Mois : juin 2014
Alexandre Désilets : une étoile dans la nuit
Cette semaine, je profite des FrancoFolies pour présenter Alexandre Désilets, un auteur-compositeur-interprète étonnant à la voix unique. À quelques jours de sa prestation, j’ai eu la chance de m’entretenir avec lui au sujet de son dernier album et de sa carrière. Ce fût l’occasion d’une rencontre enrichissante puisque l’artiste offre une véritable réflexion sur son œuvre et son métier de créateur.

Fils de militaire, Désilets a roulé sa bosse un peu partout au Québec avant de s’installer à Montréal. Il a en effet grandi à Kingston, en Ontario, avant de s’établir en Outaouais. Par la suite, il a déménagé ses pénates dans la Vieille Capitale pour y poursuivre ses études postsecondaires. Après un détour par le Portugal, il a posé ses valises pour de bon dans la métropole québécoise.
C’est avec l’album de reprises enregistrées pour la 2e saison de la série Les Rescapés diffusée sur Radio-Canada que j’ai découvert Alexandre Désilets qui interprète magnifiquement La fin des étoiles du groupe français Niagara. À l’époque, j’avais été touchée par sa voix inclassable, d’une grande sensibilité, qui ne se compare à nulle autre, tant par sa richesse mais aussi, par les émotions qu’elle est capable de porter.
À son tour, son album La garde (2010) aux sonorités indies rock m’avait charmée et pour sa part, Fancy Ghetto (2014), à la pop joyeuse et plus franche que le précédent, m’a solidement accrochée. À tel point que je l’écoute souvent, très souvent, même, puisqu’il est l’un de mes plus fidèles compagnons de course en ce début de la belle saison. Pour n’en nommer que quelques unes, mes chansons préférées sont Perle rare, Bats-toi mon cœur, Au diable, et bien sûr, Renégat le premier extrait diffusé à la radio au cours du printemps dernier. Il s’agit d’un de ces trop rares albums qu’on écoute d’un bout à l’autre sans jamais se lasser. Chacune des pièces est réussie et passera sans aucun doute l’épreuve du temps.
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MDA : Comment en êtes-vous arrivé à faire de la musique?
Alexandre Désilets: « J’ai commencé très tôt à chanter, autour de 5-6 ans. Par contre, je ne pensais pas en faire carrière avant l’âge adulte puisqu’au cégep, j’ai complété une formation en sciences pures pour ensuite étudier en agronomie à l’Université Laval.
Par la suite, j’avais trop la piqûre et je me suis inscrit à Concordia dans un programme de musique. Je dois préciser que pendant plusieurs années, j’ai perfectionné ma technique de chant par moi-même. Je chante tout le temps et j’ai fait beaucoup d’analyse et de recherche par moi-même. Je suis un autodidacte. D’ailleurs, l’enregistrement de mon premier disque Funami- Vocophilia (2005), réalisé au Portugal a été une expérience très formatrice. Aucun instrument n’a été utilisé pour enregistrer les chansons. Ma voix fait tout le travail ! J’ai chanté les guitares, les basses. Ce projet que je mûrissais depuis la fin des années 1990 fut tout un défi à réaliser ! ».
MDA : Avec Fancy ghetto, on se sent dans un univers assez différent de La garde. Est-ce que vous avez volontairement choisi de faire un album plus « pop » et plus joyeux que le précédent?
Alexandre Désilets : « En fait, je planifie mon travail sur le long terme, et non un album à la fois. Je pourrais dire que ma signature mélodique est en constante évolution. La garde allait servir de transition me permettant d’aller dans la direction que j’ai choisie. Ainsi, chaque disque est un chapitre de ma vie, dans mon cheminement de création. Escalader l’ivresse (2008) était important pour montrer aux gens le type de mélodies que je peux réaliser puisque les chansons sont plutôt complexes. Je suis très fier des textes sur lesquels j’avais bossé très fort. Pour sa part, La garde est à mi-chemin entre les deux albums pour être capable d’atterrir en douceur avec la pop colorée de Fancy ghetto.
J’ai toujours aimé la pop et j’en écoute constamment. Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, faire de la bonne pop, qui soit efficace, ce n’est pas facile. Tout est une question de rythme, partant du même principe que la comédie à la télé ou au cinéma. Aussi, il faut être clair et concis. Si ça ne fonctionne pas, on ne peut pas mettre la faute sur le dos de la démarche artistique en se disant que les gens n’ont pas compris ».
MDA : Comment décririez-vous l’univers de Fancy ghetto?
Alexandre Désilets : « On dit de mon nouvel album qu’il est plus électro. Pourtant, nous n’avons pas créé de sons à partir d’ordinateurs. La facture des chansons est très moderne mais nous avons joué tous les instruments. La guitare électrique d’Olivier Langevin sonne comme un synthétiseur. De plus, certains solos de guitare sont en fait créés à partir ma voix que nous avons trafiquée par des effets de distorsion. Toute mon équipe de musiciens sont très fiers de cet album parce qu’ils y ont mis toutes leurs énergies.
À l’image du cinéaste ne veut jamais réaliser le même film, je me pose le même défi. C’est l’un des objectifs de ma démarche artistique. Les textes des chansons portent sur la nuit et le nightlife. Je dois souligner l’excellent travail de Mathieu Leclerc (qui a notamment collaboré avec Cœur de pirate, Jean Leloup, Bran Van et Pascale Picard) qui a coécrit l’ensemble des textes et a participé à l’élaboration des thèmes de l’album.
J’avais envie de faire des chansons qui allaient faire bouger les gens et me permettre de m’éclater sur scène. Je ne voulais pas d’un album intellectuel comme Escalader l’ivresse dont les atmosphères étaient très planantes. À mon avis, il en résulte un album plus groundé, soit des textes plus clairs et moins éthérés que les autres. Les chansons racontent le goût du risque et l’urgence de la nuit. Nous les avons enregistrées dans cette ambiance, en une seule prise. Tout se passe avant le last call, ou entre un coucher et lever de de soleil.
Finalement, je m’implique dans toutes les étapes de réalisation, de l’écriture des textes, à la réalisation de l’album et même, des vidéoclips. J’écris les synopsis et participe étroitement à la mise en scène. Je suis très choyé parce que les gens chez Indica Records me font totalement confiance ».
Quels sont les artistes qui vous inspirent le plus?
Alexandre Désilets : « J’écoute plusieurs genre de musique, peu importe les styles. J’essaye de trouver ce qu’il y a de bon un peu partout. Pour cet album, j’ai beaucoup puisé dans la pop pour comprendre ce qui fait qu’une chanson est bonne ou non. La plupart du temps, je me branche sur Songza pour effectuer de la recherche. Durant la préparation de Fancy ghetto, je cherchais des sonorités très rythmiques tels que le R & B, le soul et la musique africaine pour les adapter à mon rock alternatif. Par exemple, j’aime beaucoup Foster the people, Vampire Weekend, Portugal the man. Parmi les artistes moins récents, je me suis inspiré de Talking Heads et Peter Gabriel, véritables pionniers du rock alternatif qui ont su marier leur musique à des rythmes africains.
Sinon, je pense au dernier disque d’Arcade Fire, Reflektor, dont le résultat est proche du reggae. Avec François Lafontaine, qui a coréalisé mon dernier album, nous avons choisi une démarche similaire à celle du groupe montréalais.
Les artistes québécois dans l’IPod d’Alexandre
Alexandre Désilets : « Même s’il n’a plus besoin de présentation, j’apprécie beaucoup la démarche de Louis-Jean Cormier. J’aime beaucoup son état d’esprit, son attitude positive et sa façon de travailler.
Je trouve aussi Jimmy Hunt très inspirant. Avec Maladie d’amour, il a pris certains risques en sortant de sa zone de confort et en proposant des chansons moins planantes que sur son précédent disque. J’ai vu son spectacle qui est fort réussi.
Sinon, Klô Pelgag est franchement intéressante. Sa musique expérimentale est à la fois éclatée et pleine d’humour.
Finalement, Serge Fiori est un incontournable. Au secondaire, j’ai beaucoup écouté les chansons d’Harmonium et quand je les réécoute aujourd’hui, je suis plongé dans une grande mélancolie. Elles sont associées à une époque et aux souvenirs qui l’accompagnent. Durant les répétitions des Fioritudes, je me suis rendu compte à quel point l’influence de Fiori a été grande sur mon travail, tant dans les formes, les structures et les mélodies de mes chansons. Aussi, je n’ai réalisé que tout récemment à quel point le timbre de nos voix est semblable. Je suis donc très heureux de lui rendre hommage, de lui prêter ma voix pour faire la promotion de ses chansons ».
D’ailleurs, Alexandre Désilets a brillé durant le spectacle hommage à Fiori en montrant que sa voix peut porter avec panache les chansons de la légende. Jeudi soir prochain, ce sera à son tour de monter sur scène pour offrir aux Montréalais un spectacle qui risque d’être marquant. Il me tarde d’y être.
Spectacle de la Fête nationale à Québec: une grande cuvée!
Le 23 juin prochain, dès 21h, le grand spectacle annuel de la Fête nationale qui se déroulera sur les Plaines d’Abraham promet d’être mémorable. En effet, seront réunis sur une même scène: Robert Charlebois, Daniel Bélanger, Ariane Moffatt, Les Trois Accords, Patrick Watson, Yann Perreau, Martha Wainwright, Bernard Adamus, Marie-Pierre Arthur et les Dales Hawerchuk.!
Vous êtes attendus sur le site à 21h00. Le spectacle sera retransmis sur les ondes de Télé-Québec dès 21h30. C’est un rendez-vous!
Pour de plus amples informations: http://www.fetenationale.qc.ca/fr/programmation/zone-capitale/6
Hôtel Morphée : pop qualité!

Ces jours-ci, peut-être avez-vous entendu l’excellente chanson Dernier jour du groupe Hôtel Morphée. Pour une trop rare fois, les radios commerciales ont accepté de faire tourner une chanson d’un groupe émergent, initiative que nous saluons. Elles ont eu raison puisque la pièce s’est rapidement hissée dans les palmarès. Encore méconnu du public québécois, Hôtel Morphée a fait paraître Des histoires de fantômes, son tout premier album il y a à peine quelques mois. Prolifiques, les membres du groupe viennent de boucler l’enregistrement de Rêve américain, leur deuxième opus qui verra le jour au début du mois de septembre prochain. Dernier jour en est le premier extrait.
La bande est composée de Laurence Nerbonne (voix, violon et guitare), Stéphane Lemieux (batterie et percussions), André Pelletier (guitare et banjo) et Blaise Borboën-Léonard (violon, claviers et percussions). L’arrivée de ce groupe aux accents indies rock et pop dans notre paysage musical est une bonne nouvelle. Formé il y a quatre ans, les membres d’Hôtel Morphée possèdent tous une formation classique et jouent plusieurs instruments, leur permettant ainsi d’exploiter plusieurs registres avec aisance. Les musiciens prônent un certain retour à la simplicité dans les arrangements et laissent leurs instruments faire le boulot que l’ordinateur a souvent remplacé au fil des dernières années. Tout en étant accrocheuses, les chansons sont riches et recherchées. Éraillée sans être fragile, la voix de Laurence s’harmonise parfaitement aux mélodies du premier album et permet d’installer les atmosphères, tandis qu’elle est beaucoup plus franche dans Dernier jour où à la toute fin de la pièce, elle répond au violon pour l’entraîner dans un joyeux rythme. La chanson est un appel, une ode au recommencement, à la deuxième chance.
« Un autre jour / Pour que tout commence / Dis-moi que tout commence
Si c’était la fin du monde / Si on passait à autre chose / Si le miroir se cassait
Tous ensemble
Dis-moi que tout s’arrange / Dis-moi qu’on existe encore / Dis-moi qu’il reste la journée pour partir ensemble »
Il y a quelques jours, nous nous sommes entretenus avec Laurence et Stéphane pour discuter de Rêve américain à paraître le 9 septembre prochain. Francs et sans détours, ils sont engagés dans une démarche artistique qui leur tient à cœur et dont ils sont très fiers. Compte-rendu d’une rencontre rafraîchissante.
MDA : Pourquoi avoir choisi de vous nommer « Hôtel Morphée »?

Laurence : « En tournée, les spectacles nous amènent à visiter plusieurs hôtels et ces lieux deviennent marquants. Ensuite, « morphée » fait référence à la nuit, aux rêves. C’est une manière de dire que la musique nous permet de réaliser nos rêves».
MDA : Quels sont vos thèmes de prédilection, ceux qui inspirent vos chansons?
Laurence, qui signe tous les textes nous répond : « J’écris autour d’émotions que nous vivons tous et qui nous touchent. La passion, les rêves et les ambitions. Ce sont des thèmes universels qui nous touchent. Par contre, sur le prochain album, nous livrons des réflexions sur l’Amérique, les États-Unis et des questions de sociétés comme le port d’armes ». Stéphane, qui est diplômé en philosophie, renchérit : « Même si par nos textes nous souhaitons faire réfléchir sur notre société, notre point de vue est plus existentiel qu’engagé ».
MDA : Entre le simple qui vient de sortir et votre premier album, je remarque une grande différence dans le style et le ton. Dernier jour est beaucoup plus rythmée que vos précédentes chansons. Est-ce que le nouvel album sera à son image?
Stéphane : « Nous aimons tous la pop accrocheuse et le rock. Autant la musique classique que la pop américaine nous influencent. Pour nourrir et bâtir notre signature musicale, nous pigeons un peu partout, sans restriction. Pour le prochain album, nous avons décidé d’offrir des chansons plus lumineuses et joyeuses sur le plan de la musique. Nous avons enregistré les mélodies et les voix en même temps, en gardant le plus simples possibles les arrangements. Nous sommes très fiers du résultat ».
MDA : Pourquoi avoir décidé d’enregistrer un deuxième album aussi rapidement après le premier?
Stéphane : « Parce que nous travaillons fort! Dès la fin de l’enregistrement du premier, nous avions déjà hâte de retourner en studio. Nous avons donc décidé de ne pas freiner notre élan et d’enregistrer les chansons au rythme de notre inspiration ».
MDA : L’industrie musicale semble en profonde mutation. Comme vous, de nombreux artistes n’attendent plus la parution de leur album pour rendre disponible leurs chansons. Récemment, certains artistes ont déclaré ne plus vouloir produire d’album puisque ce médium ne répondrait plus aux attentes des consommateurs. Que pensez-vous de la crise qui secoue présentement le marché du disque?
Stéphane : « Ça fait vingt ans qu’on nous annonce encore et encore la fin de l’album. Pourtant, il n’en est rien. Les véritables mélomanes vont continuer à souhaiter avoir en main un objet sur lequel sont rassemblées les chansons qui participent au même projet».
Laurence : « Tout le monde essaie de trouver la meilleure manière de vendre la musique et tentent de répondre aux changements que l’on observe. Puisque les gens sont de plus en plus nombreux à télécharger les chansons à la pièce ou consomment la musique en écoute libre sur Internet, certains arrivent à la conclusion que l’album n’est peut-être plus le bon véhicule pour faire rayonner la musique. À mon avis, l’industrie est en pleine mutation mais il faut arrêter de s’affoler. Nous n’assistons pas à la mort de l’industrie musicale telle que nous l’avons connue. Je pense que trop de mauvaise musique est produite, ce qui explique en partie la baisse des ventes d’albums. On doit investir temps et énergies pour produire un album de qualité. On doit aussi maîtriser ses instruments. Les consommateurs ne sont pas dupes et savent reconnaître les œuvres de qualité. Les musiciens dont la démarche artistique est sincère vont réussir à passer au travers ces changements et à durer dans le temps ».
Finalement, nous avons demandé à Laurence et Stéphane quels sont les artistes québécois qui les inspirent. Laurence apprécie particulièrement la poésie de Robert Charlebois dont elle avoue avoir récemment redécouvert l’œuvre. Elle a aussi été charmée par l’excellent PUNKT de Pierre Lapointe ainsi que MA d’Ariane Moffatt.
À notre grand étonnement et plaisir, Stéphane nous vante les mélodies et progressions d’accords du regretté compositeur Pierre F. Brault, à qui l’on doit notamment la musique de Passe-Partout (!), ainsi que Richard Desjardins.
Ceux qui souhaitent voir et entendre Hôtel Morphée ne seront pas déçus puisqu’ils offriront un spectacle gratuit le 15 juin à 20h dans le cadre des Francofolies.
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Myriam D’Arcy

Crédit André Chevrier