Plus tard qu’on pense

La tarte au sucre de Fred Pellerin

Publié le Mis à jour le

Crédit : Laurence Labat
Crédit : Laurence Labat

La semaine dernière, Fred Pellerin nous offrait Plus tard qu’on pense, son troisième disque solo, réalisé par son ami et complice Jeannot Bournival. Il s’agit de son meilleur album à ce jour, un petit bijou qui s’apprécie davantage à chaque écoute. Les arrangements dépouillés, les cordes et le son acoustique des guitares servent très bien les textes poétiques d’une grande beauté qui vont droit au cœur. À peine une semaine après sa sortie, le disque s’est écoulé à près de 20 000 exemplaires, empêchant ainsi One direction, le boys band américain de trôner au sommet du palmarès comme partout dans le monde.

En plus de signer trois chansons, Pellerin a sollicité la collaboration d’auteurs de grand talent : René-Richard Cyr qui avait offert la très belle pièce Il faut que tu saches sur son album précédent, David Portelance (Tenir debout) et Léon Bigras. Trois très belles reprises s’ajoutent aux compositions originales, soit Le grand cerf-volant de Gilles Vigneault, Cajuns de l’an 2000 de Stephen Faulkner et J’espère de pas tomber en amour avec toi de Tom Waits, traduite par David Portelance. À travers les douze pièces offertes, Pellerin aborde des thèmes qui lui sont chers : le temps qui passe, la famille, la nécessaire transmission, la solidarité, à travers lesquels il invite à prendre son destin en main, collectif et personnel.

FredPellerin_cover_PlustardquonpenseSa carrière d’auteur-compositeur-interprète, Fred Pellerin la mène en toute humilité, et même, à contre-courant dans un contexte où l’industrie du disque est secouée par de sérieuses turbulences. Les ventes de ses deux derniers albums réunis totalisent plus de 240 000 exemplaires sans avoir été accompagnés de spectacles et sans que ses chansons ne tournent à la radio. Il s’agit d’un véritable exploit qui témoigne du lien unique et privilégié qu’il a su tisser avec le public québécois, qui ne se dément pas au fil des années et des projets.

Il y a quelques jours, j’ai eu la chance de m’entretenir avec Fred Pellerin pour discuter de ce nouvel opus, mais aussi du rapport qu’entretiennent les Québécois avec leur histoire et leur culture.

MDA : Comment s’est déroulée la gestation de ce disque?

F.P. : Jeannot Bournival et moi, on s’est donné beaucoup de temps, soit un peu plus d’un an et demi. Comme nous l’avions fait pour Silence, tranquillement pas vite, je vais chez lui pendant deux heures et on ne fait rien. La semaine d’après, – je ne suis pas supposé y aller – et finalement, on fait deux tounes. On a fait ce disque sur un rythme ralenti, comme un long mijoté.

MDA : Comment choisis-tu tes collaborateurs?

F.P. : Ça vient au gré de l’amour des chansons que je reçois. Par exemple, quand j’ai dit à René-Richard Cyr que je travaillais à un album, il m’a répondu avoir des textes pour moi qui traînaient dans son ordinateur. C’est à ce moment que la chanson Plus tard qu’on pense a vu le jour. Nous avions presque terminé l’album quand il en a eu une nouvelle idée. Il m’a envoyé trois couplets de ce qui allait devenir la chanson De fils en pères. J’ai zigoné dedans avec ma mandoline et nous avons peaufiné le texte. 

MDA : Ces nouvelles chansons sont plus graves que les précédentes. Quel message veux-tu transmettre à ceux qui écouteront cet album?

F.P.: Même si ce n’était pas volontaire il y a quand même une gravité dans les chansons, une certaine urgence de vivre parce que j’ai conscience du temps qui passe. Les textes invitent à prendre les choses quand elles passent, de faire de notre mieux, de se tenir droit et de pousser fort. C’est ce que je veux qu’on retienne de ces chansons.

Aussi, je ne m’en étais pas rendu compte avant de donner des entrevues, mais la figure du père, la paternité reviennent à quelques reprises. Bien sûr De fils en pères, mais aussi, Les couleurs de ton départ. C’est une chanson d’amour, mais c’est également celle que je chanterais à mon fils. Et Ovide où je raconte quand mon père m’amenait voir ses poules. Un jour, ça été mon tour d’amener mon fils voir les poules d’Ovide.

MDA.: Je constate qu’une inquiétude semble te tarauder et traverse ton œuvre, celle de la fragilité de notre existence collective, de notre survivance qui n’est jamais assurée dans le temps. Pensons à Mommy, Tenir debout et sur ce disque, Plus tard qu’on pense, Cajuns de l’an 2000, Gens du vieux rêve. Penses-tu qu’il soit désormais trop tard pour les Québécois, que nous sommes les nouveaux Cajuns de l’an 2000?

F.P : Non! Même si je pense qu’il est plus tard qu’on pense, il n’est pas trop tard! C’est urgent plus que jamais. Heureusement, on s’en rend compte. On a repris la rue, on manifeste, on sort, on signe, on crie et c’est nécessaire. C’est nécessaire parce que si on lâche, notre sort peut se régler très rapidement. On sera gobé par le grand poisson. Pour agir, n’attendons pas de se retrouver dans le ventre de la baleine…

MDA : Après toutes les défaites que nous avons essuyées, je me surprends parfois à penser que l’indépendance ne se réalisera peut-être pas. Par contre, c’est peut-être grâce au rêve du pays que nous nous interdisons de baisser les bras. Qu’en penses-tu?

F.P : Oui, ce rêve-là nous garde en vie parce qu’on continue de marcher. Peut-être que le projet d’indépendance et de pays sont à rénover. On arrive à un moment où on doit plus exister par « oui » que par « non ». La québécitude existe beaucoup en voulant se définir par opposition à l’Autre. On l’a vu avec la Commission Bouchard-Taylor, puis la Charte des valeurs. On nous a demandé de dire ce dont on ne voulait pas, ce qui n’était pas nous. Mais qu’est-ce qu’on veut? Qu’est-ce qui est nous? Voilà ce qu’on doit chercher à définir. Par la suite, ce sera plus facile de tracer la ligne entre ce qu’on tolère ou non parce que la ligne sera claire. Notre projet, ça devrait être celui-là, de tracer les lignes plutôt que de vouloir définir ce qui passe ou non sur la ligne.

MDA : Quelle est la place de la mémoire et des traditions dans la définition de notre identité collective? 

F.P : Je suis convaincu que la culture, qui est inscrite dans le temps qui participe d’une mémoire, est nécessaire. C’est impossible de se réinventer à partir de zéro à chaque jour. À l’échelle individuelle, les gens qui souffrent d’Alzheimer, ce sont de gens qui perdent la mémoire et ce qu’on dit, c’est que ce n’est plus la personne que je connaissais. Être quelqu’un, c’est être de cette mémoire-là c’est être quelque chose qui est raccord avec ce que tu étais la seconde d’avant et ce que tu étais dix ans auparavant. La mémoire est nécessaire à la définition de l’individu et à la définition collective. Quand on rejette toutes nos traditions qu’on perçoit comme aliénantes, comme un vieux folklore gricheux, on fait sans le savoir une prétention de se réinventer alors que c’est impossible. Pour avoir une construction et des fondations solides, il faut construire à partir de ce qui existe déjà. La maison pourra ainsi être plus haute sans risquer de s’effondrer.

MDA  Les Québécois semblent de moins en moins assumer leurs traditions héritées du Canada français. À ton avis, comment l’expliquer?

FP : Peut-être y a-t-il eu dans la foulée du refus global, un bébé qui a été jeté avec l’eau du bain. Le folklore et les traditions étaient perçus comme de l’aliénation puisqu’elles correspondaient à des valeurs connotées comme étant aliénantes et folklorisantes dans le sens gricheux du terme. Le jour où on se met à cracher sur nos ceintures fléchées, ça ne donne pas le goût à grand monde à apprendre à faire des ceintures fléchées. J’ai appris à faire des ceintures fléchées et ça fait les plus beaux foulards du monde mais on ne flèche plus. Dans quelques années, il n’y aura plus personne qui flèchera et cet art-là, qui n’est pas du tout aliénant, disparaitra. Ce n’est qu’une forme de tricot, de tressage qui n’existe qu’au Québec. C’est quelque chose qui nous appartient en propre et moi je ne suis pas un grand puriste de la ceinture fléchée mais je pense qu’on peut créer des supers belles affaires en récupérant ce savoir-là pour aller là ou pour aller ailleurs si on veut. La recette de la tarte au sucre existe. Tu peux faire une tarte très funky à partir de la recette originale en ajoutant une épice pimentée ou cardamomée mais il reste que cette chose-là existe. Il faut donc apprendre ces rudiments de base de notre culture pour pouvoir les jazzer, les pousser plus loin.

MDA : Est-ce la même chose ailleurs dans le monde?

F.P : Je remarque que souvent, ailleurs, le folklore est célébré et valorisé. En Irlande, la musique traditionnelle est enseignée à l’université tandis que nous, on la sort au jour de l’An et on se dépêche de la ranger immédiatement après parce qu’on en a honte. On ne devrait pas avoir cette attitude-là envers notre musique et nos traditions. Pourtant, il y a tellement-là de matière pour en faire du beau. La racine n’empêche pas l’arbre de monter. Si on coupe les racines en pensant que ça retient l’arbre de pousser, il va mourir.

MDA : Tu donnes de plus en plus de spectacles en Europe. Alors qu’ils ne partagent pas tes références, comment expliquer cet engouement de plus en plus grand pour tes contes de la part des Français et des Belges?

F.P. Ce qui les étonne beaucoup, c’est la liberté que je me donne sur scène, en travaillant sans texte. Ils aiment aussi le délire que je me permets en démanchant la langue. Ils se rendent bien compte que ma langue n’est pas nécessairement celle que les Québécois parlent. Ça devient une autre langue même si je prends pour point de départ un code qu’on a en commun qui est un Grévisse ou une Bescherelle.   

Mes textes et mes références sont très québécoises et même si je ne le rappelle pas à leurs racines, ils y trouvent quand même leur dose de plaisir poétique. C’est étonnant! Comme je fais beaucoup référence à Saint-Élie-de-Caxton, mes contes pourraient n’intéresser que les gens de mon village. Au début, c’est ce que je pensais mais rapidement,  on m’a invité à Saint-Paulin et Saint-Barnabé, ensuite Trois-Rivières, et puis à Joliette. Je me promène maintenant en Suisse, en France, en Belgique. Je fais un tiers de mes spectacles à l’extérieur du Québec. Dans le regard des Français, on peut rapidement jouer les clichés et comme ils aiment ça, ça peut être tentant d’aller jouer dans ce registre-là.  Je ne vais pas dans cette zone là et ils trouvent y quand même leur compte. On me prend d’égal à égal et ça me touche.

MDA : Quels sont tes projets pour les prochains mois?

F.P. : D’ici à l’automne prochain, je vais poursuivre la tournée du spectacle De peigne et de misère. Par la suite, en décembre 2015, on offrira un nouveau spectacle de contes et musique symphonique avec l’OSM. Je travaille aussi avec Francis Leclerc à l’adaptation pour le cinéma du roman Pieds nus dans l’aube de Félix Leclerc.

 

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Là où très peu d’artistes réussissent, Fred Pellerin fédère autour de sa personne et de son œuvre les Québécois peu importe leur âge, leur provenance et leur classe sociale. Vieille souche ou nouvelle branche, jeune épinette ou vieux chêne, l’amour du public lui est acquis. En plus de nous réconcilier avec un passé que nous avons souvent voulu oublier, il nous rend fiers. Fiers de ce que nous sommes, fiers de ce que nous avons à offrir au monde. À travers son regard, tout devient plus beau et plus grand. Il est à la fois ambassadeur et producteur de culture et l’incarne comme personne d’autre.

C’est donc avec bonheur que nous accueillons son nouveau disque. Pour de plus amples informations sur les activités et la tournée de spectacles de Fred Pellerin, consultez son site à www.fredpellerin.com.

Myriam D’Arcy

Myriam D'Arcy Crédit André Chevrier
Myriam D’Arcy
Crédit André Chevrier