Maxime Giroux

Le bruit des arbres : portrait d’un Québec en déshérence

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Ces jours-ci se trouve à l’affiche sur nos écrans Le bruit des arbres, premier long métrage du réalisateur François Péloquin et de la scénariste Sarah Lévesque. Sous forme de chroniques, le film raconte l’été des 17 ans de Jérémie Otis (excellent Antoine L’Écuyer) contraint d’aider son père (Roy Dupuis) à la scierie familiale située dans un village du Bas Saint-Laurent. Le film est une métaphore intéressante de la condition québécoise actuelle.

Pour Jérémie, cet été qui marque la fin de son adolescence est rempli de premières fois : premiers émois amoureux et déceptions, mort de son chien, expérimentation de drogues et construction de son identité en opposition à son père. Contrairement à Régis qui est attaché à la forêt et son coin de pays, à son métier qu’il pratique à l’ancienne en boudant la machinerie, Jérémie préfère les voitures et rêve de quitter la région. Ce fossé culturel qui les sépare est symbolisé par une scène marquante où au cours d’une même soirée, les vieux succès country québécois qu’affectionne Régis concurrencent le rap anglophone de l’adolescent.

Le bruit des arbres invite à réfléchir autour de deux thèmes forts : d’abord, celui de la dépossession qui se traduit par ces éoliennes se dressant partout où le regard se pose et qui défigurent le territoire, par la promesse d’un avenir professionnel bouché à ceux qui choisissent de rester en région, par les ressources naturelles qui s’épuisent, et l’hégémonie de la culture anglo-saxonne. Ensuite, la société québécoise en déshérence, incapable de formuler un projet collectif permettant aux jeunes de trouver leur place en s’inscrivant en continuité avec son parcours historique. Dans le film, nulle part Jérémie ne se trouve à sa place, malgré l’ardent désir de son père de le voir suivre ses traces. D’ailleurs, la quête de Régis, en mal d’héritiers à qui léguer sa terre et son savoir, rappelle bien évidemment l’émouvant ( Le) Démantèlement de Sébastien Pilote qui tenait un semblable propos sur la transmission.

Source:
Source: K-Films Amérique

Ce sont des adolescents désœuvrés et sans véritable port d’attaches qui nous sont présentés dans Le bruit des arbres. La belle saison s’écoule au rythme du gangsta rap et des cliquetis du bling bling, des soirées passées à s’étourdir sous l’effet de la drogue et des jeux dangereux. Le portrait offert par François Péloquin est déprimant et ressemble en tous points à celui porté à l’écran par Maxime Giroux (Félix et Meira) dans Jo pour Jonathan (2010) où l’ambition des personnages se résume à la recherche de plaisirs éphémères et à gagner assez d’argent pour s’acheter une voiture avec laquelle ils pourront impressionner leurs amis. Ces jeunes cherchent leur salut que dans la possession de biens matériels, mais sans y trouver l’apaisement ou les repères espérés. Dans les deux cas, ils ne montrent aucun intérêt pour les études, non plus que pour leur avenir. Leur mal-être existentiel s’exprime dans la recherche constante de sensations fortes et de danger.

Roy Dupuis et Antoine L'Écuyer,
Roy Dupuis et Antoine L’Écuyer, « Le bruit des arbres ».
Source: K-Films Amérique

En y réfléchissant bien, ce malaise n’est pas étonnant. À ces jeunes, nous léguons un Québec aux contours désormais flous, contrairement aux générations précédentes à qui était offert un projet de société bien défini, soit la survivance d’un peuple et son émancipation. Aujourd’hui, la situation est toute autre. Faute de repères, la société québécoise se cherche et s’épuise dans un individualisme grandissant où le chacun pour soi est roi. Aucun projet structurant ne nous mobilise, nous rassemble. Notamment, la question nationale qui n’a toujours pas trouvé son point d’aboutissement fait en sorte qu’il est difficile de se projeter dans l’avenir avec assurance et clarté. Dans ce contexte, que devons-nous transmettre à ceux qui nous suivent?

Dans le film, cette douloureuse question est illustrée par Régis, dont l’avenir de son entreprise est incertain, qui doit décider entre vendre aux plus offrants tout en sachant que sa mission sera dénaturée, ou poursuivre son labeur sans l’assurance d’éviter la faillite. Ce n’est donc pas étonnant qu’il n’arrive pas à trouver les mots qui puissent convaincre ses fils de lui succéder.

Le bruit des arbres est donc un film intelligent, qui prouve avec éloquence toute l’utilité de nos créateurs à éclairer notre présent.

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L’horaire des projections du film dans la grande région de Montréal se trouve ici.

Pour de plus amples détails sur le film, consultez sa page Facebook.

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Myriam D’Arcy

Myriam D'Arcy Crédit André Chevrier
Myriam D’Arcy
Crédit André Chevrier

Un Québécois et une juive hassidique : un amour possible?

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Entretien avec Maxime Giroux autour du film Félix et Meira[1]

Source: Métafilms. Crédit: Julie Landreville
Source: Métafilms. Crédit: Julie Landreville

Quelques jours après la sortie du film Félix et Meira, je me suis entretenue avec son réalisateur Maxime Giroux pour discuter de son dernier opus, mais aussi des sujets délicats qu’il aborde avec intelligence, délicatesse mais sans complaisance.

Le film raconte l’improbable histoire d’amour entre deux êtres que tout sépare : Meira (Hadas Yaron), jeune mère et épouse juive ultra-orthodoxe qui se sent prisonnière d’un destin qu’elle refuse, et Félix (Martin Dubreuil), Québécois bohème en rupture avec sa famille et son milieu bourgeois où il ne se reconnaît pas. Les deux se croisent au hasard sur les trottoirs du Mile-End et dans les cafés d’Outremont. Tranquillement, l’un apportera réconfort et un peu de sens à la vie de l’autre qui en a bien besoin.

Pour une trop rare fois au cinéma, l’histoire est campée au cœur de l’hermétique communauté juive hassidique de Montréal. Avec érudition, objectivité et humilité, Giroux nous propose une incursion dans le quotidien des membres de cette communauté dont la vie est encadrée par des règles qui peuvent sembler étouffantes. Ainsi, le thème de la liberté traverse l’œuvre et lui confère une dimension universelle. Elle force la réflexion autour de celle dont jouissent ou non les femmes, celle que nous offre parfois jusqu’au vertige la société occidentale et à l’inverse, celle qu’on encadre soigneusement dans certaines communautés religieuses. Ce thème confère à l’œuvre une dimension universelle.

Lauréat du meilleur film au dernier Festival international du film de Toronto (TIFF) qui s’est tenu en septembre dernier, le film de Maxime Giroux est arrivé sur nos écrans quelques semaines après l’attentat perpétré chez Charlie Hebdo, relançant de plus belle les débats entourant la laïcité, la liberté d’expression, l’intégrisme religieux et l’intégration des nouveaux arrivants. Ce film constitue une véritable bouffée d’air frais dans un espace public où l’on pratique de plus en plus la complaisance et l’autocensure, par peur de déplaire ou choquer. C’est donc naturellement autour de ces questions délicates mais néanmoins fondamentales que s’est déroulé mon entretien avec Maxime Giroux, un artiste brillant et articulé.

MDA : Votre film arrive à point nommé alors que le débat sur l’intégration des immigrants a repris de plus belle. Dans ce contexte, avez-vous eu peur qu’il soit mal reçu?

M.G. : L’an dernier, nous avons tourné le film en plein débat sur la charte des valeurs (québécoises). Je n’étais pas nécessairement en faveur de cette charte-là mais je suis d’avis qu’il faut mener cette réflexion collective sur la laïcité et l’intégration des nouveaux arrivants. À tort, beaucoup de gens ont dénoncé ce projet de charte et alléguaient que tout va bien et qu’il ne fallait pas ouvrir ce débat. Au contraire, c’était nécessaire de le faire car si on n’aborde pas ces questions-là maintenant, on devra faire face à des défis de taille dans 20, 30 ou 40 ans.

Aussi, je remarque que dès que les Québécois francophones abordent des questions liées à l’immigration, ils sont souvent perçus comme racistes. En réalisant Félix et Meira, j’avais peur de la réception du film au sein de la communauté juive, tant chez les ultra-orthodoxes que les autres. Partout à travers le monde, notamment aux États-Unis et en France, il a été bien reçu. Les deux seules fois où les entrevues se sont moins bien déroulées, c’étaient à Toronto. J’ai senti que le fait que je sois Québécois francophone et avais osé faire un film sur les Juifs posait problème. Portant, c’est en creusant des questions comme je le fais dans mon film que des préjugés en viennent à tomber et ainsi, favoriser les rapprochements entre les communautés. Les préjugés se forgent quand on ne connaît pas l’Autre.

MDA : Quelle a été la genèse du film? Pourquoi avoir voulu raconter une histoire qui se déroule dans la communauté hassidique?

M.G. : Le sujet se trouvait sous nos yeux à Alexandre Laferrière (co-scénariste) et moi. Tous les deux, nous habitions dans le Mile-End depuis plusieurs années et chaque jour, nous côtoyons des Juifs hassidiques. J’étais confronté au fait que je ne pouvais pas leur parler. Notre étonnement et frustration de ne pas pouvoir communiquer avec nos voisins ont été les éléments déclencheurs du film.

Pour que l’histoire soit intéressante, nous avions besoin d’un personnage Québécois francophone qui arrive à entrer en relation avec les hassidim. L’histoire de Félix, sa démarche, c’est un peu celle que nous avons dû suivre pour nous permettre d’effectuer la recherche nécessaire à la réalisation du film. Au départ, nous avons essayé d’accéder tout aussi naïvement que notre personnage aux membres de cette communauté jusqu’à ce qu’on se rende compte que l’entreprise était beaucoup plus complexe que nous l’avions imaginé.

Maxime Giroux Crédit: Julie Landreville Source: Metafilms
Maxime Giroux
Crédit: Julie Landreville
Source: Metafilms

MDA : Avez-vous eu besoin de vous déguiser comme l’a fait Félix?

M.G. : Non! Par contre, disons qu’à certains moments, nous avons forcé les choses pour qu’elles arrivent. On s’est parfois fait gentiment mettre à la porte de synagogues, d’autres fois, on devait argumenter pour rester sur place. Heureusement, nous avons fini par rencontrer des gens prêts à nous raconter leur expérience.

MDA : Combien de temps avez-vous consacré à la recherche vous permettant de connaître suffisamment les Juifs ultra-orthodoxes, leurs codes et coutumes?

M.G. : Pendant trois ans, nous nous sommes documentés et avons rencontré des ex-membres de cette communauté provenant de Montréal et New York.

MDA : Comment avez-vous réussi à rencontrer des hassidim en rupture avec leur communauté?

M.G : C’est beaucoup plus facile de rencontrer d’anciens membres de cette communauté que ceux qui y en font toujours partie. De fil en aiguille, en discutant avec des gens, nous avons été mis sur la piste ou en contact avec certains d’entre eux. D’ailleurs, la distribution du film compte cinq anciens hassidim.

Il y a quelques jours, nous avons présenté le film à la soirée de clôture du New York Jewish Film Festival qui se déroulait au Lincoln Center. Ultimement, c’était la soirée qui me rendait le plus nerveux parce que le public était composé soit de Juifs non-pratiquants, soit des ex-membres de la communauté hassidique et j’avais peur de me faire ramasser. Ils ont adoré le film qui les a vraiment touchés. Après la projection, beaucoup de gens sont venus me dire que j’avais raconté leur histoire.

MDA : Selon vos recherches et les témoignages que vous avez recueillis, comment se passe la transition vers une vie à l’occidentale pour les gens qui choisissent de quitter la communauté hassidique?

M.G. : C’est très difficile de sortir et survivre en dehors de cette communauté. Après avoir quitté, certains membres y reviennent parce qu’ils se retrouvent complètement seuls et sans ressources. Ils ne parlent pas notre langue, ne possèdent pas de diplômes, ne sont pas arrivés à trouver un boulot et parfois même, à se loger. À New York, l’organisation Footsteps fondée par des ex-hassidim existe depuis quelques années. Elle leur vient aide en fournissant un logement, et en défrayant les coûts de leur éducation. Après avoir quitté leur milieu, ils n’ont plus de contacts avec les membres de leur famille et leurs amis. Pour eux, c’est un choix aussi difficile qui se compare à celui d’un immigrant qui décide de recommencer sa vie ailleurs en partant de zéro. Ces anciens hassidim doivent apprendre – ou réapprendre comment fonctionne la vie. Ajoutez à cela que depuis toujours, on leur a répété que notre monde était rempli de vices et que nous, les gens qui vivent à l’extérieur de leur communauté, représentons le Mal. Pour Luzer Twersky, qui joue le personnage de Shulem, le mari de Meira, depuis qu’il a quitté sa communauté, il ne voit plus ses deux enfants. Il a été sans-abri pendant un certain temps et il a encore de la difficulté à joindre les deux bouts.  

Dans le cas de Meira, cet apprentissage de la vie en dehors de son milieu la ramène à l’adolescente qu’elle n’a jamais eu le loisir d’être. À cet âge, soit autour 12-13 ans, on apprend à ces jeunes filles à être une épouse et une mère. On leur apprend à cuisiner, à tenir une maison, les mathématiques car elles devront administrer l’argent du ménage. À 18 ans, elles se marient et deviennent des mères à leur tour. Aussi, au Québec, contrairement aux garçons, elles apprennent des rudiments de français. De leur côté, dès l’âge de 13 ans, les garçons se consacrent entièrement à l’étude de la Torah.

MDA : Croyez-vous que ces ex-hassidim sont plus heureux une fois qu’ils ont quitté leur milieu?

M.G. Je pense qu’il y a autant de gens heureux que malheureux dans les communautés fermées comme les ultra-orthodoxes que dans la nôtre. Aujourd’hui, on assiste à un retour du religieux dans les sociétés occidentales parce que les religions offrent ce cadre et ces règles que nous avons abandonnés. D’ailleurs, la plupart des nouveaux convertis font du zèle dans leur pratique car ils aiment être encadrés. Il arrive souvent que ces gens n’ont pas ou plus de contacts avec leur famille. D’ailleurs, dans le cas de Félix, il avait échappé au contrôle familial et refusé de vivre selon les codes de son milieu et de la société capitaliste. Dans son cas, comme il ne poursuit pas de buts, de projets, il se retrouve complètement perdu.

MDA : Tout sépare Félix et Meira. Pourquoi tombe-t-elle amoureuse de lui?

M.G : Je ne pense pas qu’elle tombe réellement amoureuse de lui. Il s’agit d’un amour circonstanciel. Tous les deux sont perdus et se reconnaissent à travers ce que vit l’autre. Lui est un adulte ayant adopté un mode de vie adolescent et elle veut retrouver cette adolescence qui lui a échappée. Elle aime sans doute son mari mais elle rejette ce destin-là. Et Shulem souhaite qu’elle suive les règles qui régissent leur mode de vie, le seul qu’il connaisse et qui correspond à ses attentes. Lorsqu’il se rend compte qu’elle ne peut plus être heureuse, il la laisse partir.

En ce qui concerne Félix, Meira a besoin de lui et c’est la première fois que ça lui arrive. Aussi, elle représente la famille, l’engagement même si à la fin, il n’est plus certain d’avoir pris la décision et se demande dans quel bateau il s’est embarqué. À la toute fin du film, les doutes que tous les deux laissent paraître sont tous à fait normaux dans les circonstances. Meira pense avoir pris la bonne décision. Elle sait que ce qui l’attend sera difficile, d’autant plus que sa petite fille ne pourra plus voir son père. Peut-être, comme les autres juifs hassidiques que j’ai rencontrés, un jour sur deux, elle regrettera sa décision.

MDA : Où pourra-t-on voir votre film ailleurs qu’au Québec?

M.G : Depuis le 4 février, il est présenté en salles en France et en Suisse, Par la suite, ce printemps il sera disponible en Belgique, puis aux États-Unis.

La semaine dernière, La Presse nous apprenait que de nombreuses salles ont été ajoutées un peu partout au Québec à celles où était déjà projeté le film. Pour consulter l’horaire de projection dans la grande région de Montréal, suivez ce lien.

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Le 1er février dernier, dans sa passionnante émission Tout un cinéma, diffusée sur les ondes d’Ici Musique, Rémy Girard a consacré cette édition à la bande sonore de Félix et Meira, de même qu’à la musique juive entendue au cinéma.

[1] Avertissement : certains éléments de l’intrigue du film sont dévoilés à la fin de ce texte.

Myriam D’Arcy

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