Mois : mars 2015
Le Stabat Mater de Dvorak à la Maison symphonique: la suite
Dimanche dernier, j’ai assisté à un concert rarissime, le Stabat Mater de Dvorak (1841-1904), comme je l’ai annoncé dans mon précédent billet. L’évènement était dirigé par maestro Yannick Nézet-Séguin de l’Orchestre et du Chœur Métropolitain.
La salle était pleine à craquer. Avant le début du concert, Yannick Nézet-Séguin s’est adressé à l’auditoire pour nous expliquer la pertinence de monter cette pièce de musique sacrée en ce dimanche des Rameaux. Il nous a avoué n’avoir jamais eu la chance de chanter le Stabat Mater lorsque, plus jeune, il était choriste et qu’il en rêvait. Il s’est dit privilégié de pouvoir maintenant le diriger.
D’abord un changement dans la distribution : le ténor américain Garrett Sorenson est venu remplacer celui prévu initialement.
L’œuvre est dense, lourde, progressant très lentement vers un dernier mouvement plus éclaté. La musique exprime bien toute la douleur, la tristesse et les pleurs omniprésents dans le texte. Stabat Mater veut dire littéralement «Se tenant debout, Mère », faisant référence à la Vierge Marie accompagnant son fils vers la mort au pied de la croix.
D’abord, félicitations à l’orchestre et à son chef pour la qualité de l’interprétation. Les accents, souvent cuivrés, viennent admirablement ponctuer, de façon éphémère et marquante, de longues phrases mélodiques que se partagent l’orchestre et le chœur.
J’ai adoré le premier mouvement avec ses descentes chromatiques qui se chevauchent, se répètent et se transfèrent d’un groupe d’instruments à l’autre. L’entrée du chœur à l’unisson, pendant plusieurs mesures avant de se diviser, produit un effet assez saisissant.
La troisième section pour chœur est remplie de tendresse et d’émotions. Ça se déguste les yeux fermés.
La soprano, Layla Claire, a une superbe voix puissante, juste, précise dont elle se sert à merveille, en particulier dans les sections 8 et 10. C’est la soliste qui tire le mieux son épingle du jeu.
J’ai bien aimé aussi la mezzo-soprano, Karen Cargill, pour sa voix riche et chaude. Elle excelle autant dans son solo du neuvième mouvement que dans les quatuors alors que sa voix se mêle harmonieusement avec celles des autres solistes.
Le chœur est à son apogée dans le dernier mouvement où tous entrevoient la gloire du paradis. Le Amen final est interprété avec énergie et toute la fougue du renouveau qu’on peut imaginer. Les pupitres masculins se démarquent davantage par la justesse et la précision de leurs interventions.
Je fais maintenant partie des initiés qui ont déjà entendu et apprécié le Stabat Mater de Dvorak!
***
Ce concert a été enregistré et sera rediffusé sur les ondes d’Ici Musique, (100,7 FM) le 1er avril prochain dans le cadre de l’émission Soirées classiques animée par Mario F. Paquet. Si vous n’avez pas pu être des nôtres dimanche, ne manquez pas cette occasion!
Marco Fortier

La passion d’Augustine : pour se réconcilier avec notre passé
Le dernier film de Léa Pool, La passion d’Augustine, a pris l’affiche au cinéma la semaine dernière. À l’image de Maman est chez le coiffeur, son précédent long métrage de fiction, l’histoire nous transporte au milieu des années 1960, dans le Québec de la Révolution tranquille. Mère Augustine (Céline Bonnier) dirige un couvent de Sœurs à vocation musicale situé au bord du Richelieu.
Grâce à la musique, elle offre à ses étudiantes un destin plus grand que celui qui leur est traditionnellement réservé. Malgré l’excellente réputation dont jouit l’établissement grâce aux nombreux prix remportés par ses étudiantes dans différents concours, une menace de fermeture plane. La récente création du Ministère de l’Éducation et la construction d’écoles publiques laïques forcent la congrégation religieuse à se restructurer. Pour éviter le pire, une grande conférence de presse est organisée pour montrer à tous l’utilité du couvent et les talents qui y sont cultivés. En plus des destinées de sa maison d’enseignement, Mère Augustine doit s’occuper de sa nièce Alice (magnifique Lysandre Ménard), jeune pianiste aussi douée que rebelle. Décelant son talent immense, Mère Augustine la pousse à se dépasser, espérant ainsi décrocher la médaille d’or au concours de musique provincial.
À l’écran, Céline Bonnier est appuyée par une imposante distribution presque exclusivement féminine : Valérie Blais, Andrée Lachapelle, Diane Lavallée, Marie Tifo et Pierrette Robitaille. Sans oublier la musique et le chant, qui ne jouent pas ici les seconds violons. Notons la direction photo impeccable, où le passage de l’hiver au printemps illustre bien le propos du film. Léa Pool possède bien l’art du récit et le résultat est convaincant. On craque pour les personnages tous plus attachants les uns des autres, tout en se laissant bercer par la musique. Par contre, le scénario n’est pas sans défauts : certaines scènes sont trop appuyées et les messages qu’on souhaite passer, notamment quelques envolées féministes et diatribes contre la nationalisation des institutions – sont soulignés en caractères gras. À quelques reprises, des archives radiophoniques viennent inutilement illustrer les changements sociaux que l’on devinerait et comprendrait aisément sans béquille. Aussi, la relation antagoniste opposant Augustine à la Mère supérieure (Marie Tifo), femme mesquine et sans nuances, n’apporte rien au récit qui se suffit en lui-même. Ceci dit, ces petits irritants n’altèrent en rien la qualité du film.
Au-delà du feel good movie et de l’omniprésence enivrante de la musique, ce film constitue une véritable bouffée d’air frais puisqu’il n’embrasse pas le récit officiel de la Révolution tranquille où notamment on célèbre l’abandon de la pratique religieuse. Léa Pool offre un point de vue rare sur les grands bouleversements vécus dans les rangs de l’Église suite à la sécularisation des domaines qui lui étaient autrefois dévolus.
Depuis plus de 50 ans, d’aucun n’ont cessé de célébrer avec raisons les grandes avancées réalisées à cette époque, où l’État moderne québécois s’est construit, où notre société s’est dotée d’institutions et d’outils nécessaires à son développement économique, politique, social et culturel. Trop rarement nous a été présenté l’envers de la médaille de ces réformes, ici les dommages collatéraux subit par les institutions phares du Canada français. Pool offre un regard généreux, plein de tendresse, mais sans complaisance sur ces religieuses qui ont tenté à leur manière d’attraper le train de la modernité qui filait à toute allure, comme en témoigne la scène la plus bouleversante du film. Pour se mettre au goût du jour, les Sœurs de la congrégation jusqu’alors vêtues d’un long et austère costume noir, sont forcées d’adopter une tenue plus moderne et de découvrir cheveux et chevilles. Bousculées et déboussolées, les deux doyennes du couvent, interprétées par Diane Lavallée et Pierrette Robitaille finissent par se plier à la consigne, pleurant en silence leur pudeur perdue.
En plus de ses qualités artistiques indéniables et de la force du récit, ce film fait œuvre utile. La passion d’Augustine est une heureuse invitation à se réconcilier avec notre patrimoine religieux et avec un passé bien moins honteux qu’on aime à se le rappeler, celui du Québec d’avant la Révolution tranquille.
Le film est présenté dans plusieurs salles à travers le Québec. L’horaire des projections dans la grande région de Montréal se trouve ici.
Myriam D’Arcy

Crédit André Chevrier
Yannick Nézet-Séguin de retour à Montréal pour diriger le Stabat Mater de Dvorak (1)
Dimanche 29 mars à 15 heures, Yannick Nézet-Séguin dirigera l’Orchestre et le Chœur Métropolitain à la Maison Symphonique de Montréal. Il interprétera le Stabat Mater d’Antonin Dvorak (1841-1904) accompagné de quatre solistes et du chœur de l’orchestre métropolitain:

Source : Orchestre Métropolitain
- Layla Claire, soprano (Canada)
- Karen Cargill, mezzo-soprano (Écosse)
- Brandon Jovanovich, ténor (USA)
- John Relyea, basse (USA)
- Pierre Tourville, Chef de choeur (Québec)
- François Ouimet, Chef de choeur (Québec)
Antonin Dvorak est un des grands compositeurs de la République Tchèque. Son portefeuille comprend 9 symphonies. La neuvième est la célèbre Symphonie du Nouveau-Monde, six grandes œuvres chorales dont le Stabat Mater, des concertos tels que le magnifique concerto pour violoncelle, de la musique de chambre et même 4 opéras. Le plus connu est Rusalka.
Le Stabat Mater est une œuvre de musique sacrée d’environ 90 minutes, écrite en 1876-77 suite au décès des deux enfants du compositeur. Cette pièce de musique chorale comprend 10 sections et le chœur intervient dans 7 d’entre elles. C’est donc une œuvre importante du répertoire de chant choral. Et pourtant, elle est rarement présentée. Malgré ma grande expérience de musique pour chœur, je n’ai encore jamais eu la chance de l’entendre. J’ai bien hâte à dimanche pour corriger cette lacune.
10 Sections:
1- Quatuor et chœur: Stabat Mater dolorosa (Andante con moto)
2- Quatuor: Quis est homo, qui non fleret (Andante sostenuto)
3- Chœur: Eja, Mater, fons amoris (Andante con moto)
4- Basse solo et Chœur: Fac, ut ardeat cor meum (Andante con moto quasi allegretto)
5- Chœur: Tui nati vulnerati (Andante con moto)
6- Ténor solo et chœur: Fac me vere tecum elere (Andante con moto)
7- Chœur: Virgo virginum praeclara (Largo)
8- Duo Alto: Fac, ut portem Christi mortem (Larghetto)
9- Alto solo: Inflammatus et accensus (Andante maestoso)
10- Quatuor et Chœur: Quandus corpus morietur (Andante con moto)
Je me suis entretenu avec Pierre Tourville, un des deux chefs de chœur de l’Orchestre Métropolitain. Il partage son historique ainsi que celui du chœur, et nous donne un avant-goût de ce que l’on pourra entendre lors du concert.

Source : Orchestre Métropolitain
M.F. : Pourriez-vous me raconter brièvement votre parcours musical ?
P.T. : Je suis né au Cap de la Madeleine et j’ai étudié l’alto au Conservatoire de musique de Trois-Rivières, ensuite au Conservatoire de Musique de Montréal et finalement au New England Conservatory de Boston. Je suis musicien, altiste, dans l’Orchestre Métropolitain depuis 2002. À peu près en même temps, j’ai commencé à être responsable du Chœur de l’OM.
M.F. : Dites-moi quelques mots sur le Chœur.
P.T. : Le Chœur va fêter son trentième anniversaire l’an prochain durant la saison 2015-2016. Il a été fondé par Agnes Grossmann, qui était la directrice artistique de l’OM à ce moment là. Elle a toujours baigné dans la musique chorale car son père, à l’époque, dirigeait les Petits Chanteurs de Vienne. Elle désirait ajouter à l’OM un chœur de haut niveau qui pourrait interpréter les grandes œuvres du répertoire. Depuis ce temps là, le Chœur contribue annuellement à la programmation de l’OM.
Le noyau principal du chœur est composé d’environ une centaine de choristes amateurs de haut calibre, des gens qui lisent la musique, ont eu une formation musicale et ont déjà chanté dans d’autres chœurs. Un petit groupe de 25 chanteurs professionnels vient enrichir la qualité sonore du chœur.
Le répertoire est varié. Il inclut de la musique sacrée et profane. Dans le passé, on a très souvent interprété la neuvième symphonie de Beethoven. Il va de la musique baroque, par exemple Jean-Sébastien Bach, à la musique contemporaine. Lors de notre dernier concert de Noël, on a présenté deux créations de jeunes compositeurs.
À l’origine, le chœur ne chantait qu’avec l’OM. Depuis peu, on a décidé de varier cette formule et maintenant, surtout dans le temps des fêtes, le chœur a son propre concert, sans l’orchestre. Ça nous permet de travailler ensemble de façon plus régulière et d’assurer une continuité dans les activités du chœur.
M.F. : J’ai remarqué que vous étiez deux chefs de chœur, ce qui est assez inhabituel. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi ?
P.T. : Oui, je partage la responsabilité du chœur avec un autre chef, François Ouimet. Au départ, ceci venait nous aider dans la logistique et principalement la gestion des horaires très chargés de chacun. Par la suite, ça s’est transformé en réel travail d’équipe et on mise sur les forces de chacun pour le plus grand plaisir des choristes. De plus, c’est une très bonne pratique pour les membres du chœur qui doivent rapidement s’adapter à différents chefs d’orchestre lors des concerts.
M.F. : Pourquoi le Stabat Mater est rarement présenté?
P.T. : C’est une bonne question. En général, Dvorak n’est pas parmi les compositeurs extrêmement visités et pourtant il a été très prolifique. Il a écrit des opéras, une superbe messe, par exemple. C’est difficile à expliquer. Le Stabat Mater est une œuvre splendide qui, en plus, n’est pas particulièrement difficile à chanter pour le chœur. On peut davantage travailler sur la qualité sonore plutôt que sur les difficultés techniques. C’est certainement une question que le public va aussi se poser.
MF : En quelques mots, comment décririez-vous l’œuvre?
P.T. : Grandiose, méditative, nostalgique, avec une grande tristesse. Dvorak a écrit cette pièce suite au décès de ses deux enfants. On y retrouve un mélange de drame et d’espoir à la fois. L’œuvre ne se livre pas d’elle même, elle a besoin d’interprétation, pour en faire ressortir toutes les couleurs. C’est une musique assez lente en général. Quand on y met toute la dévotion nécessaire, c’est une merveille, un chef d’œuvre.
Le Stabat Mater s’écoute très facilement, car les mêmes thèmes reviennent régulièrement, dans chaque mouvement. On peut se laisser emporter sans s’y perdre. La beauté des thèmes nous amène ailleurs.
À noter aussi que les 4 solistes ont chacun leur mouvement à eux, et ce sont pratiquement des airs d’opéra, qui peuvent avoir une certaine familiarité avec l’air à la lune dans l’opéra Rusalka.
M.F. : Quel est le prochain concert du chœur ?
P.T. : Cet été au festival de Lanaudière, on va chanter la troisième messe en fa mineur d’Anton Bruchner (1824-1896)
M.F.: Merci!
Le Stabat Mater sera présenté à la Maison Symphonique ce dimanche 29 mars 2015 à 15 heures. Il ne reste pas beaucoup de billets. Vous pouvez acheter vos billets ici. Le concert sera également rediffusé sur les ondes d’Ici Musique le 1er avril prochain dans le cadre de l’émission Soirées classiques animée par Mario F. Paquet.
Bientôt à venir: ma recension critique du concert.
Marco Fortier

L’Aiglon : Le fils de Napoléon
Présenté à l’OSM jusqu’à samedi!
Hier soir, j’ai assisté à la 2e représentation du concert-opéra L’Aiglon : Le fils de Napoléon par l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM). Sous la direction de Kent Nagano, cet évènement abondamment annoncé était présenté dans la métropole en première nord-américaine.
La salle était presque pleine, avec des gens curieux et ouverts pour découvrir cette nouveauté tant attendue. Une distribution impressionnante presqu’entièrement québécoise, s’ajoute à l’orchestre :
- Anne-Catherine Gillet, soprano (L’Aiglon) (Belgique)
- Marc Barrard, baryton (Flambeau) (France)
- Étienne Dupuis, baryton (Metternich) (Québec)
- Philippe Sly, baryton (Marmont) (Québec)
- Pascal Charbonneau, ténor (L’attaché militaire) (Québec)
- Isaiah Bell, ténor (Gentz) (Canada – USA)
- Tyler Duncan, baryton (Prokesch) (Canada)
- Jean-Michel Richer, ténor (Sedlinsky) (Québec)
- Marianne Fiset, soprano (Thérèse) (Québec)
- Julie Boulianne, mezzo-soprano (Fanny Elssler and Marie-Louise) (Québec)
- Kimy McLaren, soprano (Comtesse Camerata) (Québec)
- Chœur de l’OSM Andrew Megill, chef de chœur de l’OSM (USA)
- Les petits chanteurs du Mont-Royal, sous la direction de Gilbert Patenaude (Québec)
- Daniel Roussel , mise en espace (France – Québec)
L’Aiglon ( de son vrai nom Napoléon François Charles Joseph Bonaparte) est à l’origine une pièce de théâtre écrite en 1900 par Edmond Rostand. C’est le surnom donné à titre posthume par Victor Hugo au fils unique de l’empereur Napoléon 1er et de sa seconde épouse l’archiduchesse Marie-Louise d’Autriche. Il est aussi connu comme le Roi de Rome, Napoléon II, Prince de Parme, ou encore le Duc de Reichstadt. Il n’avait que 4 ans au moment de l’abdication de son père en 1815, quand il fut nommé Napoléon II. Son règne fut très court car il fut rapidement chassé du trône par l’arrivée au pouvoir de Louis XVIII.
La pièce de théâtre de six actes raconte la quête identitaire du fils par rapport à son père. Ça ne devait pas être facile de faire sa place quand on est encore jeune et le fils de Napoléon 1er. Cet adolescent, qui a vécu la plus grande partie de sa vie en Autriche, rêve de la France et de mener plus loin les projets de son père. C’est en 1936 que les compositeurs Jacques Ibert (1890-1962) et Arthur Honegger (1892-1955) décident d’écrire conjointement un opéra sur le livret d’Henri Cain inspiré de l’œuvre d’Edmond Rostand. C’est exceptionnel à cette époque que deux compositeurs bien en vue joignent leurs efforts pour coécrire une œuvre. Présenté pour la première fois en 1937, cet opéra ne pourra par la suite être présenté en France sous l’Occupation. Heureusement, l’œuvre a été adaptée au théâtre et au cinéma à plusieurs reprises, lui permettant ainsi de ne pas totalement sombrer dans l’oubli.
Marie-Hélène Benoit-Otis, musicologue et assistant professeur à la Faculté de Musique de l’Université de Montréal, nous présente, dans les notes du concert qu’elle a rédigées, les cinq actes de l’opéra aux titres évocateurs :
Acte 1 : Les ailes qui s’ouvrent
L’opéra débute en 1831 à Vienne, dix ans déjà après la mort de Napoléon 1er. Marie-Louise, la mère de l’Aiglon, lui présente des conspirateurs qui vont l’inciter à retourner en France.
Acte 2 : Les ailes qui battent
Ces conspirateurs ne s’avèrent pas tous dignes de confiance et vont s’attaquer à son estime de soi.
Acte 3 : Les ailes meurtries
Ayant perdu son enthousiasme, l’Aiglon rencontre des gens qui lui raviveront son rêve de retourner en France.
Acte 4 : Les ailes brisées
Son projet de retourner en France est dénoncé. L’Aiglon est poursuivi et capturé par les autorités autrichiennes avant qu’il n’ait réussi à quitter Vienne.
Acte 5 : Les ailes fermées
L’opéra se termine en 1832, à peine quelques mois plus tard, avec le décès de l’Aiglon alors qu’on lui faisait le récit de ses trop brefs moments de gloire.
Je salue le choix judicieux et audacieux de Kent Nagano qui a choisi de présenter cet opéra malheureusement peu connu, et dont le seul enregistrement remonte à 1950, plutôt que de faire un xème enregistrement d’un opéra plus traditionnel. Les trois concerts sont enregistrés et serviront à graver un CD.
Ce fut clairement un événement réussi. La découverte en valait le déplacement. La musique est magnifique, accessible pour tous, naturellement théâtrale, souvent militaire, et tendre et mélancolique vers la fin. J’ai particulièrement aimé les actes IV et V. La partition, superbement exécutée par l’orchestre, de la scène de bataille entre l’armée française imaginaire et l’armée autrichienne bien en chair, pendant laquelle plusieurs mélodies différentes se chevauchent, est grandiose. Les lignes mélodiques, entourant le décès de l’Aiglon, sont belles, tristes et lumineuses.
Les voix sont toutes superbes et les chanteurs québécois font tous très bonne figure. La diction est impeccable et on comprend facilement tous les mots. Je dois souligner l’extraordinaire performance de la soprano Anne-Catherine Gillet, qui chante le rôle de l’Aiglon avec justesse, aplomb et charme. La qualité de sa voix et son jeu sont impeccables. Le baryton québécois Étienne Dupuis se démarque également par sa voix riche pouvant à la fois être percutante ou judicieusement retenue. Sa prestance théâtrale était pleine de finesse. Finalement, la mise en espace de Daniel Roussel est sobre, efficace et contribue à une meilleure compréhension de l’œuvre.
J’ai adoré ma soirée et vais certainement guetter la sortie du CD pour en acheter un exemplaire.
Le concert – opéra sera présenté une dernière fois le samedi 21 mars 2015 à 20 heures à la Maison Symphonique de Montréal. Il reste quelques billets que vous pourrez vous procurez en ligne ici. Je vous recommande d’y aller sans hésitation. C’est un événement rarissime et une œuvre magnifique que vous n’aurez pas souvent l’occasion d’entendre.
Marco Fortier

Ariane Moffatt : 22h22, à écouter sans restriction!
Mardi dernier était lancé 22h22, le 5e album d’Ariane Moffatt. Si les ambiances eighties et les sonorités électro-pop montrent une parenté claire avec MA, son précédent disque, notamment à cause de la présence des synthétiseurs, les percussions et les arrangements nous amènent ailleurs, dans un univers plus éclaté.
Les douze nouvelles pièces offrent un éventail varié d’influences et d’ambiances. Certaines aux arrangements complexes comme Rêve, Nostalgie des jours qui tombent dont les premières notes font penser au travail de Patrick Watson; d’autres comme Toute sa vie aux accents reggae, Debout et Miami à la pop franche et finalement, 22h22, Domenico et Les deux cheminées, des balades piano-voix aux arrangements dépouillés. En somme, Moffatt montre qu’elle peut jouer sur plusieurs registres à la fois.
Pour l’écriture de ses chansons, elle a fait appel à l’auteur, poète, interprète et journaliste Tristan Malavoy, à qui elle a offert un droit de regard éditorial sur ses textes. Une fois terminés, elle les lui a soumis pour s’assurer que, bien qu’elle traite de sujets très intimes, ils soient assez universels pour trouver écho auprès du public. Ce qu’ils ont réussi haut-la-main. Loin d’être hermétiques, les chansons traitent de sujets universels comme la mort, la peur de vieillir, la violence inouïe des « tireurs fous », tristement d’actualité ces jours-ci, l’itinérance, ainsi que les vertus de l’amour à deux à une époque où l’on jette après usage. Ces thèmes sont tous inspirés par les expériences que la vie lui a récemment offertes grâce à la maternité et constituent les ingrédients liants les chansons entre elles. Aussi, peut-être parce que ces dernières années elle a fait le choix de se dévoiler un peu plus auprès du public, on sent et reconnaît davantage Ariane Moffatt à travers ses chansons.
Je me suis d’ailleurs entretenue avec elle pour discuter de ce dernier disque et de sa nouvelle vie.
Maman de jumeaux depuis bientôt deux ans, vous vous êtes abondamment confiée sur les conditions parfois difficiles de la création de ce disque et les nouvelles contraintes de temps avec lesquelles vous avez dû composer dans le processus de création de ce dernier disque. Avez-vous eu peur de perdre l’inspiration, ou du moins que la maternité et la vie de famille transforment votre rapport à la création?
A.M. : Oui, carrément. C’est sûr qu’au début, quand j’ai commencé à reprendre le contrôle de ma vie après l’arrivée des jumeaux, j’ai eu assez peur d’être transformée à un point tel que je ne reconnaîtrais plus mes repères de création, que je serais toujours trop fatiguée pour m’y attarder.
Aussi, quels sujets allais-je aborder quand tout ce que j’ai vécu ces derniers temps tournait autour des soins donnés à deux petits bébés? Au départ, j’ai eu peur de ne pas avoir de sources auxquelles m’abreuver pour créer. Et puis, au contraire, quand j’ai repris le chemin du studio, l’inspiration est remontée à la surface. Beaucoup de ces émotions, des changements et prises de conscience m’ont nourrie : le rapport nouveau que j’entretiens avec le temps, la vie, la mort qui viennent avec ma nouvelle vie. Ce sont des sujets que j’abordais moins avant et qui me viennent maintenant naturellement. La matière était là. Il a juste fallu que je reprenne une routine de création. C’est sans doute la même chose avec toutes les disciplines et c’est comme le vélo : il faut s’y remettre tranquillement et ça ne se perd pas!
Quels sont ces fameux repères de création? Comment fait-on pour les retrouver?
A.M. : Le fait de s’asseoir devant l’ordinateur, de retrouver un rapport ludique à la musique et le plaisir de la recherche. Aussi, de ne pas être dans une quête de finalité immédiate, mais plutôt dans un état d’abandon face à l’inconnu. Il fallait surtout accepter que les contraintes de temps soient désormais plus serrées qu’avant. Je peux moins me permettre de périodes d’oisiveté, de liberté, de spontanéité.
Durant la création de l’album, je suis donc passée par plusieurs phases : Au début, juste d’avoir du temps pour moi, d’être face à mes machines et de composer, j’avais la sensation que tout était extraordinaire. Par la suite, après deux mois, c’était tout le contraire et tout me semblait mauvais! Sans vivre des tourments profonds, j’ai eu des moments d’angoisse et mes perceptions étaient biaisées. Pus un moment donné, le chemin s’est éclairci.
Parlez-nous des thèmes qui traversent cet album. J’ai été surtout frappée par le rapport au temps qui semble vous tarauder. Le temps qui passe, la jeunesse qui nous échappe, la peur de vieillir et aussi, l’heure de la sagesse qui a sonné. Ces thèmes reviennent notamment dans Retourner en moi et la très belle pièce Nostalgie des jours qui tombent qui me rejoint beaucoup. Est-ce que le temps passe trop vite?
A.M. : La chanson Nostalgie des jours qui tombent, a été écrite au lendemain de ma soirée d’anniversaire de mes 35 ans, quand j’ai ouvert un livre pour enfant qui appartient aux jumeaux. On y lit « Maman cœur », « Maman fleur » et différentes autres mamans. À ce moment-là, j’ai visualisé le mot « jeunesse » à la place de « maman » et voilà comment se sont écrites les premières paroles de la chanson .
Ma jeunesse fleur – Ma jeunesse coeur – En avril, s’étiole –
Est-ce que je l’enterre – Avant qu’elle ne s’envole ?
Ma jeunesse drame – Ma jeunesse flamme – Brûle dans le petit matin – Sur la rosée alcool –
Ma jeunesse spleen – Ma jeunesse dream – Se dissout – Se dérobe – Se déchire et me désole[i]
A.M. : L’idée d’avoir 35 ans m’est rentrée dedans et m’a fait vivre un petit spleen. Cette chanson est devenue celle des lendemains d’anniversaires qui nous rendent mélancoliques. Dans le refrain, je fais référence à la Joconde pour rappeler que l’art et la création nous rendent intemporels. Ils deviennent une sorte de refuge où l’enveloppe corporelle n’a plus d’importance.
Est-ce que les responsabilités nouvelles qui accompagnent le rôle de maman font en sorte que les moments de folie se font de plus en plus rares?
A.M. : Oui, mais on assimile ces changements en même temps qu’on apprend à devenir parent. Avant d’être mère, je n’ai pas manqué d’occasions de faire la fête. Par contre, je réalise qu’avant, je me projetais moins dans l’avenir, je ne pensais pas à l’idée de vieillir, ni à celle de mourir. Voir la vie qui pousse près de soi nous ramène à ces enjeux-là.
Après 15 ans de carrière, êtes-vous satisfaite du chemin parcouru jusqu’à présent?
A.M. : Oui, je suis satisfaite. Je ne sens pas les gens blasés devant ce que je propose et l’album semble bien accueilli. Aussi, je travaille vraiment fort pour demeurer authentique dans ma démarche et d’avoir une vraie quête artistique.
C’est vrai que malgré le temps qui passe, le public est toujours au rendez-vous, et pour cause! Il faut dire qu’en près de quinze ans de carrière, Ariane Moffatt affiche un parcours sans faute, où d’un album à l’autre, le succès est au rendez-vous. Au moment de leur sortie, chaque disque a marqué notre scène musicale et s’écoute tous aussi bien aujourd’hui. Fait remarquable : Ariane Moffatt est l’une des rares artistes à rallier à la fois le grand public et celui s’abreuvant à des sources un peu plus « champ gauche ». Et cela évidemment, bien avant sa participation à titre de coach à La Voix. Ce succès est amplement mérité puisqu’elle nous propose toujours une pop efficace et bien ficelée, tant au niveau des textes que des mélodies. Toujours dans le ton, à l’affût des tendances, elle n’a rien à envier aux vedettes pop anglophones.
L’album 22h22 est disponible en magasin, ainsi qu’en ligne sur le d’Archambault et ITunes. Pour une période de 3 mois, Ariane Moffatt a fait le choix de restreindre la diffusion en écoute libre de son album pour susciter la nécessaire prise de conscience sur les effets néfastes de la culture de la gratuité qui s’est installée ces dernières années. Je salue bien haut cette initiative. Il est plus que temps de revoir les règles du CRTC qui en matière de droits d’auteur et des redevances. Nous assistons à l’effritement du marché du disque, surtout causé par la progression fulgurante de l’offre des produits numériques qui ne connaît pas de frontières. Dans ces circonstances, il est de plus en plus difficile de se tailler une place au sein de l’industrie musicale où le succès et la longévité de la carrière d’Ariane Moffatt relèvent de plus en plus de l’exploit.
Au cours des prochains mois, Ariane Moffatt offrira une vingtaine de spectacles dans plusieurs villes du Québec. Les détails concernant sa tournée se trouvent ici. À noter qu’elle fera sa rentrée montréalaise le 22 mai au Métropolis.
[i] Paroles tirées de la chanson « Nostalgie des jours qui tombent », Ariane Moffatt, 22h22, Simon Records, 2015
Myriam D’Arcy

Crédit André Chevrier
Dans la lentille de Benoit Aquin: exposition sur Lac-Mégantic au Musée des beaux-arts de Montréal

Nous nous souvenons tous des tragiques évènements qui se sont déroulés dans la nuit du 5 au 6 juillet 2013, lorsqu’un convoi ferroviaire sans conducteur, chargé de pétrole brut léger a déraillé et explosé au centre-ville de Lac-Mégantic. Il s’en est suivi un violent incendie qui a ravagé le cœur de la ville. Le bilan humain et environnemental est lourd : près de six millions de litres de pétrole déversés ont contaminé le sol et la rivière Chaudière. Les Méganticois pleurent quarante-sept des leurs et plusieurs jours sont nécessaires pour identifier tous les disparus. Les jours suivants, le monde entier a été témoin de cette tragédie, la plus grave du genre à survenir en Amérique du Nord.
Du 18 février au 24 mai 2015, le Musée des beaux-arts de Montréal présente Benoit Aquin : Mégantic photographié. L’exposition est composée de près de 40 photographies alignées horizontalement sur trois des murs, se chevauchant à la manière d’une fresque. Sur le 4e mur, une seule photo montre des débris tordus, calcinés et méconnaissables. Ces photos, il faut les regarder de près et de loin pour en saisir toute l’intensité. Suite à ma visite de l’exposition, l’artiste et photographe Benoit Aquin a généreusement accepté de m’accorder une entrevue.

Crédit : Sébastien Roy
Source : Musée des beaux arts de Montréal
Né à Montréal en 1963, Benoit Aquin a étudié à la New England School of Photography de Boston. Depuis 2002, son travail est à la fois journalistique et artistique puisqu’il s’intéresse aux catastrophes naturelles et environnementales. Depuis, il a exposé ses œuvres portant sur de nombreux évènements qui ont tristement marqué le monde : en 2004, il s’est rendu en Indonésie pour réaliser une série de photos intitulées Tsunami; en 2005 il a voulu témoigner du réchauffement climatique du Grand Nord québécois; en 2007, il s’est intéressé à la crise alimentaire en Égypte; en 2008, il a gagné le Prix Pictet pour son exposition Chinese Dust Bowl; en 2010, il s’est aussi rendu en Haïti suite au tremblement de terre . À chaque fois, il en a résulté une série de photos autant saisissantes que marquantes.
Finalement, c’est en 2013 qu’il a décidé de plonger profondément dans la tragédie qui a secoué Lac-Mégantic et le Québec tout entier. Benoit Aquin est l’un des rares photographes ayant eu accès à la zone rouge de Lac-Mégantic et il s’y est rendu à plusieurs reprises suite aux évènements pour photographier les lieux. D’ailleurs, fait remarquable, The Gardian a identifié la photographie Zone d’exclusion(2), issue de cette exposition, comme l’une des quinze meilleures images des Rencontres d’Arles de 2014.
À mon avis, les photos de cette exposition appartiennent à trois catégories, que je qualifie ainsi : 1) les photos « Coups de poing » qui sont lourdes, sombres, choquantes. Elles nous remémorent l’intensité du drame et ravivent en nous les émotions de colère ressenties en 2013. Par la suite, celles que j’ai nommées « Coups de gueule » puisqu’elles me semblent plus descriptives que les précédentes. Toutes aussi percutantes, elles nous racontent l’éveil après la catastrophe, le constat des dégâts, le besoin de reconstruire… le chemin de fer. Finalement, les photos « Coups de cœur », celles qui expriment la beauté malgré le drame et l’espoir qui renaît.

Crédit : Benoit Aquin.
Source : Musée des beaux-arts de Montréal
M.F.: Quelles ont été vos motivations personnelles pour vous intéresser aux causes environnementales et aux catastrophes naturelles ?
BA : Les enjeux environnementaux sont au centre de mes préoccupations d’artiste depuis longtemps. C’est toujours la relation que nous avons avec notre environnement, social et écologique, que je trouve intéressant.
MF : Qu’est-ce qu’on ressent quand on est sur les sites de ces catastrophes ? Et est-ce qu’on s’y habitue ?
BA : C’est difficile à exprimer. La photographie me permet d’avoir un certain recul. Ce sont quand même toujours des moments très intenses. Je trouve frustrant de voir comment on traite notre rapport à la terre, à l’environnement et notre rapport aux autres. Ce sont souvent des souffrances qui pourraient être évitées. Je ressens une certaine désolation. Non, on ne s’habitue pas. C’est choquant à chaque fois.
MF : Quels sont les points communs entre la tragédie de Lac-Mégantic et les autres que vous avez photographiées ?
BA : Les catastrophes auxquelles je me suis intéressé étaient causées par les humains, sauf pour le tsunami en Asie et le tremblement de terre en Haïti. Je m’intéresse à ces sujets comme démonstration du temps qui passe sur notre civilisation. Mon travail est une tentative pour provoquer une réflexion sur l’existence. Je ne cherche pas à tomber dans le « pathos ». Je me vois davantage comme un observateur et un recueillant de pièces archéologiques.
MF : Comme québécois, est-ce que le regard sur la tragédie de Lac-Mégantic était différent de celui des autres événements ?
BA : Je l’ignore…. Probablement. J’essaie quand même de travailler avec la même rigueur et le même professionnalisme. C’est certain que les contacts sont plus faciles quand on parle la même langue. Ça m’a permis de travailler plus intensément, sur une période d’un an et de faire 15 à 20 voyages sur le site.
MF : Dans l’exposition, il y a une quarantaine de photographies qui sont certainement une sélection parmi un plus grand nombre. Combien y en avait-il au total et comment les avez-vous sélectionnées ?
BA : Je n’ai pas comptabilisé la quantité de photos mais ce sont des milliers. La sélection se fait sur une longue période. On doit vivre avec les images. C’est un processus qui prend du temps. Ça ne sert à rien de le bousculer. À la prise de vue, le travail est plus intuitif, par la suite il devient plus cérébral. Pour le projet Mégantic, l’utilisation du « flash » a unifié beaucoup le travail. Le « flash » est devenu métaphorique avec le temps. C’est un peu comme si j’avais éclairé ce qu’on nous cachait, ce qui était dans l’ombre. Longtemps j’ai pensé qu’on a tout fait pour que Lac-Mégantic ne devienne pas un martyr industriel.
MF : Est-ce que parmi les 40 photos de l’exposition, vous en avez une préférée ou une plus précieuse que les autres ?
BA : Non, pas vraiment, non, non. Ça change selon nos émotions. Ça varie. Il y en a toujours plusieurs qu’on aime.

Crédit : Benoit Aquin.
Source : Musée des beaux-arts de Montréal
MF : Quand vous avez photographié l’homme souriant tenant une fleur blanche, qu’aviez-vous en tête ? Est-ce que la photo était mise en scène ou elle était spontanée ?
BA : Non, la photo n’a pas été mise en scène. L’homme rentrait chez lui après avoir acheté une fleur pour donner à sa belle-mère qui venait de se faire opérer. Pour moi, c’était peut-être une poésie plus féminine comparativement aux autres images plus dures. De la façon dont la fresque a été construite, chaque photo est comme une note de musique, et chaque note a sa propre vibration. C’est une image plus chaleureuse, plus joyeuse. En plus, ça me permettait de faire la transition vers la photo suivante qui est une plante contaminée près de la rivière Chaudière.
MF : Que souhaitez-vous que le public retienne de cette exposition?
BA : J’espère que les gens vont être touchés. J’aimerais que mon travail provoque des réflexions sur le sens de la vie. Je pense qu’après cette tragédie, on aurait dû faire un bilan des errances de notre société de consommation. Ça ne s’est pas fait. On a mis des bandages pour soigner les blessures. Mais tout continue comme avant. Il y a peut-être certaines modifications dans la sécurité des systèmes ferroviaires. Mais il n’y a toujours pas de politique pour économiser l’énergie et réduire notre dépendance aux énergies fossiles.
MF : Quels sont vos prochains projets ?
BA : Je travaille sur l’agriculture au Québec, sur le bassin versant de la rivière Yamaska, et, avec une équipe, sur la crise alimentaire dans le monde. Tous ces projets sont encore au stade de la création.
Cette exposition est présentée au Musée des beaux-arts de Montréal jusqu’au 24 mai 2015.
Marco Fortier
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INVITATION SPÉCIALE
Le Musée des beaux-arts de Montréal invite les lecteurs de Coups de cœur d’ici à une soirée toute spéciale. La nocturne du mercredi 11 mars 2015, entre 17 heures et 21 heures, permettra de visiter l’exposition Merveilles et mirages de l’orientalisme à demi prix, soit 10 $. Pour ajouter à l’expérience orientale, le Musée offrira, à cette occasion, le thé marocain et le tatouage au henné. Ce sera l’occasion parfaite pour visiter l’exposition Benoit Aquin : Mégantic photographié! IMPRIMEZ CETTE INVITATION SPÉCIALE ET PRÉSENTEZ-LA À LA BILLETTERIE DU MUSÉE EN ACHETANT VOTRE BILLET ET ON VOUS REMETTRA UNE PETITE BOÎTE DE THÉ MAROCAIN. (Jusqu’à épuisement des stocks)

Source : Musée des beaux-arts de Montréal
Chorus: entre ombre et lumière
Il y a quelques jours prenait l’affiche le très attendu Chorus, dernier opus de François Delisle (Le bonheur c’est une chanson triste, Deux fois une femme, Le météore) qui a clôturé les derniers Rendez-vous du cinéma québécois. Le film raconte le deuil de Christophe (Sébastien Ricard) et Irène (Fanny Malette), dont leur fils Hugo, 8 ans, est décédé 10 ans auparavant dans des circonstances jusqu’alors jamais élucidées. Les premières scènes présentent les aveux de l’assassin d’Hugo, grâce à qui les restes de l’enfant sont retrouvés. Durant toutes ces années, les deux parents ne sont pas parvenus à reprendre leur cours normal de leur existence : Christophe a fui sa peine au Mexique, là où il a cherché en vain un peu de réconfort et Irène a trouvé en la musique et le chant un exutoire à ce mal qui la ronge nuit et jour.
Le film est divisé en trois actes qui déterminent la suite du récit. D’abord, la découverte du corps de leur fils force la réunion des parents dont le couple a volé en éclats suite au drame. Ensuite, la cérémonie funèbre enfin célébrée permet à Christophe et Irène d’entamer ce deuil qu’ils n’auraient pu faire autrement et d’envisager l’avenir. C’est aussi à ce moment qu’ils réussissent faire la paix, entre eux et avec le passé. Finalement, la rencontre d’Antonin, l’ami d’enfance d’Hugo offre un peu de lumière en ces jours sombres.
Le film est remarquable à plusieurs niveaux. D’abord, le récit est efficace et ne verse pas inutilement dans le mélodrame. Les évènements qui s’enchaînent sont crédibles et touchent droit au cœur. Pour leur part, les acteurs offrent tous une solide performance, juste, toute en retenue et émouvante. En plus de Fanny Malette et Sébastien Ricard, les personnages secondaires, la mère d’Irène campée par Geneviève Bujold, et surtout, Pierre Curzi, qui incarne le père de Christophe, sont forts et crédibles.
Tournées en noir et blanc, les images sont lumineuses et magnifiques. Elles offrent un contrepoids saisissant et salutaire avec le propos sombre. Aussi, les plans filmés au Mexique en été contrastent fort bien avec ceux de Montréal enneigé.
Depuis sa sortie, Chorus a reçu une pluie d’éloges, tant au Festival de Sundance qu’à la Berlinale où il a été présenté un peu plus tôt en février. Malgré ce succès international et considérant la puissance de l’œuvre qui aborde un sujet accessible au grand public, il est regrettable de constater qu’il n’est disponible que dans trop peu de salles à travers le Québec. Espérons malgré tout que le succès sera au rendez-vous.
L’horaire des projections de Chorus dans la grande région de Montréal est disponible ici.
Myriam D’Arcy

Crédit André Chevrier
Sauvons la Cinémathèque québécoise!
Vendredi dernier, Le Devoir nous annonçait qu’un mariage forcé allait peut-être être conclu entre la Cinémathèque québécoise et Bibliothèque et Archives nationales du Québec pour minimiser les coûts de gestion des deux organismes.
La nouvelle a été publiée après qu’une lettre adressée au Premier ministre et signée par quelques artisans du cinéma bien en vue, dont Denys Arcand et Micheline Lanctôt, a circulé sur les réseaux sociaux. Ceux-ci se disent alarmés par pareille fusion entre deux organismes qui ne poursuivraient pas la même mission. Pour ma part, le vrai scandale réside dans l’inaccessibilité des œuvres et des collections de la Cinémathèque qui, faute de moyens, est réduit à n’être qu’un lieu de dépôt légal pour les films produits au Québec. Contrairement à l’Office national du film (ONF) qui a très bien pris le virage numérique, depuis la fermeture de la Ciné-robothèque, les collections de la Cinémathèque s’empoussièrent sur ses tablettes sans qu’on ne puisse les consulter. Évidemment, c’est le manque de ressources financières de l’institution qui en est la cause.
Le gouvernement du Québec doit prendre ses responsabilités en finançant adéquatement la Cinémathèque pour lui redonner ses lettres de noblesse, pour qu’elle joue un rôle plus actif, de premier plan, dans la conservation et la diffusion du patrimoine cinématographique québécois. Je suis parfaitement d’accord avec les cinéastes interviewés dans cet article: dans tous les États normaux, on fait une priorité de la conservation du patrimoine national.
Du côté de BANQ, grâce aux ressources alloués à la numérisation de ses collections, notamment plusieurs journaux, on procède à une vaste entreprise de numérisation des archives et collections qui facilite grandement le travail des historiens et autres chercheurs.

J’ignore si ce mariage forcé est la solution pour assurer la survie de la Cinémathèque et garder ses activités pertinentes à l’ère du 2.0, mais une chose est certaine, on doit hausser son financement. Aussi utile et louable soit le projet Éléphant, ce n’est pas normal qu’une entreprise privée se soit sentie obligée de se substituer à l’État en se donnant pour mission de numériser l’ensemble des œuvres de fiction d’ici. D’ailleurs, si l’on en croit les signataires de la lettre, la Cinémathèque peine à répondre aux demandes de celle d’Éléphant, ce qui ralenti considérablement son travail.
Il faudrait donc que le milieu du cinéma se mobilise et interpelle la ministre de la Culture, de même que le Premier ministre pour exiger que la Cinémathèque reçoive le financement nécessaire à la préservation et diffusion de ses collections. Aucune entreprise d’assainissement des finances publiques ne devrait justifier qu’on sacrifie un pan de notre mémoire collective pour quelques économies de bouts de chandelles. Lorsqu’il était aux commandes de l’État, Lucien Bouchard l’avait bien compris en octroyant les ressources nécessaires à la construction de la Grande Bibliothèque, désormais une institution culturelle phare qui fait la fierté des Québécois. Aujourd’hui, c’est elle qu’on appelle au chevet de la Cinémathèque qui mérite autant de considération et de moyens pour réaliser une mission.
Myriam D’Arcy

Crédit André Chevrier
Carnets des Rendez-vous du cinéma Québécois (3) : suite et fin!
CAPHARNAÜM
Samedi le 28 février 2015, dernière journée des Rendez-vous du cinéma québécois, j’ai assisté aux courts métrages présentés dans le cadre du programme Capharnaüm à la salle Claude Jutra de la Cinémathèque québécoise. Huit courts métrages ont été présentés, variant de quatre à dix-neuf minutes. La salle était presque pleine. On reconnaissait les mêmes visages fidèles et ça sentait l’excitation de la fin de cette semaine super active.
La plupart des films n’avaient pas d’histoire à proprement parler, mais visaient plutôt à nous présenter de belles images et nous faire ressentir des émotions sans nécessairement les mettre en contexte. On se laisse emporter par la danse, la descente aux enfers de la drogue, l’adolescence en planche à neige, l’attente ou encore les voyages. Par contre, deux films proposaient un scénario qui racontait une histoire plus élaborée. Ils font partie de mes trois coups de cœur dont je souhaite vous entretenir.
Je suis une actrice
Benoit Lach – Je suis une actrice (Blachfilms, 2014, 8 mins)

Source : Benoit Lach – Crédit : Olivier Gossot.
De loin, mon premier coup de cœur va à Je suis une actrice du réalisateur, producteur et scénariste Benoit Lach, co-écrit avec Vincent Lafortune. Le film a gagné le prix de la meilleure comédie court métrage en 2014 au Rhodes Island International Film Festival.
Que ne ferait pas une jeune actrice pour décrocher un rôle? Le scénario est drôle, original et percutant. L’humour est intelligent et porteur d’une certaine réflexion sur les relations qui peuvent se développer entre des réalisateurs établis et de jeunes acteurs qui débutent leur carrière. Le dialogue est coloré et les silences éloquents. Les deux actrices sont excellentes et resplendissantes : Jade-Mariuka Robitaille dans le rôle de l’étudiante déterminée et Sophie Faucher en réalisatrice guru à la recherche de disciples inconditionnels. La qualité de l’image englobe bien le tout. J’ai ri et adoré! Vraiment, bravo!
À noter que le film sera projeté prochainement au festival Regard sur le court métrage au Saguenay du 11 au 15 mars 2015.
Bounce, this is not a free style movie
Guillaune Blanchet – Bounce (Travelling, 2014, 4 mins)

Crédit photo : Guillaume Blanchet
Mon second coup de cœur va à Bounce, this is not a freestyle movie dont le réalisateur propose « rebond » comme traduction française. Guillaume Blanchet nous provient du milieu de la publicité parisienne. Il y a six mois, il a fièrement reçu, sa citoyenneté canadienne et travaille maintenant comme concepteur-rédacteur et réalisateur indépendant. Pendant deux ans, il a voyagé avec, pour seul compagnon, son ballon de soccer. On les voit, la plupart du temps seuls, déambuler un peu partout à travers le monde. Chaque fois qu’il le botte le ballon, il se voit téléporté ailleurs. Sans qu’on ait le temps de reconnaître l’endroit, les images s’enchaînent rapidement.. Par contre, le mouvement est continu, comme si la trajectoire du réalisateur-comédien et de son ballon ne subissait aucune interruption d’un pays à l’autre. Bounce est un film sans parole et prend une toute autre dimension humaine pendant le générique où on y voit, avec humour, les personnes rencontrées durant le tournage, toutes souriantes et volontaires.
Le film sera prochainement projeté au:
- Flatpack International Film Festival à Birmingham, UK du 19 au 29 mars 201
- Base court en Suisse en mai 2015
- Festival de cinéma pour enfants de Québec du 27 février au 8 mars
- International Footbal Film Festival de Berlin, Allemagne
Les cennes chanceuses
Émilie Rosas – Les cennes chanceuses (Travelling, 2014, 17 min)

Crédit photo : Pierre-Luc Asselin
Mon troisième et dernier coup de cœur de cette série va à Les cennes chanceuses de la réalisatrice Émilie Rosas, diplômée de l’UQAM en cinéma et de l’INIS en réalisation. Un jeune garçon est négligé par les adultes qui l’entourent. Toutefois, la conclusion est pleine d’espoir. La distribution est composée de Mathieu Gagné (le jeune garçon), Rosalie Gaucher (la jeune fille), Hélène Florent (la mère), David Boutin (le père) et Michel Charrette (un ami des parents). On est touché par ce petit garçon vivant dans un contexte familial difficile et qui demeure intègre dans ses valeurs et ses sentiments.
Le film sera également projeté au :
- BUFF Int. Children and Young People’s Film Festival en Suède du 9 au 14 mars 2015
- Regard sur le Court métrage du 11 au 15 mars 2015
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FICTIONS DU RÉEL
Cette deuxième série de courts métrages fut présentée le samedi 28 février 2015 à la salle Claude Jutra de la Cinémathèque québécoise. D’une durée variant entre 15 et 49 minutes et regroupés sous le thème Fictions du réel, on y présente trois histoires aussi différentes les unes que les autres, et dont on discerne difficilement le vrai du faux.
Encore une fois la salle était pleine. Pour le bonheur des spectateurs, les trois réalisateurs étaient présents et en ont profité pour remercier leur équipe de tournage ainsi que le public. Comble de malchance, l’alarme d’incendie a résonné pendant la projection du second court métrage et nous avons dû évacuer les lieux pendant une vingtaine de minutes. Heureusement, rien de grave. Nous avons finalement pu retrouver nos places pour enfin profiter de ces dernières projections.
La douce agonie d’un désir dérobé
Emmanuel Létourneau Jean et Alexandre Prieur-Grenier – La douce agonie d’un désir dérobé (Nesto Cienfuegos, 2014, 45 mins)
Mon seul coup de cœur de cette série va à La douce agonie d’un désir dérobé des réalisateurs Emmanuel Létourneau Jean et Alexandre Prieur-Grenier, aussi scénariste. Quatre amies d’enfance, à l’aube de la trentaine, partagent un repas chez l’une d’entre elles. Au cours des discussions, alcool aidant, elles décident de révéler à tour de rôle un secret qu’elles n’ont jamais dit à personne.

Crédit photo : Martin Leduc-Poirier
Bien honnêtement, j’ai tout d’abord été agacé par le niveau de langage puéril où les mots « genre » et fucking » sont présents constamment, voire plusieurs fois dans la même phrase. Mais j’ai soudainement reconnu, dans leur style et façon de s’exprimer, des jeunes filles de mon entourage et me suis donc laissé séduire. On oublie que ce sont des actrices et on a l’impression d’être avec elles, un peu en retrait peut-être, mais bien présent. Elles parlent tout naturellement, souvent toutes en même temps. Elles sont vraies, sympathiques, drôles et touchantes. On ne reste pas indifférent à leurs histoires et elles nous font passer par toutes sortes d’émotions.
J’ai adoré. Bravo au scénariste, aux réalisateurs et bien sûr aux quatre actrices : Marie-Emmanuelle Boileau, Alexa-Jeanne Dubé, Marie-Pier Favreau-Chalifour et Catherine Paquin-Béchard.
C’est déjà la fin de cette 33ème édition du Rendez-vous du Cinéma Québécois. Ce fut une première et agréable expérience pour moi que je souhaite bien répéter l’an prochain.
Bientôt à venir : un article sur l’exposition Benoit Aquin : Mégantic photographié au Musée des beaux-arts et un autre sur le dernier concert de l’ensemble vocal À Contrevoix, lors de la nuit blanche à Montréal.
Marco Fortier
