22h22
Ariane Moffatt : 22h22, à écouter sans restriction!
Mardi dernier était lancé 22h22, le 5e album d’Ariane Moffatt. Si les ambiances eighties et les sonorités électro-pop montrent une parenté claire avec MA, son précédent disque, notamment à cause de la présence des synthétiseurs, les percussions et les arrangements nous amènent ailleurs, dans un univers plus éclaté.
Les douze nouvelles pièces offrent un éventail varié d’influences et d’ambiances. Certaines aux arrangements complexes comme Rêve, Nostalgie des jours qui tombent dont les premières notes font penser au travail de Patrick Watson; d’autres comme Toute sa vie aux accents reggae, Debout et Miami à la pop franche et finalement, 22h22, Domenico et Les deux cheminées, des balades piano-voix aux arrangements dépouillés. En somme, Moffatt montre qu’elle peut jouer sur plusieurs registres à la fois.
Pour l’écriture de ses chansons, elle a fait appel à l’auteur, poète, interprète et journaliste Tristan Malavoy, à qui elle a offert un droit de regard éditorial sur ses textes. Une fois terminés, elle les lui a soumis pour s’assurer que, bien qu’elle traite de sujets très intimes, ils soient assez universels pour trouver écho auprès du public. Ce qu’ils ont réussi haut-la-main. Loin d’être hermétiques, les chansons traitent de sujets universels comme la mort, la peur de vieillir, la violence inouïe des « tireurs fous », tristement d’actualité ces jours-ci, l’itinérance, ainsi que les vertus de l’amour à deux à une époque où l’on jette après usage. Ces thèmes sont tous inspirés par les expériences que la vie lui a récemment offertes grâce à la maternité et constituent les ingrédients liants les chansons entre elles. Aussi, peut-être parce que ces dernières années elle a fait le choix de se dévoiler un peu plus auprès du public, on sent et reconnaît davantage Ariane Moffatt à travers ses chansons.
Je me suis d’ailleurs entretenue avec elle pour discuter de ce dernier disque et de sa nouvelle vie.
Maman de jumeaux depuis bientôt deux ans, vous vous êtes abondamment confiée sur les conditions parfois difficiles de la création de ce disque et les nouvelles contraintes de temps avec lesquelles vous avez dû composer dans le processus de création de ce dernier disque. Avez-vous eu peur de perdre l’inspiration, ou du moins que la maternité et la vie de famille transforment votre rapport à la création?
A.M. : Oui, carrément. C’est sûr qu’au début, quand j’ai commencé à reprendre le contrôle de ma vie après l’arrivée des jumeaux, j’ai eu assez peur d’être transformée à un point tel que je ne reconnaîtrais plus mes repères de création, que je serais toujours trop fatiguée pour m’y attarder.
Aussi, quels sujets allais-je aborder quand tout ce que j’ai vécu ces derniers temps tournait autour des soins donnés à deux petits bébés? Au départ, j’ai eu peur de ne pas avoir de sources auxquelles m’abreuver pour créer. Et puis, au contraire, quand j’ai repris le chemin du studio, l’inspiration est remontée à la surface. Beaucoup de ces émotions, des changements et prises de conscience m’ont nourrie : le rapport nouveau que j’entretiens avec le temps, la vie, la mort qui viennent avec ma nouvelle vie. Ce sont des sujets que j’abordais moins avant et qui me viennent maintenant naturellement. La matière était là. Il a juste fallu que je reprenne une routine de création. C’est sans doute la même chose avec toutes les disciplines et c’est comme le vélo : il faut s’y remettre tranquillement et ça ne se perd pas!
Quels sont ces fameux repères de création? Comment fait-on pour les retrouver?
A.M. : Le fait de s’asseoir devant l’ordinateur, de retrouver un rapport ludique à la musique et le plaisir de la recherche. Aussi, de ne pas être dans une quête de finalité immédiate, mais plutôt dans un état d’abandon face à l’inconnu. Il fallait surtout accepter que les contraintes de temps soient désormais plus serrées qu’avant. Je peux moins me permettre de périodes d’oisiveté, de liberté, de spontanéité.
Durant la création de l’album, je suis donc passée par plusieurs phases : Au début, juste d’avoir du temps pour moi, d’être face à mes machines et de composer, j’avais la sensation que tout était extraordinaire. Par la suite, après deux mois, c’était tout le contraire et tout me semblait mauvais! Sans vivre des tourments profonds, j’ai eu des moments d’angoisse et mes perceptions étaient biaisées. Pus un moment donné, le chemin s’est éclairci.
Parlez-nous des thèmes qui traversent cet album. J’ai été surtout frappée par le rapport au temps qui semble vous tarauder. Le temps qui passe, la jeunesse qui nous échappe, la peur de vieillir et aussi, l’heure de la sagesse qui a sonné. Ces thèmes reviennent notamment dans Retourner en moi et la très belle pièce Nostalgie des jours qui tombent qui me rejoint beaucoup. Est-ce que le temps passe trop vite?
A.M. : La chanson Nostalgie des jours qui tombent, a été écrite au lendemain de ma soirée d’anniversaire de mes 35 ans, quand j’ai ouvert un livre pour enfant qui appartient aux jumeaux. On y lit « Maman cœur », « Maman fleur » et différentes autres mamans. À ce moment-là, j’ai visualisé le mot « jeunesse » à la place de « maman » et voilà comment se sont écrites les premières paroles de la chanson .
Ma jeunesse fleur – Ma jeunesse coeur – En avril, s’étiole –
Est-ce que je l’enterre – Avant qu’elle ne s’envole ?
Ma jeunesse drame – Ma jeunesse flamme – Brûle dans le petit matin – Sur la rosée alcool –
Ma jeunesse spleen – Ma jeunesse dream – Se dissout – Se dérobe – Se déchire et me désole[i]
A.M. : L’idée d’avoir 35 ans m’est rentrée dedans et m’a fait vivre un petit spleen. Cette chanson est devenue celle des lendemains d’anniversaires qui nous rendent mélancoliques. Dans le refrain, je fais référence à la Joconde pour rappeler que l’art et la création nous rendent intemporels. Ils deviennent une sorte de refuge où l’enveloppe corporelle n’a plus d’importance.
Est-ce que les responsabilités nouvelles qui accompagnent le rôle de maman font en sorte que les moments de folie se font de plus en plus rares?
A.M. : Oui, mais on assimile ces changements en même temps qu’on apprend à devenir parent. Avant d’être mère, je n’ai pas manqué d’occasions de faire la fête. Par contre, je réalise qu’avant, je me projetais moins dans l’avenir, je ne pensais pas à l’idée de vieillir, ni à celle de mourir. Voir la vie qui pousse près de soi nous ramène à ces enjeux-là.
Après 15 ans de carrière, êtes-vous satisfaite du chemin parcouru jusqu’à présent?
A.M. : Oui, je suis satisfaite. Je ne sens pas les gens blasés devant ce que je propose et l’album semble bien accueilli. Aussi, je travaille vraiment fort pour demeurer authentique dans ma démarche et d’avoir une vraie quête artistique.
C’est vrai que malgré le temps qui passe, le public est toujours au rendez-vous, et pour cause! Il faut dire qu’en près de quinze ans de carrière, Ariane Moffatt affiche un parcours sans faute, où d’un album à l’autre, le succès est au rendez-vous. Au moment de leur sortie, chaque disque a marqué notre scène musicale et s’écoute tous aussi bien aujourd’hui. Fait remarquable : Ariane Moffatt est l’une des rares artistes à rallier à la fois le grand public et celui s’abreuvant à des sources un peu plus « champ gauche ». Et cela évidemment, bien avant sa participation à titre de coach à La Voix. Ce succès est amplement mérité puisqu’elle nous propose toujours une pop efficace et bien ficelée, tant au niveau des textes que des mélodies. Toujours dans le ton, à l’affût des tendances, elle n’a rien à envier aux vedettes pop anglophones.
L’album 22h22 est disponible en magasin, ainsi qu’en ligne sur le d’Archambault et ITunes. Pour une période de 3 mois, Ariane Moffatt a fait le choix de restreindre la diffusion en écoute libre de son album pour susciter la nécessaire prise de conscience sur les effets néfastes de la culture de la gratuité qui s’est installée ces dernières années. Je salue bien haut cette initiative. Il est plus que temps de revoir les règles du CRTC qui en matière de droits d’auteur et des redevances. Nous assistons à l’effritement du marché du disque, surtout causé par la progression fulgurante de l’offre des produits numériques qui ne connaît pas de frontières. Dans ces circonstances, il est de plus en plus difficile de se tailler une place au sein de l’industrie musicale où le succès et la longévité de la carrière d’Ariane Moffatt relèvent de plus en plus de l’exploit.
Au cours des prochains mois, Ariane Moffatt offrira une vingtaine de spectacles dans plusieurs villes du Québec. Les détails concernant sa tournée se trouvent ici. À noter qu’elle fera sa rentrée montréalaise le 22 mai au Métropolis.
[i] Paroles tirées de la chanson « Nostalgie des jours qui tombent », Ariane Moffatt, 22h22, Simon Records, 2015
Myriam D’Arcy

Crédit André Chevrier