Gaston Miron : la poésie pour ne pas mourir
(Texte publié sur le site de Plateau arts et culture le 17 mars 2014)
Vendredi soir dernier, j’ai assisté à la première de l’audacieux et bouleversant documentaire Miron : un homme revenu d’en dehors du monde du réalisateur Simon Beaulieu, documentaire qui rappelons-le a clôturé la dernière édition des Rendez-vous du cinéma québécois.
Ceux qui ont vu son documentaire précédent consacré à Gérald Godin s’attendront sans doute à un portrait journalistique du poète mais il n’en n’est rien. Dans une forme efficace et très originale qui fait tantôt appel aux images d’archives, tantôt à des effets spéciaux, Simon Beaulieu prend le pari de nous faire voir le Québec, son peuple et son histoire à travers le regard, les mots et la poésie de Miron. Ce procédé non conventionnel fait dire au réalisateur que son film se trouve à mi-chemin entre le documentaire et l’essai visuel.
Le spectateur se sent projeté dans la tête de Miron qui récite ses plus grands poèmes en même temps que défilent des images de foules tirées de nombreux documentaires de l’Office national du film. Beaulieu explique avoir visionné presque tous les films disponibles à l’ONF pour en extraire les images d’archives retenues pour son documentaire et que nous avons trouvées bouleversantes. Défricheurs, draveurs, laboureurs, travailleurs d’usine, manifestants, et participants aux grands rassemblements politiques… l’histoire du Québec en construction, puis, en ébullition défile sous nos yeux. C’est donc un double hommage qui est rendu : à Miron d’abord, mais aussi à ces hommes et femmes qui ont bâti le Québec.
En s’attardant au peuple canadien-français puis québécois dans sa lutte pour la survivance et l’émancipation nationale plutôt que sur la vie de Miron, Beaulieu affirme avoir voulu rester fidèle au poète dont l’œuvre est écrite au « nous ». Ainsi, le réalisateur veut montrer que la littérature et la poésie de Miron portait en elle-même toute l’histoire du Québec.
Le réalisateur a fait une sélection judicieuse des lectures de poèmes. Pensons notamment à l’interprétation solennelle de « Compagnons des Amériques » qui résonne tel un appel à la résistance, un ton plus juste que l’adaptation en chanson faite par Richard Séguin dans le cadre des Douze hommes rapaillés dont la mélodie et les arrangements ne servent pas le texte.
Au visionnement du film, deux sentiments nous assaillent sans jamais nous quitter : une infinie tristesse, celle du poète, du peuple qui « n’en finit jamais de ne pas naître » jusqu’à devenir insoutenable pour nous, spectateurs. Cette « vie agonique » que combat Miron par son art et sa poésie afin d’inscrire l’histoire du Québec dans la durée plutôt que la mort. Beaulieu résume l’engagement de Miron en le citant : « J’affirme que ma différence au monde c’est ma culture et cette culture est un enrichissement au patrimoine universel ».
Et l’autre sentiment, la solitude, celle que Miron a cherché à vaincre toute sa vie dans son infatigable quête amoureuse est très habilement représentée par un couple dansant en silence de manière mécanique, presque déshumanisée.
Faire vivre la culture québécoise
Ouvertement engagé, Beaulieu prend parti en faveur de l’indépendance du Québec. Pour expliquer ses convictions, il cite Gaston Miron de mémoire : « Tant et aussi longtemps qu’on n’aura pas une expression politique qui nous informe au monde et dans le monde on va être en deçà de la réalité et on ne pourra pas se réaliser pleinement et autant individuellement et collectivement ». Pour réussir, le projet d’indépendance doit être enthousiaste et positif. Et selon lui, la meilleure manière d’y arriver est de faire la promotion de l’histoire et de la culture québécoises. Il faut collectivement savoir qui nous sommes et en être fiers pour inciter les derniers arrivés à dire « nous » et faire leur la culture québécoise.
À travers ses films sur Gérald Godin et Gaston Miron, Simon Beaulieu souhaite donc transmettre une mémoire, notamment celle de la lutte pour l’émancipation nationale, mais aussi, mener une réflexion sur l’avenir de la culture québécoise qu’il sent menacée. Grâce à la poésie exceptionnelle de Miron ainsi qu’aux cinéastes à qui il rend hommage dans son film, le réalisateur veut montrer à quel point notre culture peut être grande et nous distingue des autres cultures nationales.
À la sortie du film, nous sommes tenaillés par le même sentiment d’urgence que Miron: celui qu’il faille combattre coûte que coûte l’acculturation des Québécois pour ne pas disparaître.
Simon Beaulieu est un cinéaste de grand talent qui traite avec érudition, intelligence et pertinence de ses sujets. Son œuvre cinématographique constitue une référence incontournable et essentielle pour comprendre l’histoire récente du Québec. Sans hésitation, Miron : un homme revenu d’en dehors du monde est un hommage à la hauteur du poète.
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Myriam D’Arcy

Crédits André Chevrier