Théâtre

Festival du Jamais LU (3)

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Rencontre avec Marianne Dansereau et Geoffrey Gaquère qui nous offrent la pièce Savoir compter

Par Marco Fortier

Savoir compter, de l’auteure Marianne Dansereau, sera lu pour la toute première fois ce lundi 4 mai à 20 heures, au Théâtre aux Écuries, dans le cadre du Festival du Jamais LU. Dans un langage cru et sans fard, cette pièce traite des rapports amoureux à une époque où l’engagement est remis en question, où l’on ne sait jamais si on peut vraiment compter sur l’autre. Ce texte sera mise en lecture par Geoffrey Gaquère et une kyrielle de comédiens : Alex Bergeron, Catherine Chabot, Violette Chauveau, Joanie Guérin, Simon Landry-Désy, Gabrielle Lessard, Sébastien René et Maxime René de Cotret. C’est avec plaisir que je me suis entretenu avec l’auteure et le metteur en scène pour nous en dire plus sur cette pièce.

Marianne Dansereau, âgée d’à peine 24 ans, est parmi les plus jeunes, sinon la plus jeune, auteures invitées au Jamais LU en 2015. Graduée en 2014 de l’École Nationale de Théâtre en interprétation, elle cumule le métier de comédienne et d’auteure. Hamster[1], sa première pièce lui a valu le prix du texte le plus prometteur en 2013 décerné par le CEAD (Centre des auteurs dramatiques). Du 5 au 15 mai prochain, elle jouera au Théâtre Denise Pelletier. Elle sera également de la distribution de la pièce Les Zurbains 2015, une production du Théâtre Le Clou. À compter de septembre prochain, elle sera auteure en résidence au Théâtre aux Écuries et travaillera aux côtés d’Olivier Choinière. Pour sa part, Geoffrey Gaquère est né en 1975 à Bruxelles en Belgique. À 18 ans, il est entré au Conservatoire Royal d’art dramatique. En 2000, il est reçoit son diplôme en interprétation de l’École Nationale de Théâtre à Montréal. Il s’est rapidement intéressé à la mise en scène et depuis un an il est le nouveau directeur artistique du théâtre l’Espace Libre. Il assure la mise en lecture de la pièce présentée ce lundi.

MF : Marianne, à quoi réfère le titre de ta pièce?

MD : Savoir compter, c’est d’abord savoir compter sur soi, mais aussi sur les autres. Trop souvent, les gens ne s’appartiennent pas et se comportent selon des stéréotypes plus ou moins préétablis. J’aime que mes personnages soient étranges, improbables. Leurs comportements ne sont pas conformes à ce qu’ils sont réellement puisque la plupart du temps, ils agissent sous le coup de la panique.

MF : Pourquoi ta pièce est construite par thème, plutôt que de manière chronologique? En quoi cette linéarité servait le texte?

Marianne Dansereau.  Crédit: Maxime Côté
Marianne Dansereau.
Crédit: Maxime Côté

MD : Je voulais sortir du carcan qui suppose invariablement un début, un milieu, puis une fin. C’est trop prévisible. Voilà pourquoi j’ai fait exploser la structure narrative. J’ai confiance en l’intelligence du public pour remettre les morceaux de l’histoire en place. Les scènes de vengeance sont rassemblées, comme celles de mensonges, d’amour, etc. De plus, on retrouve trois chronologies : le présent, le passé et le rêve. C’est vraiment un défi que je me lance, de même qu’au public. Est-ce que je donne les bonnes clés aux bons endroits pour qu’on me comprenne?  

MF : Pensez-vous que Savoir compter surprendra le public?

MD : Je pense que les gens ne sont pas habitués à se faire parler de sexualité, de relations interpersonnelles, d’amour désiré, de trahison, de façon aussi directe, crue, et vulgaire même. La pornographie, beaucoup consommée par les jeunes et les moins jeunes, influence nos rapports humains. Quand est-ce qu’on aime et quand est-ce qu’on veut posséder? On a trop souvent des comportements d’animaux. Nous nous transformons en proie ou en prédateur dans nos interactions avec l’autre. Disons que je n’y vais pas par quatre chemins et je suis très curieuse de voir si le public l’acceptera ou sera choqué par le propos de la pièce. Aussi, j’espère qu’il rira parce que le thème est abordé avec humour. C’est autant « trash » que drôle !

GG : J’ai accepté de mettre en lecture le texte de Marianne parce que son écriture est unique et très engagée. Sa langue, son verbe et sa poésie ressemblent à nulle autre. Quand on la rencontre, on a de la difficulté à croire qu’il peut y avoir autant d’excès et de démesure qui émanent d’elle. Avec audace, elle présente des personnages très typés, qui représentent bien les rapports amoureux d’aujourd’hui, rudes et fortement imprégnés de la culture du net, de la pornographie. Je suis convaincu que si elle continue sur cette lancée, Marianne nous surprendra encore avec ses prochains textes.  

MF : Comment se déroulent les répétitions ?

MD : On a une équipe de feu ! On est nombreux et c’est super agréable. Geoffrey m’a permis de choisir les comédiens que j’avais en tête au moment d’écrire le texte. Et ils ont accepté, ce dont je suis bien heureuse. Ce sont presque tous des jeunes gradués des 5 dernières années de l’École Nationale de Théâtre. Je trouve ça intéressant. Ils représentent une nouvelle parole dans la vingtaine, une certaine vague de fraicheur. Ça sera une occasion de découvrir de nouveaux acteurs.

Geoffrey Gaquère Crédit: David Ospina
Geoffrey Gaquère
Crédit: David Ospina

GG: J’aborde ce travail de mise en lecture avec l’idée de servir le texte et non pas d’y imprimer ma propre interprétation comme je le ferais lors d’une mise en scène. La distribution que Marianne a choisie plonge facilement dans l’univers proposé. Je demande aux acteurs d’assumer ce qui est écrit, de ne pas juger leur personnage, d’être totalement sincères et humains.

Le texte est vraiment « flyé », dans le bon sens. On navigue dans un univers sans compromis,  « frette net sec », mais avec une langue superbe. Dans la société dans laquelle on vit, qui est capable de regarder toutes ces émissions de télé-réalité, plus vulgaires les unes que les autres, je pense qu’on est capable de prendre un texte de théâtre un peu hors du commun. Et si jamais on est choqué par ce qu’on entend, ça veut dire que ça fait du bien de se faire réveiller parce c’est dans cet univers qu’on vit. 

MF : Merci, bonne lecture et bon festival !

Vous pouvez voir Savoir compter au Théâtre aux Écuries, le lundi 4 mai à 20 heures. Pour vous procurer des billets, cliquez ici.

Marco Fortier

[1] http://voir.ca/scene/2013/07/17/zone-homa-entrevue-avec-marianne-dansereau-hamster/

S’Appartenir(e), Soirée d’ouverture du Festival du Jamais LU 20

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Rencontre avec Emmanuelle Jimenez et Catherine Léger

Par Marco Fortier

Vendredi le 1er mai à 20 heures, au Théâtre aux Écuries, aura lieu la soirée d’ouverture  de la saison 2015 du Festival du Jamais LU. À l’affiche, la pièce S’appartenir(e) écrite par un collectif de huit auteures, réunies par Marcelle Dubois, directrice générale et artistique du Jamais LU, Brigitte Haentjens, directrice artistique du Théâtre français du Centre National des Arts à Ottawa, et Anne-Marie Olivier, directrice artistique du Théâtre du Trident à Québec. Le tout est mis en lecture par Catherine Vidal.

S’appartenir(e) est la toute dernière publication de la série Pièces publiée par la maison d’édition Atelier 10 et réunissant les auteures suivantes: Joséphine Bacon, Marjolaine Beauchamp, Véronique Côté, Rébecca Déraspe, Emmanuelle Jimenez,Catherine Léger et Anne-Marie Olivier. La ligne directrice du festival est reliée à l’appartenance, comme individu, communauté, société ou même culture. Pour cette soirée, la parole est donnée aux femmes, symbolisée par le « e » ajouté pour l’occasion au titre de la pièce.

J’ai eu la chance de m’entretenir avec deux des huit auteures et d’en apprendre davantage sur le processus d’écriture collective.

Emmanuelle Jimenez a plusieurs textes qui ont été joués sur diverses scènes du Québec, dont Du vent entre les dents (Théâtre d’Aujourd’hui – 2006), Un gorille à Broadway (Productions À tour de rôle – 2007), Rêvez, montagnes ! (Nouveau Théâtre Expérimental – 2009) et Le dénominateur commun (coécriture avec François Archambault, Théâtre Debout) lu pour la toute première fois au Festival du Jamais LU 2013 et monté à La Licorne en 2015.

Catherine Léger écrit surtout pour le cinéma et la télévision. Elle a coscénarisé le film La petite reine (2014) avec Sophie Lorain. Elle a aussi écrit des pièces telles que J’ai perdu mon mari (2014), Princesses (2011), Opium 37 (2008), et Voiture américaine (2006), texte pour lequel elle a gagné le prix Gratien Gélinas. Elle fait partie des 26 auteurs sélectionnés par Olivier Choinière pour l’écriture de la version 2014 de l’Abécédaire qui a aussi été publié dans la série Pièces.

MF : Tout d’abord, comment l’écriture est arrivée dans vos vies?

Emmanuelle Jimenez Source : Emmanuelle Jimenez Crédit photo : Andréanne Gauthier
Emmanuelle Jiménez
Crédit photo : Andréanne Gauthier

EJ : J’ai étudié en sciences politiques à l’Université de Montréal. Je cherchais à rencontrer des gens qui avaient envie de changer le monde. Malheureusement, je n’y ai pas trouvé les personnes engagées que j’aurais aimé rencontrer. J’ai apprécié mes deux années et je demeure très intéressée par l’actualité politique. 

Ensuite, j’ai été acceptée au Conservatoire d’art dramatique en interprétation. J’ai commencé comme comédienne mais je me suis très vite mise à l’écriture. Pour gagner ma vie, j’enseignais à des adolescentes du secondaire. Les œuvres au programme comportaient très peu de rôles intéressants pour les femmes et je  me suis un peu tannée de mettre des moustaches à mes élèves. J’ai décidé d’arrêter de chialer et d’écrire du théâtre sur mesure pour les groupes auxquels j’enseignais. Je me suis fait ainsi la main à la dramaturgie. Petit à petit, mon intérêt a grandi et, tout en demeurant comédienne, je consacre la plus grande part de mon temps à l’écriture de pièces pour grand public qui sont  produites professionnellement.

CL : Pour ma part, j’étais gamine lorsque j’ai commencé à écrire. Je ne sais pas pourquoi, c’est arrivé comme ça. À l’adolescence, j’ai écrit beaucoup de poésie, je rêvais de publier des romans. Malheureusement, je n’avais pas de discipline et j’ai trouvé dans le programme d’écriture dramatique à l’École Nationale de Théâtre cet encadrement dont j’avais besoin. Durant trois ans, j’ai suivi une formation intensive qui m’a permis d’acquérir la technique requise et avoir du souffle dans ma prose. C’est devenu mon métier. J’écris pour le théâtre, pour le cinéma et la télévision.

MF : Est-ce que le processus de création à huit auteures est bien différent qu’en solo?

CL : Ce n’est pas une création collective et chacune a écrit son texte. La difficulté d’écrire à plusieurs n’était pas présente dans ce projet. Savoir qu’on est huit à écrire sur un même thème, invite à aborder le sujet d’une manière originale, de trouver un angle différent pour s’assurer que le spectacle ne soit pas redondant. Chacune y est donc allée de façon très personnelle.

C’est extrêmement précieux cet espace-temps qu’elles nous ont accordé. Quand on écrit pour le cinéma et la télévision, on a rarement l’occasion de se pencher sur des sujets plus personnels. Elles ont créé un super momentum qui nous a habitées par la suite. La rencontre a été structurante, le groupe a réellement existé et chacune savait y trouver sa place.

EJ : Les trois instigatrices du projet, Marcelle, Brigitte et Anne-Marie, nous ont toutes réunies pour échanger sur notre façon de comprendre le thème. Nous sommes reparties la tête remplie d’idées, en ayant carte blanche. Nous disposions de quelques mois pour rédiger chacune un texte principal d’une dizaine de minutes et quelques plus petits textes qui pourraient être insérés dans le déroulement de la soirée.

Le travail d’aménagement des textes a été complété par Catherine Vidal, la metteure en scène et Marcelle Dubois. Elles ont colligé tous les récits et fait leurs choix. Le résultat est très éclectique : des prises de parole intimes, d’autres très engagées, de la poésie, des dialogues et des monologues.

MF : Le spectacle a déjà été présenté à Québec et Ottawa. Était-ce aussi sous la forme de lecture?

EJ : Oui c’est une lecture vivante, sans lutrin, avec une mise en espace et des projections sur écran. La scénographe Geneviève Lizotte, désirait aussi prendre la parole sur le thème S’appartenir(e) mais avec des images. La réaction a été au-delà de nos espérances.

Aussi, fait intéressant à noter : mis à part Éric Forget qui interprète le seul rôle masculin du spectacle, la distribution est entièrement assurée par les huit auteures.

MF  Comme ces pièces sont écrites et jouées presque uniquement par des femmes, est-ce que les hommes seront aussi interpelés par ce spectacle? 

EJ : Tout à fait. Dans mon cas, je me suis davantage intéressée au « e » dans S’appartenir(e). J’ai voulu faire un état des lieux de ce que je ressentais comme femme en 2015. La plupart des autres textes ne sont pas spécifiquement féministes. Les hommes ont un rôle important à jouer pour la cause des femmes.  

CL : Pour ma part, j’ai écrit un dialogue entre une femme et un homme. Elle est plus idéologique et lui plus terre-à-terre. J’aime les personnages féminins qui parlent de sexualité et disent des choses affreuses sans aucun scrupule, mais totalement en lien avec la réalité. Ce sont des choses que j’entends souvent dans la vie mais rarement dans la fiction. Ça me plaît beaucoup d’inverser les rôles en lui faisant jouer, à elle, la rebelle de droite et, à lui, une attitude plus ouverte, à gauche. 

MF : Emmanuelle, est-ce exact de ressentir de la rage, de la peur dans ton texte ainsi qu’un ardent désir de vivre heureuse malgré tout. 

EJ : Oui c’est bien ça. C’est un sujet que j’évite très souvent. Quoiqu’on en dise, c’est encore très délicat de parler de féminisme. C’est très risqué de se faire cataloguer comme étant radicale, frustrée. Les préjugés existent encore et pour moi, ce n’était pas du tout un thème facile à aborder. Je fais des allers-retours constants entre un désir de vivre dans la liberté et la haine qui existe contre les femmes qui me rattrape sans arrêt.  

MF : Et toi, Catherine, tu aimes donner des conseils comme tu le fais dans tes capsules humoristiques ?

Catherine Léger Source : Catherine Léger Crédit photo : Dominique Lafond
Catherine Léger
Crédit photo : Dominique Lafond

CL : C’est une formule que j’avais testée avec l’abécédaire et ça avait bien fonctionné. Dans les médias sociaux et dans les magazines féminins, on voit constamment apparaître des listes, plus souvent absurdes qu’autres choses, comme par exemple « 7 trucs pour envoyer votre homme au septième ciel ». Ça existe beaucoup dans la consommation rapide d’information. Je trouve ça lourd de voir comment on dit aux femmes comment gérer leur vie au féminin. J’ai choisi cette formule, en utilisant le second degré, pour aborder des sujets plus difficiles et avec humour. Quand j’arrive sur scène, il y a une musique à caractère très pop et je prends une attitude décontractée et faussement sympathique alors que je dis des choses horribles. 

MF : Merci et bon festival !

Vous pouvez voir S’appartenir(e) au Théâtre aux Écuries, le vendredi 1er mai à 20 heures. Les billets sont en vente ici.

Marco Fortier

Marco Fortier
Marco Fortier

Ouverture de la 14e édition du festival Jamais LU!

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Rencontre Marcelle Dubois, fondatrice

Par Marco Fortier

Jamais_lu_72dpiDu 1er au 9 mai prochain se tiendra l’édition 2015 du Festival Jamais LU, formidable évènement permettant la rencontre du public et passionnés de théâtre avec des auteurs qui présentent leurs textes tout juste achevés.

À l’occasion de la conférence de presse du dévoilement de la programmation qui s’est récemment tenue au Théâtre aux Écuries, je me suis entretenu avec madame Marcelle Dubois, fondatrice, mais aussi directrice générale et artistique du Festival du Jamais LU. Toujours radieuse, Marcelle Dubois est passionnée par son travail et intarissable sur le sujet. Elle vient tout juste de se voir décerner le Prix Sentinelle 2015 par le Conseil québécois du théâtre, qui souligne le travail de membres d’équipe de gestion et d’administration de théâtres pour leur contribution à l’épanouissement de la dramaturgie québécoise.

MF : D’abord, toutes mes félicitations! Qu’est-ce que ce prix représente pour toi ?

MD : Ce prix reconnaît le développement exponentiel des activités du Festival du Jamais LU au cours des dernières années. Ce qui me touche personnellement c’est de penser qu’en 14 ans on a pu faire émerger la place de l’auteur dans le milieu culturel. Sa parole est davantage reconnue comme un acte fondateur d’une communication avec le public.

MF : Pour le bénéfice de nos lecteurs, raconte-nous ton parcours professionnel et ce qui t’a amené à faire du théâtre.

MD : Je suis originaire du Témiscamingue. J’avais autour de 13 ans quand je suis arrivée à Montréal. J’ai fait un certificat à l’UQAM en création littéraire et j’ai beaucoup aimé  les cours sur la recherche, la réflexion et la psychologie de la création. J’ai réalisé que je voulais écrire, bâtir des univers et des espaces de prise de parole. En 2000, j’ai fondé ma compagnie Porteuses d’aromates. J’ai écrit et mis en scène mon premier texte « En vie de femmes » en 2001. C’était pour moi, une production école, avec toute la fraicheur d’un premier texte et tous les défauts associés à l’apprentissage.

Marcelle Dubois Source et crédit photo: Emmanuelle Lussiez
Marcelle Dubois
Source et crédit photo: Emmanuelle Lussiez

MF : Dans quel contexte est né le Festival du Jamais LU?

MD : À ce moment là, je travaillais comme serveuse au Café l’Aparté situé juste en face de l’École Nationale de Théâtre. C’était le repère des Falardeau, Luc Picard, Les Zapartistes, et Le Théâtre de la Pire Espèce. C’était un tel vivier, tellement électrisant. On y a créé le premier Festival du Jamais LU, il y a 14 ans.

MF : Comment le Festival du Jamais LU a évolué au fil des ans ?

MD : Le festival est né d’un désir de s’entendre entre auteurs et de se faire entendre auprès des professionnels et des institutions. Il y a 15 ans, il n’y avait pas beaucoup d’ouverture envers les artistes de la relève. Il a donc fallu prendre notre place. Aujourd’hui, le festival demeure une vitrine pour les auteurs. On travaille toujours avec la jeune génération, on cherche à découvrir de nouveaux talents et on prend des risques. Avec le temps, c’est aussi devenu un échange avec les personnes qui s’intéressent de plus en plus à notre événement et à l’art littéraire théâtral. C’est une façon unique de développer un lien privilégié et direct entre l’auteur et le public.

MF : Pourquoi, depuis trois ans, demander à un artiste différent d’assumer avec toi la direction artistique du festival?

MD : C’est venu d’une nécessité, car, en 2012, j’ai dû prendre un congé de maternité pour donner naissance à un garçon en avril, à peine un mois avant le début du onzième festival. J’ai donc invité Jean-François Nadeau à se joindre à moi en septembre et à contribuer dès le départ. C’était agréable de faire côtoyer des visions complémentaires. Même si je continue d’établir la ligne directrice, j’aime bien me faire provoquer ou lancer des défis qui m’amènent plus loin que si j’y étais allée toute seule. J’avais aussi envie d’agir comme incubateur de direction artistique et d’offrir des opportunités à des gens qui ont le talent requis pour le faire.

Cette année, je travaille avec Justin Laramée. En plus d’être un auteur que j’aime bien, et une personne passionnée qui a une vision, il assure la direction éditoriale de la nouvelle collection Pièces d’Atelier 10. Nous avons une appartenance d’esprit avec Atelier 10 et j’avais le goût de m’associer avec eux.

MF : La programmation 2015 est très intéressante. Veux-tu nous en dire quelques mots ?

MD : La ligne éditoriale est S’appartenir. Quand on prépare la programmation, on n’essaie pas de faire coller des textes à une thématique prédéterminée. On choisit d’abord les coups de cœur, parmi les 200 et plus propositions que nous avons reçues cette année, et on en déduit une thématique qui les unit. C’est fascinant de voir à quel point les auteurs sont des porte-paroles de l’air du temps. Le thème s’appartenir s’est imposé de lui-même car il était au centre de tous les projets qui nous avaient parlé. Les histoires sont différentes, les styles d’écriture sont multiples, mais la préoccupation d’appartenance, que ce soit comme individu, comme communauté, comme société, comme culture, elle est clairement présente. Par exemple, Le repeuplement des racines familiales est un texte assez acide de Maxime Carbonneau. Sans être engagé au sens premier du terme, il touche clairement à la notion d’appartenance. Une famille demande à un voisin de venir jouer le personnage d’un des leurs, un différent chaque jour, et évalue s’il est meilleur qu’eux dans leur propre rôle. Ça traduit bien l’importance du paraître dans notre société en opposition avec qui nous sommes en réalité.

Les auteurs qui participent à l'édition 2015 du festival. Source : Emmanuelle Lussiez Crédit photo : David Ospina
Les auteurs qui participent à l’édition 2015 du festival.
Source : Emmanuelle Lussiez
Crédit photo : David Ospina

Aussi, Comment frencher un fonctionnaire sans le fatiguer d’un collectif d’auteurs (les poids plumes) de l’Outaouais. Ça fait 10 ans qu’on invite des écrivains franco-canadiens au festival. Au début, on les cherchait. Maintenant on sent une nouvelle génération poindre, un regain de culture francophone dans ces régions, une affirmation forte et animée.

On accueille aussi une auteure française, Natalie Filion, qui viendra nous présenter son texte Spirit, qui est un dialogue intemporel entre des jeunes femmes contemporaines, colorées et pétillantes à Paris, et des fantômes des maîtresses de Lénine alors qu’il était en exil en France. Elles vont parler de la place des femmes dans l’histoire et des ambitions des femmes de notre génération.

MF : Que peux-tu nous dire sur ton plus récent projet, Habiter les terres, qui sera présenté dans le cadre du festival?

MD : C’est un texte sur lequel je travaille depuis trois ans avec le Théâtre du Tandem à Rouyn-Noranda, où je suis allée faire une résidence de création. J’avais envie de faire un travail anthropologique et d’aller voir les gens que je continue d’appeler les miens même si ça fait longtemps que je vis à Montréal. J’ai l’impression que mon ADN, mon imaginaire, sont modelés par ces gens là, ces paysages impossibles, cette ruralité très rude et en même temps magnifique. Quels sont les enjeux actuels de ceux qui décident d’y rester? J’y ai découvert des gens qui font vivre le mot pays au quotidien, des personnes qui ont été envoyées là, il y a 80-90 ans, c’est une région toute jeune. Plusieurs sont de vrais résistants, car ils sont constamment menacés de la fermeture de leur village, de la route qui les relie aux communautés voisines.

En utilisant la magie de l’écriture qui vient combler les trous de la réalité, j’ai écrit comme une fable où les gens pour se faire entendre vont kidnapper un ministre. C’est une pièce sur la ruralité mais aussi beaucoup sur les contre-pouvoirs. La question est très d’actualité avec ce qu’on voit au téléjournal ces temps-ci. Jusqu’où peut-on perturber l’ordre social pour faire entendre une cause noble ? Et à partir de quel moment on devient des terroristes et que notre fin n’est plus juste parce que nos actions ont dépassé les limites acceptées de l’ordre social ? Comment on arrive à se faire entendre pour vrai comme citoyen face au pouvoir ?

MF : Merci et bon festival !

Pour en savoir plus sur la programmation, visitez le site officiel du festival.

 

Marco Fortier

Marco Fortier
Marco Fortier

Lorraine Pintal: inspirée et inspirante

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(Texte publié sur le site Plateau arts et culture le 29 mars 2014)

 

Lorsqu’elle a annoncé son intention d’être candidate pour le Parti Québécois dans la circonscription montréalaise de Verdun, j’ai applaudi à la nouvelle. Comédienne, réalisatrice, dramaturge, animatrice et gestionnaire, cette artiste pluridisciplinaire aux multiples talents est une actrice de premier plan pour le développement de la culture au Québec.

À son arrivée en poste à la direction générale du Théâtre du Nouveau Monde (TNM) il y a maintenant 22 ans, les défis étaient colossaux et l’avenir de l’institution paraissait compromis. La survie du théâtre menacée par la faillite, notamment à cause du désengagement financier de l’État et la désaffection du public, Lorraine Pintal su redresser la situation. Parallèlement à son rôle de gestionnaire, durant toutes ces années, elle s’est assurée de partager son temps entre la gestion du théâtre et la direction artistique, ce qui lui a permis de ne jamais perdre la main en mettant en scène d’innombrables pièces. Aujourd’hui, son théâtre brille sur la scène montréalaise, québécoise et même à l’international.

Gestionnaire compétente et généreuse, elle a récemment accepté de s’impliquer à l’École des Hautes études commerciales (HEC) à titre de mentor afin de guider les étudiants qui souhaitent administrer des organismes culturels. Ce souci de transmettre son savoir et son expérience aux générations qui la suivent l’anime également dans son travail de metteure en scène. Aussi se fait-elle un devoir de bâtir ses distributions théâtrales en assurant une belle place aux jeunes pour leur permettre d’apprendre au contact des acteurs chevronnés. Cette formule insuffle beaucoup de dynamisme à ses productions tout en favorisant le mentorat.

Sa venue en politique est donc une excellente nouvelle pour tout le milieu culturel qui est en profonde mutation ces années-ci. Pensons notamment aux grands défis qui se posent à notre cinéma, aux artistes de la musique, au théâtre pour s’en convaincre. Oui, vraiment, cette artiste gestionnaire donne l’impression de pouvoir déplacer des montagnes.

lorraine_pintal

Crédit: Yves Renaud

 

Myriam D’Arcy – Pourquoi avez-vous décidé de faire le saut en politique?

Lorraine Pintal : Voilà plusieurs années que je rêve à faire le saut en politique. Dans ma vie de gestionnaire de théâtre, j’ai fait beaucoup de rencontres et de représentations auprès des diverses instances gouvernementales pour défendre le dossier culturel, et notamment pour défendre le caractère particulier du Théâtre du Nouveau Monde. Et donc, frayant dans ces milieux, après 22 ans à la tête d’une institution qui a acquis une grande influence culturelle, à la fois à Montréal et au Québec et on espère outre-frontières, j’ai eu envie de servir davantage de citoyens et de mettre mon expertise au service de la cause culturelle ainsi que pour les gens de Verdun.

 

Quand on parle de langue, d’économie, de développement social et communautaire… on parle de notre identité. L’identité passe par la culture et par l’expression de notre culture grâce à cette langue française qui est continuellement menacée et qu’il faut tenir à bout de bras. Je suis rendue à une étape de ma vie où j’ai besoin d’élargir mon action communautaire, sociale et politique. J’admire madame Marois et j’adhère à la plateforme de son parti. Je suis une progressiste dans l’âme et je me reconnais dans les valeurs défendues par le Parti Québécois. Je n’ai donc pas pu refuser quand on m’a offert de me porter candidate dans le comté de Verdun.

 

MDA – Selon vous, comment se porte actuellement la culture québécoise?

Lorraine Pintal : À mon avis, nous sommes un peu trop collés sur notre propre réalité pour nous en apercevoir mais quand des étrangers viennent au Québec, ils sont épatés par notre dynamisme et par la force de nos créateurs. Manifestement, ce n’est pas dans toutes les sociétés qu’il y a autant de vitalité et de diversité de talents. Nos artistes sont plein de ressources et souvent, ils sont à la fois capable de jouer, de chanter, d’animer.

Nous devons être fiers de notre langue, de notre littérature, de nos auteurs, de nos peintres, de nos danseurs, de nos chorégraphes, de notre cinéma qui voyage de mieux en mieux et qui brille sur les grandes scènes comme celles d’Hollywood. C’est ce qui fait notre force première.

 

Par contre, si la création va bien, nous vivons une crise en ce qui concerne la diffusion de nos œuvres, tant dans les salles que dans les médias. À la télévision et la radio, le temps d’antenne consacré à l’actualité culturelle et à la diffusion de notre musique, notre cinéma fond comme neige au soleil. Cette situation est grave puisque la diffusion constitue le nerf de la guerre en matière de promotion des produits culturels. Voilà pourquoi nous devons par exemple être appuyés par des quotas pour assurer la diffusion de notre culture. Heureusement, nous devons souligner l’émergence de projets porteurs comme « La Fabrique culturelle » la nouvelle plateforme web à vocation régionale mise sur pied par Télé-Québec et qui deviendra peut-être une chaîne de télévision généralisée.

 

Au cinéma, nous assistons présentement à un mouvement de solidarité des acteurs du milieu et des médias, notamment suite aux sorties de Vincent Guzzo que nous serions presque tentés de remercier! Pour mémoire, il avait déclaré que les Québécois ne souhaitent voir que des films d’action et de suspense.

 

Ses propos ont permis à tout un milieu de se regrouper autour de la nécessité de diffuser notre cinéma à plus grande échelle. Cette prise de conscience a notamment donné lieu en février 2013 à la mise sur pied d’un groupe de travail présidé par François Macerola, ancien président de la SODEC qui s’est penché sur l’avenir du cinéma québécois, en ce qui concerne le soutien à ses créateurs, son financement, sa diffusion, dans le but d’élaborer une politique du cinéma.

 

En ce qui concerne l’organisation de la culture, ces dernières années, beaucoup de progrès ont été réalisés dans ce domaine. Nous avons des institutions, des organismes qui reconnaissent l’importance de la culture et qui supportent les artistes émergents. Présentement, nous sommes rendus à un grand tournant où cette culture doit être reconnue par tous et pour y arriver, nous devons travailler à informer le public sur le rôle de l’artiste dans la société.

 

MDA – Selon vous, quelle est la fonction sociale de l’artiste?

Lorraine Pintal: La plupart du temps, les artistes sont engagés dans leur société et veulent qu’elle progresse. Pour y arriver, ils tentent de la provoquer. Comme ils sont très sensibles, ils peuvent annoncer de grands mouvements, des grands changements ou tout simplement en témoigner. Voilà pourquoi l’art est essentiel au développement d’une société. Voilà aussi pourquoi les décideurs politiques ont la responsabilité d’appuyer les artistes et la diffusion de leurs œuvres de toutes les manières possibles.

 

MDA – Le 7 avril prochain, si vous êtes élue députée de Verdun et que votre parti est reporté au pouvoir, quel sera votre dossier prioritaire en matière de culture?

Lorraine Pintal : L’indépendance culturelle. Nous dépendons encore du financement fédéral, notamment du Conseil des arts du Canada et avec tout le respect que je dois à cette institution, je pense qu’il faut travailler à rapatrier au Québec les sommes versées par Ottawa en matière de culture afin que nous puissions les administrer par nous-mêmes.

Nous sommes assez adultes, assez fiers pour être en mesure de gérer ce que les citoyens nous donnent en impôts et ce qu’on veut leur redonner en matière de culture.

 

Aussi, je rêve qu’on offre aux artistes un véritable filet social. Ce serait une solution à l’appauvrissement de tous ceux qui travaillent dans l’ombre. Nous avons aussi besoin de résidences pour les artistes et de lieux de diffusions de proximité. Quand on construit un nouveau quartier, on pense à construire une école ou un parc. Il faut ajouter à cela des infrastructures culturelles telles qu’une maison de la culture ou une bibliothèque. À Verdun, il n’y a pas de Maison de la culture et c’est un de mes grands projets.

 

Finalement, au dernier Conseil national du PQ, madame Marois a annoncé sa volonté d’organiser un grand forum sur l’avenir de la culture dans le but de doter le Québec d’une nouvelle politique culturelle qui tiendra compte du financement de la culture, du nécessaire virage numérique, du soutien à la relève, de la mixité culturelle et de la viabilité de nos grandes institutions. Nous avons grand besoin de cette nouvelle politique culturelle puisque celle dont nous disposons date d’une vingtaine d’années. Elle est désuète et ne tient pas compte des réalités de notre époque. Je souhaite évidemment participer activement à ce grand projet.

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Myriam D’Arcy

Myriam D'Arcy Crédits André Chevrier
Myriam D’Arcy
Crédits André Chevrier