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Rencontre avec Walter Boudreau, lauréat du Prix du Gouverneur Général

Source : SMCQ
Le 9 avril dernier, Walter Boudreau, directeur artistique de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) recevait, notamment aux côtés du réalisateur Atom Egoyan et de Sarah Mc Lachlan, populaire auteure-compositrice-interprète et musicienne, le Prix du Gouverneur Général du Canada pour les arts du spectacle 2015. Cette récompense est la plus importante dans le domaine des arts. Elle lui a été accordée en reconnaissance pour les quarante années de carrière comme compositeur, chef d’orchestre et directeur artistique, ayant marqué le monde musical canadien. Walter Boudreau a écrit pour orchestre, petits ensembles, solistes, aussi pour le cinéma, le théâtre et le ballet. Il a plus d’une soixantaine d’œuvres à son actif. Cet honneur rendu était l’occasion parfaite pour réaliser un entrevue avec cet artiste de grand talent et dont la contribution est essentielle au développement de la musique contemporaine de chez nous.
Walter Boudreau a étudié au Québec, aux États-Unis et en Europe avec les grands maîtres de la musique contemporaine tel que Gilles Tremblay (Québec 1932), Serge Garant (Québec 1929-1986), Mauricio Kagel (Argentine – Allemagne 1931-2008), Karlheinz Stockhausen (Allemagne 1928-2007) György Ligeti (Hongrie – Autriche 1923-2006), Olivier Messiaen (France 1908-1992), Iannis Xenakis (Grèce – France 1922-2001), Pierre Boulez (France 1925).
MF : Bonjour Walter. D’abord, toutes mes félicitations pour le Prix du Gouverneur Général que tu viens tout juste de recevoir. Qu’est-ce que ça représente pour toi ?
WB : J’ai dit à gauche et à droite que c’est beaucoup plus intéressant que de recevoir un coup de pied au derrière! Bien sûr que ça fait plaisir. C’est une reconnaissance officielle à un très haut niveau. Je faisais la blague sur le coup de pied dans le derrière, ça fait tellement d’années que je me bats pour l’appréciation de la musique nouvelle et des compositeurs qui la pratiquent. Alors cette distinction me touche, me réconforte et me donne du courage pour continuer.
MF : Ce n’est pas le premier prix que tu reçois. Tu en as toute une collection. Est-ce que ça nous touche autant chaque fois ?
WB : En effet, je croule sous les médailles. En blague, je disais récemment que j’allais commencer à ressembler à un général russe! J’ai eu le Prix Molson du Conseil des Arts du Canada (2003), le Prix Denise Pelletier (2004), Chevalier de l’Ordre National du Québec (2013), membre de l’Ordre National du Canada (2013) , et bien sûr de nombreux prix Opus (1998, 1999, 2000, 2003, 2008), et maintenant le Prix du Gouverneur Général. Ça ressemble à une béatification, mais la sanctification n’arrive qu’après la mort…!
Plus sérieusement, on ne reçoit pas de prix tous les jours et il y a des traversées du désert entre chacun d’eux.. Ce sont des encouragements qui sont toujours agréables et réconfortants. Je suis un éternel combattant et j’apprécie l’énergie que ça me procure pour continuer à faire mon travail.
MF : Ton parcours est assez éclectique. Peux-tu nous le résumer ?

Source : SMCQ
Crédit photo : Pierre Saint-Amand
WB : Je suis né à Montréal en 1947 dans des circonstances dramatiques. Mon père, qui revenait tout juste d’Europe après avoir servi comme officier au sein du 22e régiment de l’armée canadienne durant la Seconde guerre mondiale, s’est noyé dans un accident de chasse. Ma mère m’a donc élevé à Sorel chez ma grand-mère maternelle. J’ai commencé à étudier le piano à 5-6 ans chez les Sœurs.
À 13 ans, j’ai appris le saxophone et j’ai joué dans l’harmonie du collège, ce qui a changé ma vie. J’étais maintenant entouré d’un grand nombre de clarinettistes, qui jouaient faux, d’ailleurs! Le saxophone m’a mené vers la musique populaire. Et bien sûr, j’ai goûté au jazz, tout en continuant mes études de piano classique.
En 1966, je suis déménagé à Montréal et l’année suivante, je travaillais à l’exposition universelle. J’y ai rencontré Raoul Duguay, Claude Gauvreau et bien d’autres. En 1968, j’ai commencé des études à l’Université McGill, au Conservatoire de Musique de Montréal et à l’école de Musique de l’université de Montréal, tout en fondant l’Infonie avec mon ami Raoul Duguay. On y faisait de tout : du classique, du contemporain, de la rengaine, de la chansonnette, même de l’électro-acoustique.
Par la suite, j’ai poursuivi ma carrière de chef d’orchestre en allant étudier en Europe et aux États-Unis. J’ai finalement été nommé à la direction de la SMCQ et j’y suis depuis 27 ans.
MF : Comment arrives-tu à concilier toutes tes fonctions?
WB : Je fais une triple carrière, à la fois comme compositeur, chef d’orchestre et administrateur des arts. C’est très exigeant d’avoir la responsabilité de la destinée de la plus grande société de musique contemporaine en Amérique du Nord. Ça me permet de rencontrer des gens de différents milieux, d’échanger des idées et c’est très stimulant, intellectuellement, politiquement et artistiquement. Par contre, mes fonctions ne m’empêchent pas de me consacrer à la composition et pas une journée ne passe sans que j’y travaille.
MF : Depuis sa création, de quelle manière a évolué la SMCQ ?
WB : Au départ, c’était un rêve grandiose puisqu’en 1966, il n’existait aucune institution au Québec pour supporter la musique contemporaine. Conséquemment, peu d’œuvres étaient produites. La SMCQ est née d’un regroupement de compositeurs et son premier concert a eu lieu le 15 décembre de cette même année. En 2017, nous fêterons le 50e anniversaire de la SMCQ.
Parmi nos réalisations, nous avons notamment créé la série Hommage, il y a presque 10 ans. Un des aspects fondamentaux de notre action est d’intégrer les compositeurs de musique contemporaine dans le milieu au même titre que le sont les poètes, les écrivains, les metteurs en scène, les dramaturges, les cinéastes.
En 2014, on a rendu hommage à Denis Gougeon et autour de 50 000 personnes, au cours de l’année, ont été exposées à sa musique dans plus de 200 événements, parce que c’est une initiative qui est partagée avec tout le milieu de la musique, pas seulement contemporaine. Cette année, c’est au tour de John Rea d’être mis à l’honneur.
Depuis maintenant 15 ans, nous avons développé un secteur jeunesse qui est absolument fantastique. Un des programmes s’appelle compositeurs en herbe. Des jeunes sont invités à partager leur composition et à recevoir des conseils de musiciens aguerris, le tout devant public.
Nous avons aussi le festival Montréal Nouvelles Musiques (MNM), le plus grand festival du genre en Amérique du Nord, créé en 2003 avec Denys Boulianne. Cette année, nous avons comptabilisé pas moins de 26 000 entrées. Chaque année, nous tentons d’agrandir notre auditoire, pour permettre de faire entendre le plus grand nombre d’œuvres de notre répertoire.
MF : Quel est ton concert le plus mémorable ?
WB : La Symphonie du millénaire que nous avons donnée sur le parvis et le stationnement de l’Oratoire St-Joseph devant 70 000 personnes. C’est une aventure invraisemblable que j’ai vécue comme compositeur, comme concepteur, comme organisateur, comme planificateur et comme interprète. On était 333 musiciens de 18 formations différentes. En cette période de morosité et d’austérité, les conditions gagnantes ne sont pas présentes pour faciliter une nouvelle performance de l’œuvre. Par contre, je suis en pourparlers avec des organismes en Europe et en Chine qui démontrent de l’intérêt.
Je souhaite éventuellement revivre un projet similaire sur lequel je travaille depuis des années, la Symphonie portuaire, étalée sur 1000 kilomètres de Valleyfield à Gaspé.
MF : Quel est le prochain concert de la SMCQ ?
WB : C’est notre événement bénéfice annuel qui aura lieu le 20 mai prochain à la salle Pierre Mercure du Centre Pierre-Péladeau. À cette soirée, on fait un beau clin d’œil à la collaboration que j’avais eue avec Lorraine Pintal au TNM lors de la production de l’Asile de la pureté. On présentera donc des extraits musicaux et théâtraux : le prélude avec le chœur Mruta Mertsri, François Papineau nous récitera des textes en exploréen, Alain Lefèvre jouera la Valse de l’asile, on fera le troisième mouvement du concerto de l’asile, la charge de l’orignal épormyable dans sa version deux pianos. Ce concert est ouvert au grand public et toutes les informations se trouvent sur notre site.
Le 30 mai, je serai avec Alain Lefèvre à Ottawa pour diriger l’orchestre du Centre National des Arts lors du grand concert gala des prix du Gouverneur Général du Canada 2015, et on présentera un extrait du Concerto de l’asile, on fera la valse que j’ai réorchestrée spécifiquement pour l’occasion.
MF : Merci!
Pour connaître la programmation des concerts de l’Ensemble de la Société de musique contemporaine du Québec, visitez leur site en ligne ici.
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Marco Fortier
