculisé en reprenant le rôle de Raimu. D’autres ont qualifié la réalisation d’un peu statique, que les décors et le jeu des acteurs relevaient plus du théâtre que du cinéma. Pour ma part, tout comme la magnifique adaptation de La fille du puisatier (Daniel Auteuil, 2011), j’ai trouvé que le pari avait été réussi.

On peut se demander quelle est l’utilité des adaptations, des « remakes »? Trahissent-ils l’œuvre originale? Est-ce que les artistes qui les font sont paresseux et s’évitent les doutes de la création en reprenant à leur compte des œuvres qui ont déjà fait leurs preuves? Est-ce que ce sont des entreprises guidées par la nostalgie ou encore des considérations commerciales? À mon avis, la plupart du temps, il n’en est rien.

En réfléchissant à la manière dont je me suis familiarisée avec plusieurs grandes œuvres, j’ai constaté que souvent, nous arrivons aux classiques par le chemin des adaptations, des reprises. C’est évidemment le cas du théâtre, du ballet et de l’opéra où les classiques sont repris encore et encore pour leur permettre de traverser le temps et de demeurer les grandes références artistiques et culturelles qu’elles sont devenues.

C’est aussi parfois le cas pour la chanson et le cinéma quand les œuvres appartiennent à une autre époque ou qu’elles ont été oubliées. Le remake n’a pas pour vocation de remplacer l’œuvre originale mais plutôt de la faire revivre et d’amener un nouveau public à elle. En entrevue à La Presse en décembre dernier, Daniel Auteuil affirmait justement :

« J’avais envie de me replonger dans Pagnol. L’œuvre n’est plus étudiée à l’école en France. À l’étranger, les nouvelles générations en ont une connaissance plus approfondie qu’en France. Les deux films d’origine sont en noir et blanc et les bandes-son presque inécoutables. Ils n’ont pas été restaurés. J’avais envie, 80 ans après, de faire entendre ce texte comme si c’était la première fois qu’il était dit. »

Je pense à toutes ces chansons du patrimoine musical québécois que j’ai découvertes par des reprises bien faites et celles qui, je le devine, font œuvre de pédagogie auprès d’un public qui ne serait pas naturellement porté à les découvrir. C’est, il me semble, ce que Julie Snyder a notamment tenté de faire avec Star Académie. Rappelons-nous certaines chanson-thème de l’émission comme L’étoile d’Amérique de Claude Léveillée ou encore Et c’est pas fini de Stéphane Venne, sans compter toutes celles qui ont été chantées par les « académiciens ». Qu’on trouve intéressant ou non ce concours de chant populaire, il aura au moins eu la vertu de faire vivre et revivre nos chansons d’hier et d’aujourd’hui, ce qui est loin d’être négligeable.

Pensons aussi au formidable projet des Douze hommes rapaillés, deux disques mettant en musique et en chansons les poèmes de Gaston Miron. Quelle belle façon de donner une seconde vie à cette grande poésie.

Au cinéma, j’en reviens aux œuvres de Pagnol, tantôt reprises par Claude Berri, ensuite par Daniel Auteuil. Il ne s’agissait pas de copier ce qui avait été fait par Pagnol, mais plutôt de donner une seconde vie à ces pièces, ces films qui font partie du patrimoine culturel français. Au Québec, c’est ce que Charles Binamé a réalisé avec son film Séraphin, un homme et son péché, une adaptation des Belles histoires des pays d’en haut (1956-1970), téléroman tiré du roman Un homme et son péché et tous deux créés par Claude Henri Grignon. C’est aussi le cas pour l’adaptation cinématographique du roman de Gabrielle Roy, Bonheur d’occasion (1945),réalisée parClaude Fournier en 1983, et du roman Les Plouffe (Roger Lemelin, 1948) porté à l’écran par Gilles Carle en 1981.

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Les adaptations sont aussi les bienvenues dans la gastronomie. Même si la nôtre reste encore à développer, de nombreux plats de notre enfance méritent d’être actualisés pour être transmis aux générations suivantes. Par exemple, pensons au pouding chômeur ou à la poutine, qui avec le temps, ont connu de multiples déclinaisons. Un plat actualisé permet de survivre au temps et aux modes pour demeurer dans nos habitudes culinaires. Ici, saluons le travail du chef Martin Picard avec son restaurant et sa cabane à sucre Au pied de cochon où les plats traditionnels et les produits d’ici sont mis à l’honneur. Pensons aussi à Ian Perreault et son livre Cuisine revisitée  qui présente des recettes québécoises classiques remises au goût du jour.

À l’opposée, quand une adaptation ne respecte pas l’esprit de l’œuvre originale, les résultats peuvent être fort décevants. Cet automne, malheur m’en prie d’assister à une des représentations de l’adaptation du ballet de la Belle au bois dormant des Grands ballets canadiens par Mats Ek créé en 1996 pour le Ballet de Hambourg. Le scénario avait complètement été revu. De princesse médiévale, la jeune Aurore était devenue une adolescente rebelle et toxicomane cherchant à se délivrer d’un dangereux trafiquant de drogue. Sur la magnifique musique de Tchaïkovski, le metteur en scène a collé une chorégraphie propre à la danse contemporaine, saccadée, sans synchronisme entre les danseurs et la musique, et sans la grâce des mouvements qui caractérisent habituellement le ballet classique. Loin d’être une simple adaptation, cette proposition était plutôt une déconstruction en règle de l’œuvre originale puisqu’aucune de ses conventions n’étaient respectées. À mon avis, il aurait mieux valu créer un tout nouveau ballet plutôt que d’offrir une adaptation aussi infidèle.

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Bien sûr, certains trouveront que Daniel Auteuil ne fait pas le poids devant Raimu, que Roy Dupuis n’est pas très crédible dans le rôle d’Alexis Labranche ou que Marie-Élaine Thibert n’interpréte pas La quête de Jacques Brel avait la même fragilité, mais peu importe notre appréciation personnelle de ces reprises, force est de constater que ces œuvres vivent encore, et un peu grâce à ceux qui choisissent de les porter à nouveau.

La culture est l’âme d’un peuple, d’une civilisation. Pour assurer sa survie, elle doit se renouveler, mais aussi, elle doit se référer à ses repères.  Il ne s’agit pas bien sûr de se replier sur le folklore et de créer seulement à partir de ses références, de ses codes. Par contre, de temps à autres, il faut savoir saluer nos œuvres phares pour assurer leur passage d’une génération à l’autre.

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En chanson, voici une liste de mes reprises québécoises préférées

* entre parenthèse interprète de la version originale

1. (Martine Saint-Clair) Ce soir l’amour est dans tes yeux par Louis-Jean Cormier à l’occasion du 25e anniversaire du Gala de l’ADISQ

2. De la série télé Les Rescapés :

• (Félix Leclerc) « Mon fils »  par Catherine Major

• (Claude Léveillée) « Ne dis rien » par Louis-Jean Cormier

• (Anne Sylvestre) « Le jour où ça craquera » par Marie-Pierre Arthur

3. (Félix Leclerc) Le tour de l’île par Karkwa dans le cadre de l’album Hommage à Félix Leclerc, (Tacca Musique, 2008)

4. (Claude Dubois) Si Dieu existe par Céline Dion sur l’album Duos Dubois (Zone 3, 2007).

5. (Jacques Brel) La chanson des vieux amants par Claude Léveillé et Diane Dufresne lors du Festival d’été de Québec de 2003 à l’occasion du 25e anniversaire de décès de Jacques Brel

6. (Félix Leclerc) « Chant d’un patriote » par Daniel Boucher à l’occasion d’un spectacle hommage à Félix Leclerc (Le 08-08-88 à 8h08, GSI, 2000)

7. (Serge Fiori) 100 000 raisons par Mes Aïeux (Fiori un musicien parmi les autres, 2006)

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Myriam D’Arcy

Myriam D'Arcy Crédits André Chevrier
Myriam D’Arcy
Crédits André Chevrier

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