Suzanne Clément

Guibord s’en va-t-en-guerre : une satire optimiste

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Source: Les Films Séville
Source: Les Films Séville

Sorti sur nos écrans au beau milieu d’une campagne électorale qui s’étire en longueur, où l’élection d’un gouvernement minoritaire se dessine, Guibord-s-en-va-t-en-guerre, de Philippe Falardeau ne pouvait tomber à un meilleur moment. Ce film est une comédie politique mordante, parfois grinçante, mais qui ne se vautre pas dans le cynisme. C’est tout à l’honneur du cinéaste qui invite les spectateurs à réfléchir sur notre démocratie et ses limites. Surtout, il montre que tous les parties en présence, ici les citoyens, les groupes de la société civile, les médias et les politiciens ont un rôle à jouer pour assurer la santé de ce système. C’est dans ce contexte électoral où la fiction rejoint la réalité que j’ai rencontré Philippe Falardeau pour discuter de son dernier film, des thèmes qui traversent son œuvre, mais aussi de cette drôle de campagne qui bat son plein.

Ex-hockeyeur professionnel, Steve Guibord (Patrick Huard) a connu une carrière éclair dans la ligue nationale. Ancien député libéral, il est désormais joueur autonome et évolue sur l’immense patinoire du comté de Prescott-Makadewà-Rapides-aux-Outardes, situé dans le nord du Québec. À la faveur du hasard, le député indépendant détient la balance du pouvoir sur un vote qui plongera le Canada – ou non – dans une guerre au Moyen-Orient. Souverain Pascal (formidable Irdens Exantus), son jeune stagiaire haïtien, lui propose de consulter les citoyens de la circonscription par le biais d’assemblées publiques. Aidé par son épouse (Suzanne Clément) et leur fille (Clémence Dufresne-Deslières), le député sillonne sa région pour profiter de cette « fenêtre de démocratie directe ». L’exercice dérape rapidement puisque des groupes d’intérêts profitent de cette tribune qui leur est offerte pour se faire entendre, sans égard pour le débat auquel ils ont été conviés.

Le public appréciera tout autant que moi ce nouveau long métrage de Falardeau, dont l’intelligence, la sensibilité et l’humour nous conquièrent à chaque fois. Quant aux acteurs, ils offrent tous une solide performance : Patrick Huard est au sommet de sa forme et de son art, à la fois drôle et touchant, Suzanne Clément est égale à elle-même, c’est-à-dire pétillante. Pour sa part, Clémence Dufresne-Deslières est convaincante en jeune femme pacifiste et un brin idéaliste. La grande découverte de ce film est sans l’ombre d’un doute Irdens Exantus, qui se voit ici qui joue premier rôle au cinéma. Il crève littéralement l’écran et porte le film sur ses épaules. Retenez son nom car ce comédien autodidacte est promis à un brillant avenir.

Les qualités esthétiques de Guibord sont nombreuses, notamment la direction photo qui offre de magnifiques images aux couleurs d’automne de la forêt québécoise. Finalement, la musique originale signée Martin Léon rythme joyeusement le film et reste en mémoire pendant quelques jours.

Dans le regard de l’Autre

Même si Falardeau nous a bien avertis que son dernier-né ne joue pas sur la même gamme d’émotions que l’exceptionnel Monsieur Lazhar, faut-il le rappeler, en lice pour le meilleur film en langue étrangère à la cérémonie des Oscars de 2012, il reprend certains thèmes développés dans plusieurs de ses longs métrages, notamment sur l’immigration. Ici, deux conceptions bien distinctes de l’appartenance et de l’identité s’opposent: celle du « citoyen du monde vivant dans un village global », contre celle du citoyen d’abord attaché à sa région, son territoire et son coin de pays. Philippe Falardeau prend clairement position pour la seconde, comme en témoigne une scène où des militants pacifistes anglophones débarquent à Rapide-aux-Outardes à la manière du love-in au référendum de 1995, à bord d’un autobus nolisé en provenance de Winnipeg pour dicter au député quelle position il devrait adopter. Avec raison, Guibord leur répond que si l’enjeu de la guerre est national, le débat, lui, est bel et bien local.

Falardeau nous fait redécouvrir la société québécoise à travers les yeux de Souverain Pascal et de sa communauté. C’est ici le Sud qui observe le Nord, exactement comme Bashir Lazhar découvrait le Québec, et les réfugiés soudanais, la société américaine dans The Good Lie. Chaque fois, le cinéaste pose un regard critique, mais tendre, sur sa société en mettant en évidence les raisons pour lesquels ces nouveaux arrivants nous ont choisis. Je lui ai demandé si consciemment, film après film, il choisit de nous montrer le regard que pose l’étranger sur nous: « Oui, mais en même temps ce n’est pas conscient au point où je m’assoie et je me demande quel est mon prochain projet et qui sera mon personnage ethnique. J’aborde un sujet et dans l’univers que je construis, les immigrants ou les fils d’immigrants sont là. Ils sont là parce que je les connais, parce qu’ils vivent dans la même ville que moi. Aussi, durant la vingtaine, j’ai beaucoup voyagé, notamment pour la Course destination monde[1] en pendant ces années-là, j’étais l’immigrant, le Blanc en Afrique et que tout le monde regarde, qui essaie de comprendre la culture et de se débrouiller pour parler aux gens. À mon retour, quand je croisais quelqu’un dans la rue qui n’avait pas la même couleur de peau que moi, je savais exactement ce qu’il vivait. Cette empathie-là fait en sorte que je me demande ce qu’ils pensent de nous. Ce point de vue oblique me permet de revisiter la société dans laquelle on vit ».

Un cynisme teinté d’optimisme

Philippe Falardeau Crédit: L. Guérin Source: Les Films Séville
Philippe Falardeau
Crédit: L. Guérin
Source: Les Films Séville

Guibord est un député indépendant qui s’est engagé dans le service public pour les bonnes raisons. Il voit son rôle comme étant celui d’un médiateur qui doit faire régner la bonne entente entre les membres de sa communauté. Son immense comté qu’il doit sans cesse sillonner pour rencontrer son monde ne lui laisse que très peu de temps pour les intrigues parlementaires de la capitale fédérale. Placé devant une situation exceptionnelle, et encouragé par Souverain Pascal, il fait honneur à sa fonction en assumant son rôle de gardien de la démocratie. Au sujet de Steve Guibord, Falardeau raconte: « Un ensemble de gens ont inspiré ce personnage. D’abord, par le documentaire Chers électeurs de Manuel Foglia qui a suivi Daniel Turp et Charlotte L’Écuyer, deux députés ordinaires. Steve Guibord n’est ni l’un, ni l’autre, mais cette idée qu’un élu n’a pas beaucoup de pouvoir et qu’il est souvent tiraillé entre les intérêts concurrents de ses électeurs m’intéressait. Aussi, dans le film, Guibord joue au hockey avec les autochtones. Cette idée m’est venue en pensant à Joé Juneau, qui n’a pas fait de politique mais qui est allé vivre dans le Grand Nord pour y développer une ligue de hockey et un programme sport-études destiné aux jeunes autochtones. Je n’avais donc pas envie de montrer un politicien corrompu, mais plutôt quelqu’un qui fait sa job même s’il n’a pas beaucoup de pouvoir. Tout d’un coup, il se retrouve dans une situation extraordinaire, mais n’a pas l’expérience pour la gérer ».

Même si le film est teinté de cynisme, surtout envers le premier ministre dont les manœuvres douteuses pour convaincre Guibord de voter en faveur de la guerre feraient rougir d’envie Frank Underwood, et les groupes de pression qui détournent sans scrupules l’objet du débat, il n’en demeure pas moins que le député a donné aux gens la possibilité de s’exprimer et qu’ils ont répondu présent. Il fait la démonstration qu’on peut intéresser la population à des enjeux qui dépassent les préoccupations personnelles de chacun quand le jeu en vaut la chandelle. Est-ce à dire que cet exercice de consultation prouve que la démocratie fonctionne? Le cinéaste y va d’une réponse nuancée : « Le film montre plutôt que ça se peut, même si ça ne fonctionne pas super bien car ça ne prend pas grand-chose pour qu’une foule vire de bord. Par exemple, je comprends que si un environnementaliste du Plateau débarque en Abitibi, où pendant des décennies, les gens ont vécu grâce à l’industrie forestière, il est mieux d’arriver avec un meilleur message que simplement « Sauvons la Terre ». Ça ne sert à rien de sauver la Terre si tu ne peux pas sauver ta famille. Je reconnais aux gens le droit de s’intéresser à leur situation première. On peut se demander si la démocratie est un jeu à somme nulle, car si tout le monde tire la couverture de son bord, rien ne bouge ». Il ajoute : « Je voulais donc me montrer critique, mais en même temps, dire aux gens que même s’il n’est pas parfait c’est un bon système. On a tendance à l’oublier, mais Souverain, lui le sait car il vient d’un pays où la démocratie est plus difficile ».

Quand la fiction dépasse la réalité

Source: Les Films Séville
Patrick Huard et Irdens Exantus. Source: Les Films Sévill

Guibord s’en va-t-en-guerre s’ouvre sur une mise en garde de Philippe Falardeau, qui affirme que « ce film est inspiré de faits véridiques qui ne se sont pas encore produits, mais qui ne sauraient tarder ». Sans le savoir, cette affirmation s’est avérée d’une incroyable justesse : « C’est une façon de dire aux gens qui seraient sceptiques devant l’histoire qui leur est racontée que la réalité finit toujours par dépasser la fiction. J’en étais convaincu et c’est un peu pour cette raison que j’ai pris la parole. D’ailleurs, quand j’ai eu terminé de tourner le film et que nous étions en montage, Harper a décidé d’appeler un vote à la Chambre des communes sur l’envoi des troupes canadiennes en zone de guerre. Au moment d’écrire mon scénario il y a trois ans, je me suis prophétisé!».

Quand on lui demande ce qu’il pense de la campagne électorale qui se déroule actuellement, Philippe Falardeau ne se fait pas prier pour répondre : « Je ne suis pas souvent au pays alors c’est difficile de la suivre. Elle est trop longue – une véritable course de fond et ça finit par diluer les enjeux. Le gouvernement conservateur a fait adopter une loi sur les élections à date fixe, qu’il s’est empressé de pervertir en étirant cette campagne. C’est un peu malhonnête. Je souhaite qu’on se débarrasse de ce gouvernement qui a réussi à détruire une réputation assez solide à l’international pour le Canada construite au cours des 50 dernières années. Je ne fais pas seulement référence aux Casques bleus, mais aussi à l’environnement. Cette destruction s’observe sur tous les fronts ».

Il poursuit sa charge contre le bilan du gouvernement conservateur : « Les artistes sont souvent montés au front pour dénoncer les coupures en culture. Ils sont entendus car ils jouissent d’une visibilité grâce à leur notoriété. Par contre, pensons aux scientifiques. Rares sont les vedettes dans ce domaine qui peuvent se faire entendre sur la place publique. Pensons aussi aux coupures à Statistiques Canada qui était l’organisme dans ce créneau le plus sophistiqué du monde, dont les travaux étaient forts utiles pour aider les décideurs publics orienter leurs politiques. On pourrait faire une assez longue liste de choses que les conservateurs ont démantelées au nom d’une idéologie qui dit que l’État n’a pas affaire dans rien ».On peut donc dire que Guibord s’en va-t-en guerre est riche d’enseignements. Cette satire optimiste où le cynisme, pourtant présent, n’épuise pas l’espoir devrait nous inspirer face au rapport que nous entretenons envers la démocratie. Nous avons souvent l’impression que rien ne sert de prendre la parole, de nous mobiliser pour défendre une cause qui nous tient à cœur. Pourtant, l’histoire récente nous a montré que la chose est possible. Pensons à la crise étudiante et l’épisode des fameuses casseroles.

Au cours des prochaines semaines, les électeurs québécois et canadiens seront appelés aux urnes pour sceller le sort de cette élection. Peu importe leur choix, j’espère qu’ils seront nombreux à se prononcer car la démocratie est une valeur précieuse que l’on doive chérir et entretenir.

Pour ma part, mon choix est fait : je voterai du bon Guibord!

***

Horaire de projections

[1] La Course destination monde était une émission présentée à Radio-Canada où des participants parcouraient seuls différentes régions du monde tout en réalisant des courts-métrages (documentaires, drames ou chroniques éditoriales). De nombreux jeunes réalisateurs ont pu faire leurs premières armes dans le métier à cette occasion, dont Denis Villeneuve, Robin Aubert, Hugo Latulippe et Philippe Falardeau.

Myriam D’Arcy

Myriam D'Arcy Crédit André Chevrier
Myriam D’Arcy
Crédit André Chevrier

Guibord s’en va-t-en guerre: projections simultanées à Montréal et Locarno!

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C’est hier soir sur la Piazza Grande du Festival de Locarno en Suisse qu’avait lieu la première mondiale du très attendu Guibord s’en va-t-en guerre de Philippe Falardeau. Comme le public québécois devra encore patienter jusqu’au 2 octobre pour voir le film, à l’initiative du distributeur, une projection toute spéciale avait lieu en plein air à l’Esplanade du Parc Olympique. Quelques 1000 personnes ont pu assister à l’évènement grâce à différents concours organisés par les médias.

Malgré le ciel menaçant, la foule était dense et l’ambiance, enjouée. Il faut dire qu’aucun détail n’avait été laissé au hasard pour rendre la soirée aussi sympathique que possible : le parterre ressemblait à s’y méprendre à celui érigé pour les festivaliers suisses et un macaron arborant le slogan de notre désormais candidat préféré était remis à chaque participant. Tourné un peu plus tôt au moment de monter sur la scène du festival pour présenter son film, Philippe Falardeau a enregistré un court vidéo où en chœur, les 6000 spectateurs suisses nous ont transmis leurs salutations. Le ton était donné!

Satire politique redoutablement efficace, Guibord s’en va-t-en guerre raconte comment Steve Guibord (Patrick Huard), député fédéral indépendant d’un immense comté situé au nord du Québec, est propulsé à l’avant-scène de l’actualité politique canadienne. À la faveur du hasard, Guibord détient le vote décisif qui pourrait plonger le Canada en guerre. Incapable de se décider, et encouragé par sa fille et son épouse (Suzanne Clément), Guibord se lance dans une consultation populaire auprès de ses électeurs qui sera suivie de Vancouver jusqu’à… Port-au-Prince! Cette occasion lui offrant une « fenêtre de démocratie directe » l’amènera à sillonner son comté qui deviendra rapidement le terrain d’affrontement des Amérindiens, militants pacifistes et entrepreneurs miniers qui verront dans cette consultation l’occasion rêvée de marchander leur appui. Entre les exigences des différents lobbies et les jeux de coulisses politiques, le député tentera de rester fidèle à ses principes et ses engagements, ce qui ne sera pas une mince affaire! Dans son aventure démocratique, Guibord sera accompagné par Souverain Pascal (Irdens Exantus), attachant et efficace stagiaire haïtien fraîchement débarqué au Québec.

Source: site officiel
Source: site officiel

Le dernier opus du cinéaste chouchou des Québécois sortira en salle au début du mois d’octobre, soit quelques jours avant que nous soyons réellement convoqués aux urnes. Gageons que la fiction rejoindra la réalité en nous offrant ensuite de savoureuses intrigues politiques puisque les projections laissent présager l’élection d’un gouvernement minoritaire. En pareille situation, nous avons quelques fois été bien malgré nous les témoins de quelques revirements rocambolesques tel que la défection de l’ancienne députée conservatrice Belinda Stronach, laissant esseulé Peter Mackay dans son champ de patates, ou encore l’inoubliable et télégénique appel à la nation de Stéphane Dion.

 Pour ma part, mon choix est fait et le 2 octobre prochain, je vous invite massivement à voter du bon Guibord!

Myriam D’Arcy

Myriam D'Arcy Crédit André Chevrier
Myriam D’Arcy
Crédit André Chevrier

Une bouffée d’air frais nommée Xavier Dolan

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Mommy-de-Xavier-Dolan-afficheAprès plusieurs mois d’attente nourrie par les nombreux prix et critiques élogieuses qui arrivent de par le monde, Mommy, le dernier opus de Xavier Dolan est enfin diffusé sur nos écrans. Le public est au rendez-vous comme en témoignent les salles aussi bondées qu’à une première de spectacle d’humour des jours derniers. Malgré ce qu’en pensent Vincent Guzzo[1] et certains animateurs de radios populistes qui se plaisent à qualifier notre cinéma de sombre ou « lamentard », les Québécois ne boudent pas leurs productions quand des efforts comparables sont déployés pour la promotion des films d’ici que pour les blockbusters américains. En effet, un article publié aujourd’hui sur le site de Radio-Canada confirme le départ canon pour le film de Dolan qui a engrangé des recettes frôlant le demi-million de dollars au cours des derniers jours, ce qui en fait le plus grand succès populaire depuis Lance et Compte, sorti sur nos écrans en 2010. Pour citer Diane Després, le personnage incarné par Anne Dorval dans Mommy : « les sceptiques seront confondus ».

La barre était donc placée très haute et je ne suis pas déçue, bien au contraire. À mon avis, il s’agit du meilleur film offert par Dolan. Le plus achevé et réussi à tous points de vue. Mommy aborde un thème cher au réalisateur, la relation mère-fils dans toute sa complexité, ses zones d’ombres et sa grande richesse.

Nous sommes conviés à un très grand rendez-vous d’acteurs qui sont au sommet de leur art. Malgré ses dix-sept ans, le jeu d’Antoine Olivier Pilon est bouleversant de vérité. Sans jamais caricaturer, il incarne avec justesse un adolescent explosif, violent et charmeur aux prises avec un sévère trouble de déficit de l’hyperactivité et de l’attention (TDHA). De son côté, Anne Dorval est rien de moins que magistrale en mère courage qui tente avec le plus de générosité, d’amour et de lucidité possibles de sauver son fils de lui-même.

Les plans de caméra sont filmés de très proche, sans recul, qui obligent les acteurs à offrir une performance soutenue et sans filet. Quant à nous, nous avons l’impression d’être témoins impuissants et indiscrets de l’action qui se vit sous nos yeux. L’ambiance chargée d’émotion est poignante et ne baisse pas d’intensité pendant toute la durée du film. En particulier, je pense à quelques scènes, la première crise de Steve revenu à la maison, l’assaut sur Kayla qui lui fait la classe à la maison et une scène déchirante à la fin du film où Diane imagine ce qu’aurait pu être leur destin sans la maladie.

Il s’agit d’une œuvre universelle mais dont l’action et le propos sont résolument ancrés dans le Québec. Ne serait-ce que par le langage coloré des personnages, les références culturelles bien de chez nous (Marjo et Céline, « notre trésor national »), mais aussi le lieu choisi, un Longueuil bien réel, et non une banlieue fictive qui aurait pu être partout et nulle part en même temps.

Xavier Dolan  Source: canoe.ca
Xavier Dolan
Source: canoe.ca

Dolan, dont tous les films voyagent partout sur la planète, prouve que le Québec est assez beau pour être montré à la face du monde, sans fard ni artifices et malgré ses imperfections. Le regard qu’il pose sur sa société est tendre et dénué de jugements, tout autant que celui qu’il porte sur ses personnages issus des classes populaires. Ils sont ce qu’ils sont, avec leurs qualités et leurs défauts et tentent de faire de leur mieux.

Un artiste engagé dans sa communauté

Depuis son entrée en scène fracassante en 2009 avec J’ai tué ma mère, son premier film réalisé à dix-neuf ans, l’acteur-réalisateur-scénariste surdoué est souvent critiqué pour ses déclarations, ses coups de gueule et sa confiance en lui-même qui est souvent associée à l’arrogance.

Pourtant, nous devrions être reconnaissants envers Xavier Dolan et pas seulement pour cette œuvre qu’il construit à vive allure et qui fait briller le Québec. Nous devrions lui être reconnaissants de prendre part au débat public, de s’investir dans les grandes questions qui traversent notre société. Loin d’être individualiste, il veut son succès

Anne Dorval, Xavier Dolan, Suzanne Clément et Antoine-Olivier Pilon. Festival de Cannes, 22 mai 2014
Anne Dorval, Xavier Dolan, Suzanne Clément et Antoine-Olivier Pilon. Festival de Cannes, 22 mai 2014

collectif. Son appel à la jeunesse à Cannes en était une belle démonstration, tout comme les honneurs qu’il partage spontanément avec ses acteurs à qui il voue une grande fidélité. À l’ère où le chacun pour soi est roi, et où l’enracinement est un concept démodé, ça fait du bien de constater que la réussite ne rime pas nécessairement avec un certain affranchissement du Québec devenu trop petit pour être le lieu d’épanouissement de ses ambitions.

Au fil du temps, Dolan a embrassé quelques causes qui ont défrayées les manchettes. Il a été un ardent promoteur du nécessaire engagement de l’État pour la culture et s’est exprimé à ce sujet sur plusieurs tribunes, notamment au printemps dernier lors d’une tournée médiatique qui a suivi la réception du Prix du jury à Cannes au printemps dernier et en réponse à quelques-uns de ses détracteurs au cours des dernières

Distribution de Laurence Anyways, Festival de Cannes 2012
Distribution de Laurence Anyways, Festival de Cannes 2012

années. Il n’a pas hésité à défendre la gratuité scolaire au moment de la crise étudiante, position qu’il a portée jusque sur les tapis rouge de Cannes, intéressant du même coup les médias du monde entier à ce débat qui soulevait les passions chez nous. Il n’a jamais caché son adhésion en faveur de l’indépendance du Québec et signera d’ailleurs un texte dans un ouvrage collectif portant sur la question dirigé par Léa Clermont Dion à paraître cet automne. Finalement, dans son édition du 3 septembre dernier, la revue française Télérama rapportait des propos de Dolan suite à son refus à recevoir la Queer Palm, prix remis en marge du Festival de Cannes et qui « récompense un film pour ses qualités artistiques et son traitement des questions gay, lesbienne, bi ou trans ainsi que sur son traitement décalé des questions de genre ». Ses propos pleins de sagesse montrent qu’il conçoit la société comme un tout et non la somme d’individus ou groupes d’intérêts particuliers.

« Que de tels prix existent me dégoûte. Quel progrès y a-t-il à décerner des récompenses aussi ghetoïsantes, aussi ostracisantes, qui clament que les films tournés par des gays sont des films gays ? On divise avec ces catégories. On fragmente le monde en petites communautés étanches. La Queer Palm, je ne suis pas allé la chercher. Ils veulent toujours me la remettre. Jamais ! L’homosexualité, il peut y en avoir dans mes films comme il peut ne pas y en avoir[2]. »

Que l’on soit en accord ou non avec ses prises de position, il n’en demeure pas moins que Xavier Dolan est un artiste engagé dans la société québécoise, qui l’aime et s’en soucie assez pour créer sur et à partir d’elle tout en s’impliquant à défendre les causes qui lui sont chères, sans jamais se censurer. N’est-ce pas là l’une des fonctions essentielles de l’artiste, soit de bousculer les conventions, de tirer et pousser sa société, de l’éclairer, de la révéler à elle-même? Xavier Dolan est une véritable bouffée d’air frais dans cet univers médiatique où la langue de bois est reine et j’espère qu’il continuera longtemps de nous éclairer par ses formidables films et ses réflexions d’un jeune homme libre.

[1] Propos publiés dans l’édition du 13 novembre 2012 du Journal de Montréal et sur le plateau de l’émission Tout le monde en parle.

[2] http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/09/20/xavier-dolan-degoute-par-les-prix-recompensant-les-films-gays_4490979_3246.html

Myriam D’Arcy

Myriam D'Arcy Crédit André Chevrier
Myriam D’Arcy
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