Mois : septembre 2014

Une bouffée d’air frais nommée Xavier Dolan

Publié le Mis à jour le

Mommy-de-Xavier-Dolan-afficheAprès plusieurs mois d’attente nourrie par les nombreux prix et critiques élogieuses qui arrivent de par le monde, Mommy, le dernier opus de Xavier Dolan est enfin diffusé sur nos écrans. Le public est au rendez-vous comme en témoignent les salles aussi bondées qu’à une première de spectacle d’humour des jours derniers. Malgré ce qu’en pensent Vincent Guzzo[1] et certains animateurs de radios populistes qui se plaisent à qualifier notre cinéma de sombre ou « lamentard », les Québécois ne boudent pas leurs productions quand des efforts comparables sont déployés pour la promotion des films d’ici que pour les blockbusters américains. En effet, un article publié aujourd’hui sur le site de Radio-Canada confirme le départ canon pour le film de Dolan qui a engrangé des recettes frôlant le demi-million de dollars au cours des derniers jours, ce qui en fait le plus grand succès populaire depuis Lance et Compte, sorti sur nos écrans en 2010. Pour citer Diane Després, le personnage incarné par Anne Dorval dans Mommy : « les sceptiques seront confondus ».

La barre était donc placée très haute et je ne suis pas déçue, bien au contraire. À mon avis, il s’agit du meilleur film offert par Dolan. Le plus achevé et réussi à tous points de vue. Mommy aborde un thème cher au réalisateur, la relation mère-fils dans toute sa complexité, ses zones d’ombres et sa grande richesse.

Nous sommes conviés à un très grand rendez-vous d’acteurs qui sont au sommet de leur art. Malgré ses dix-sept ans, le jeu d’Antoine Olivier Pilon est bouleversant de vérité. Sans jamais caricaturer, il incarne avec justesse un adolescent explosif, violent et charmeur aux prises avec un sévère trouble de déficit de l’hyperactivité et de l’attention (TDHA). De son côté, Anne Dorval est rien de moins que magistrale en mère courage qui tente avec le plus de générosité, d’amour et de lucidité possibles de sauver son fils de lui-même.

Les plans de caméra sont filmés de très proche, sans recul, qui obligent les acteurs à offrir une performance soutenue et sans filet. Quant à nous, nous avons l’impression d’être témoins impuissants et indiscrets de l’action qui se vit sous nos yeux. L’ambiance chargée d’émotion est poignante et ne baisse pas d’intensité pendant toute la durée du film. En particulier, je pense à quelques scènes, la première crise de Steve revenu à la maison, l’assaut sur Kayla qui lui fait la classe à la maison et une scène déchirante à la fin du film où Diane imagine ce qu’aurait pu être leur destin sans la maladie.

Il s’agit d’une œuvre universelle mais dont l’action et le propos sont résolument ancrés dans le Québec. Ne serait-ce que par le langage coloré des personnages, les références culturelles bien de chez nous (Marjo et Céline, « notre trésor national »), mais aussi le lieu choisi, un Longueuil bien réel, et non une banlieue fictive qui aurait pu être partout et nulle part en même temps.

Xavier Dolan  Source: canoe.ca
Xavier Dolan
Source: canoe.ca

Dolan, dont tous les films voyagent partout sur la planète, prouve que le Québec est assez beau pour être montré à la face du monde, sans fard ni artifices et malgré ses imperfections. Le regard qu’il pose sur sa société est tendre et dénué de jugements, tout autant que celui qu’il porte sur ses personnages issus des classes populaires. Ils sont ce qu’ils sont, avec leurs qualités et leurs défauts et tentent de faire de leur mieux.

Un artiste engagé dans sa communauté

Depuis son entrée en scène fracassante en 2009 avec J’ai tué ma mère, son premier film réalisé à dix-neuf ans, l’acteur-réalisateur-scénariste surdoué est souvent critiqué pour ses déclarations, ses coups de gueule et sa confiance en lui-même qui est souvent associée à l’arrogance.

Pourtant, nous devrions être reconnaissants envers Xavier Dolan et pas seulement pour cette œuvre qu’il construit à vive allure et qui fait briller le Québec. Nous devrions lui être reconnaissants de prendre part au débat public, de s’investir dans les grandes questions qui traversent notre société. Loin d’être individualiste, il veut son succès

Anne Dorval, Xavier Dolan, Suzanne Clément et Antoine-Olivier Pilon. Festival de Cannes, 22 mai 2014
Anne Dorval, Xavier Dolan, Suzanne Clément et Antoine-Olivier Pilon. Festival de Cannes, 22 mai 2014

collectif. Son appel à la jeunesse à Cannes en était une belle démonstration, tout comme les honneurs qu’il partage spontanément avec ses acteurs à qui il voue une grande fidélité. À l’ère où le chacun pour soi est roi, et où l’enracinement est un concept démodé, ça fait du bien de constater que la réussite ne rime pas nécessairement avec un certain affranchissement du Québec devenu trop petit pour être le lieu d’épanouissement de ses ambitions.

Au fil du temps, Dolan a embrassé quelques causes qui ont défrayées les manchettes. Il a été un ardent promoteur du nécessaire engagement de l’État pour la culture et s’est exprimé à ce sujet sur plusieurs tribunes, notamment au printemps dernier lors d’une tournée médiatique qui a suivi la réception du Prix du jury à Cannes au printemps dernier et en réponse à quelques-uns de ses détracteurs au cours des dernières

Distribution de Laurence Anyways, Festival de Cannes 2012
Distribution de Laurence Anyways, Festival de Cannes 2012

années. Il n’a pas hésité à défendre la gratuité scolaire au moment de la crise étudiante, position qu’il a portée jusque sur les tapis rouge de Cannes, intéressant du même coup les médias du monde entier à ce débat qui soulevait les passions chez nous. Il n’a jamais caché son adhésion en faveur de l’indépendance du Québec et signera d’ailleurs un texte dans un ouvrage collectif portant sur la question dirigé par Léa Clermont Dion à paraître cet automne. Finalement, dans son édition du 3 septembre dernier, la revue française Télérama rapportait des propos de Dolan suite à son refus à recevoir la Queer Palm, prix remis en marge du Festival de Cannes et qui « récompense un film pour ses qualités artistiques et son traitement des questions gay, lesbienne, bi ou trans ainsi que sur son traitement décalé des questions de genre ». Ses propos pleins de sagesse montrent qu’il conçoit la société comme un tout et non la somme d’individus ou groupes d’intérêts particuliers.

« Que de tels prix existent me dégoûte. Quel progrès y a-t-il à décerner des récompenses aussi ghetoïsantes, aussi ostracisantes, qui clament que les films tournés par des gays sont des films gays ? On divise avec ces catégories. On fragmente le monde en petites communautés étanches. La Queer Palm, je ne suis pas allé la chercher. Ils veulent toujours me la remettre. Jamais ! L’homosexualité, il peut y en avoir dans mes films comme il peut ne pas y en avoir[2]. »

Que l’on soit en accord ou non avec ses prises de position, il n’en demeure pas moins que Xavier Dolan est un artiste engagé dans la société québécoise, qui l’aime et s’en soucie assez pour créer sur et à partir d’elle tout en s’impliquant à défendre les causes qui lui sont chères, sans jamais se censurer. N’est-ce pas là l’une des fonctions essentielles de l’artiste, soit de bousculer les conventions, de tirer et pousser sa société, de l’éclairer, de la révéler à elle-même? Xavier Dolan est une véritable bouffée d’air frais dans cet univers médiatique où la langue de bois est reine et j’espère qu’il continuera longtemps de nous éclairer par ses formidables films et ses réflexions d’un jeune homme libre.

[1] Propos publiés dans l’édition du 13 novembre 2012 du Journal de Montréal et sur le plateau de l’émission Tout le monde en parle.

[2] http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/09/20/xavier-dolan-degoute-par-les-prix-recompensant-les-films-gays_4490979_3246.html

Myriam D’Arcy

Myriam D'Arcy Crédit André Chevrier
Myriam D’Arcy
Crédit André Chevrier

30 bougies pour Audiogram et tout autant de raisons de célébrer!

Publié le Mis à jour le

Le 4 septembre dernier, la maison de disques indépendante Audiogram fêtait son 30e anniversaire d’existence. J’ai assisté à la soirée hommage organisée pour l’occasion à la Société des Arts technologiques (SAT) en compagnie de quelques centaines de personnes qui avaient joyeusement répondu à l’appel. De ce nombre, des artistes de toutes les générations ayant tous, à un moment ou un autre, marqué leur époque, étaient venus célébrer les succès d’une entreprise fondamentale dans le développement de la chanson québécoise. Dans une ambiance de fête et de nightclub, l’équipe d’Audiogram, ainsi que son fondateur Michel Bélanger, respiraient la fierté, et pour cause. Fierté d’avoir traversé le temps sans prendre une seule ride dans une industrie en constants changements, fierté d’avoir bâti une maison où se produisent des artistes talentueux et avant-gardistes tant hier qu’aujourd’hui.

Daniel Bélanger, Les insomniaques s'amusent, Audiogram, 1992
Daniel Bélanger, Les insomniaques s’amusent, Audiogram, 1992

Le chemin parcouru par Audiogram et ses poulains montre que malgré les crises et les tempêtes qui ont secoué l’industrie, un intérêt qui ne s’essouffle jamais pour la culture anglo-américaine, les artistes québécois sont créatifs, pas du tout conformistes, que la chanson québécoise se déploie dans plusieurs styles, invente et se réinvente, crée les tendances sans jamais se contenter de sagement les suivre. Depuis 30 ans, des succès d’estime et publics qui ont fait mentir tous les prophètes de malheur annonçant la mort du disque ou pire, celle de la culture québécoise. Je pense à ces chansons qui ont marqué leur époque, et parfois nos vies, indissociables de souvenirs bien ancrées

Album "L'amour est sans pitié", Audiogram, 1990
Jean Leloup, L’amour est sans pitié, Audiogram, 1990

dans nos mémoires comme 1990 (Jean Leloup, 1990), Libérez-nous des libéraux (Loco Locass, 2004), La folie en quatre, (Daniel Bélanger, 1992), La jasette (Kevin Parent, 1995), Le Columbarium (Pierre Lapointe), Je voudrais voir la mer (1987, Michel Rivard), Point de mire (Ariane Moffatt), Je t’oublierai, je t’oublierai (Isabelle Boulay), Drinking in L.A. (Bran Van 3000, 1997), Job steady (Zébulon, 1994), Y’a pas grand-chose dans l’ciel à soir (Paul Piché, 1986), On leur a fait croire (Alex Nevsky, 2013) et tant d’autres… Je pense aussi aux plus jeunes recrues de la maison dont les propositions sont étonnantes et marqueront à leur tour, comme David Giguère et son formidable album Casablanca que j’ai usé à la corde ces derniers mois ou encore Jason Bajada et le (très réussi!) résultat de mes bêtises.

754x335_normalCe mardi, Audiogram lancera Trente, un triple album où 30 artistes ont accepté d’interpréter une chanson de leur choix pour illustrer les trois dernières décennies.  Sans artifices, sans arrangements, sans droit de reprise, les artistes ont généreusement accepté de se mettre à nu en enregistrant une chanson de leur choix dans la plus grande simplicité. Une sorte de Journée sans maquillage version instrumentale qui révèle le talent brut de ces artisans comme en témoignent ces extraits choisis : http://audiogram.com/trente/

Cette soirée anniversaire a renforcé une conviction qui m’habite depuis longtemps : malgré les reculs, les défaites historiques et le cynisme qui nous fait sans cesse de l’œil, malgré aussi la tentation de l’anglais qui ne s’affaiblit jamais, la culture québécoise, elle, ne stagne jamais. La force créatrice de nos artisans donne de l’espoir quand on se sent pris dans un cul-de-sac et rappelle qu’on peut malgré tout continuer de faire son chemin.

Myriam D’Arcy

Myriam D'Arcy Crédit André Chevrier
Myriam D’Arcy
Crédit André Chevrier

Albums à surveiller cet automne

Publié le Mis à jour le

Je profite de la rentrée culturelle et de l’automne qui s’amène doucement à nous pour attirer votre attention sur quelques albums québécois à paraître au cours des prochaines semaines. Parions que plusieurs tournerons en boucle dans vos oreilles d’ici peu!

Hôtel Morphée – 9 septembre

Crédit: Kelly Jacob
Crédit: Kelly Jacob

Le prolifique groupe Hôtel Morphée, dont le premier album, Des histoires de fantômes, est paru en décembre dernier, remet ça dès la semaine prochaine avec Rêve américain, aux accents beaucoup plus pop comme nous l’on expliqué les membres du groupe lors d’un entretien publié sur notre blogue plus tôt ce printemps. Les membres du groupe souhaitent livrer une réflexion sur l’Amérique, les États-Unis, ainsi que des enjeux de société comme le port d’armes. Dernier jour, le premier extrait, a connu une belle diffusion dans les radios commerciales.

Le groupe offrira trois spectacles de lancement gratuits à travers le Québec, soit :

Pour quelques jours, le disque est disponible en écoute libre sur le site d’Ici Musique.

***

Betty Bonifassi – 23 septembre

Betty Bonifassi
Betty Bonifassi – en magasin le 23 septembre

La puissante, chaude et profonde voix de Betty Bonifassi, que nous avons découverte grâce à la chanson thème du film Les triplettes de Belleville et à DJ Champion et ses G-Strings avec l’excellent tube planétaire No Heaven nous a beaucoup manqué ces dernières années.

Après l’aventure de Beast, son duo rock-folk-électronique qui nous avait donné d’excellents titres comme le très efficace Mr. Hurricane, Devil et Out of Control, ainsi que sa participation toute en douceur au disque Les Rescapés 2 avec la magnifique reprise Le bon dieu, Betty Bonifassi offre un premier album éponyme rempli de promesses. En attendant la sortie de l’album prévue le 23 septembre, le premier extrait Whoa Buck est disponible sur ITunes et Sound Cloud.

Un spectacle-lancement gratuit est offert le 22 septembre prochain au Cabaret du Mile End.

***

Salomé Leclerc – 23 septembre

Salomé Leclerc Crédit photo: Facebook
Salomé Leclerc
Crédit photo: Facebook

Également le 23 septembre paraîtra le très attendu 27 fois l’aurore, second opus de Salomé Leclerc. En avril dernier, au moment de la parution des deux premiers titres de l’album, Arlon et Vers le sud, j’ai consacré le premier texte de ce blogue à la belle Salomé.

Un spectacle de lancement gratuit sera présenté à Montréal le 25 septembre à 17h au Nomad Nation situé au 129, avenue Van Horne. La liste des spectacles à venir au Québec et en Europe  se trouve ici.

 

***

Daniel Boucher – 11 novembre

embarques tuAprès une attente longue, bien trop longue, le prochain album de Daniel Boucher paraîtra enfin le 11 novembre prochain. L’irrésistible premier extrait Embarques-tu? qui nous donne envie de partir en balade, fenêtres baissées et volume à fond, tourne à la radio depuis quelques semaines. Nul doute que cet album ravira tant les inconditionnels de Boucher – dont je suis – que ceux qui le découvriront.

***

Dumas – date à confirmer

Après avoir lancé la chanson Vaudou  cet été sur les réseaux sociaux, Dumas lancera cet automne son prochain disque. Au fil des années, Dumas a montré qu’il savait se réinventer à chaque fois et qu’on le trouvait là où on ne l’attendait pas. L’heure et l’endroit, son dernier opus paru en 2012, était beaucoup plus rock et rythmé que ce à quoi il nous avait habitués avec ses excellents disques aux atmosphères planantes comme Traces, Nord et Rouge, trois albums participants au même projet. Pour savoir à quel moment Dumas sera de passage chez vous, consultez la liste de ses spectacles en ligne ici:

À tous, bonne rentrée culturelle!

Myriam D’Arcy

Myriam D'Arcy Crédit André Chevrier
Myriam D’Arcy
Crédit André Chevrier