Mode et design
Exposition de lampes-valises par Jo-Annie Larue (28 mai au 8 juin)
Jeudi soir dernier, je me suis rendue au vernissage d’une exposition très originale de lampes-valises organisée par Jo-Annie Larue, artiste visuelle fort talentueuse. Ses œuvres se situent entre les arts visuels et le design, entre la récupération d’objets et la création d’univers singuliers. Elle transforme des valises en boîtes lumineuses : les objets autrefois utilitaires deviennent des vitrines à contempler.
Toutes sortes d’objets l’inspirent et lui servent à créer ses œuvres illuminées: d’abord, des valises, mais aussi des cartes géographiques, des partitions de musique, des magazines appartenant à une autre époque. Ils sont chargés de souvenirs qui ne sont pas les nôtres, mais leur force symbolique éveille en nous des histoires. Selon Jo Annie Larue « la valise est l’incarnation typique de l’idée du voyage ; elle représente la notion d’intimité par ce qu’elle contient tout comme celle de distance par son usage ». L’artiste crée en quelque sorte des petites fenêtres sur des époques révolues, des souvenirs anonymes et des voyages fictifs. Le résultat est à la fois touchant et étonnant.
Durant la soirée, j’ai eu la chance de m’entretenir avec Jo Annie Larue pour qu’elle nous explique sa démarche artistique. « Pour dénicher mes valises, je fais les brocantes, et au fil des années j’ai mes endroits favoris et les propriétaires me connaissent. Je tente toujours de raconter une histoire. Les photos, les vieux articles, les pages de magazines sont un reflet de l’époque à laquelle ils ont appartenu. Ils parlent donc beaucoup, ont un récit. Quand j’utilise des feuilles de notes de musique, c’est plutôt une ambiance qui m’habite, et que je laisse plus tard investir les œuvres ».
« En ce qui concerne les matériaux utilisés pour décorer les valises, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, je visite les foires et les marchés aux puces. Chaque fois, je suis à la recherche d’une esthétique qui m’intéresse ou je fais une incursion à travers des archives qui m’imposent un thème, une idée. Finalement, pour être en mesure de créer une « lampe-valise », les matières choisies doivent être assez transparentes pour accueillir la lumière diffusée à l’intérieur de la valise. »
L’exposition se déroule du 28 mai au 8 juin à l’Espace Projet, situé au 353 rue Villeray. Pour de plus amples détails, visitez le site : http://www.espaceprojet.net/Exposition-en-cours
Marie Saint-Pierre, la mode au service des femmes
(Texte publié le 2 février 2014 sur le site Plateau arts et culture)
Dans le cadre de notre dossier sur la mode québécoise, nous avons eu le privilège de nous entretenir récemment avec celle qui trône à son sommet depuis 25 ans, Marie Saint-Pierre. Ayant fait sa marque dans un domaine longtemps réservé aux hommes, elle est sans contredit une pionnière qui a ouvert la voie à ses collègues féminines qui sont de plus en plus nombreuses à suivre ses traces. Marie Saint-Pierre est à la tête d’une entreprise qui compte une trentaine d’employés et sa maison déploie ses activités dans le secteur du luxe et de la haute-couture, le prêt-à-porter féminin, les parfums, les accessoires de mode et la maroquinerie. Ses boutiques ont pignon sur rue au centre-ville de Montréal et au Centre Rockland. Portrait d’une femme déterminée et engagée pour la cause des femmes.
L’utilité de la mode
Sur l’utilité de la mode, Marie Saint-Pierre ne se fait pas prier pour répondre. Selon elle, longtemps le vêtement féminin n’a servi qu’à habiller les femmes de manière utilitaire. Avec la montée du féminisme et l’arrivée des femmes sur le marché du travail, le vêtement féminin est devenu multifonctionnel. Cette liberté qu’offre désormais le vêtement est l’une des idées maîtresses défendues par Marie Saint-Pierre à travers ses collections.
Marie Saint-Pierre pense et crée pour la femme moderne. Elle est à la fois mère, épouse, femme d’affaires et occupe un poste de direction. Ses vêtements doivent être des partenaires, des outils dans la vie de tous les jours pour mener à bien tous les rôles qu’embrassent désormais les femmes.
Entre séduction et hypersexualisation

Pour la designer, le vêtement est un mode de communication, une manière d’exprimer qui nous sommes, notre féminité. Il est bien évidemment un objet de séduction parce que, selon elle, les rapports humains sont inévitablement régis par la séduction. Les femmes s’habillent pour être et se trouver belle, pour séduire, mais sans être réduites à des objets sexuels. Cette nuance est au cœur de la pensée de la designer qui combat l’hypersexualisation de l’image de la femme dans le domaine de la mode.
Depuis le début de sa carrière, Marie Saint-Pierre crée des vêtements féminins, sans se soucier des diktats de l’image de la femme véhiculée par les médias. Les femmes doivent pouvoir se sentir plus sûres d’elles, plus fortes. Elles ne devraient jamais avoir à choisir entre féminité et crédibilité, entre compétence et beauté. Marie Saint-Pierre conçoit donc ses vêtements comme une réponse à cette image de la femme-objet largement diffusée dans les médias et par plusieurs entreprises de mode.
Les vêtements doivent procurer bien-être et confort. C’est ce qu’elle appelle « l’intelligence du vêtement ». Malheureusement, même si elle possède une clientèle fidèle et que ses vêtements sont vendus partout à travers le monde, elle constate que ce discours, celui de la nécessité de créer des vêtements « intelligents » n’intéressent

pas les médias. Peut-être parce que la mode est un domaine ludique qui laisse peu de place aux débats de société. Par ailleurs, Marie Saint-Pierre constate qu’un mouvement féministe prend actuellement forme dans le milieu de la mode. Au Québec et dans le monde, de plus en plus de femmes choisissent de faire carrière dans ce milieu. Même si elles ne sont pas toutes conscientes de participer à un effort collectif pour changer la face de la mode, selon Marie Saint-Pierre, leur seule présence contribue à combattre l’image de la femme-objet.
Une femme engagée dans sa communauté
L’engagement social de Marie Saint-Pierre a trouvé son point d’aboutissement en 2004 lorsqu’elle a mis sur pied le Fonds Sous zéro. Ce projet vise à venir en aide aux femmes monoparentales démunies de Montréal en fournissant des vêtements chauds à leurs enfants durant les mois d’hiver. Depuis dix ans, dans le plus grand anonymat, près de 6000 enfants ont bénéficié de ces dons de première nécessité. La plupart du temps, les vêtements sont distribués à l’école dans le casier des enfants. De plus, aucun mécanisme de promotion ou de reconnaissance n’est mis en place autour du programme pour préserver la dignité des parents bénéficiaires.
Ses ambitions pour la mode québécoise
Pour conclure, Marie Saint-Pierre nous a révélé quelles étaient ses ambitions pour la mode québécoise au courant des prochaines années. Elle souhaite ardemment que les créateurs s’unissent et fassent preuve d’une plus grande solidarité pour augmenter leurs parts de marché auprès des consommateurs québécois et dans le monde. Voilà pourquoi elle s’est impliquée dans la création du Cabinet éphémère, la boutique nomade des créateurs québécois. Il s’agit d’une des nombreuses initiatives du Conseil des créateurs de mode du Québec. Marie Saint-Pierre n’est pas la seule designer à en appeler à une plus grande solidarité entre les créateurs québécois. Au courant des prochaines semaines, je vous présenterai les organismes de concertation qui travaillent à la promotion des créateurs d’ici.
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Myriam D’Arcy

Crédits André Chevrier
La mode québécoise: vers un nouvel envol?
(Texte publié sur le site Plateau arts et culture le 25 janvier 2014)

Chaque semaine, j’aime à partager avec les lecteurs de Plateau Arts et Culture mes coups de cœurs en matière de culture québécoise. Au courant des prochaines semaines, je présenterai un dossier sur la mode québécoise, un secteur jeune en pleine effervescence. Que ce soit pour les aliments, la musique, la télé ou la mode, je suis une fervente pratiquante de l’« achat local ». Dans cet esprit, depuis quelques années, je me fais un devoir de me procurer le plus souvent possible des vêtements faits au Québec.
Par contre, force est de constater que la tâche est parfois ardue puisque peu de commerces et de grands magasins offrent des produits faits ici. Néanmoins, au fil du temps, j’ai découvert quelques boutiques, la plupart situées dans le Plateau Mont-Royal, qui se sont données pour mission de faire une belle place aux créateurs d’ici. Je pense à la boutique Aime Com Moi sur l’Avenue Mont-Royal Ouest, Jeunes d’Amérique sur la rue Saint-Denis ou bien évidemment, Belle et Rebelle, boutique emblématique de l’achat local québécois qui a pignon sur rue sur la Plaza Saint-Hubert. Dans la vieille capitale, on peut compter sur la boutique Signatures québécoises qui met en vitrine une trentaine de designers québécois établis et de la relève.
Malgré ces initiatives bienvenues et encourageantes pour l’avenir, les ventes de vêtements québécois sont marginales. Selon un article du Devoir paru en novembre dernier, seulement 3% des consommateurs Québécois se procurent des vêtements conçus au Québec. Du même souffle, l’article rendait publique une pétition portée par une cinquantaine de créateurs exhortant le gouvernement et les médias à mieux soutenir et diffuser leur travail.
Deux raisons principales expliquent la place marginale qu’occupent les créateurs de mode québécois. D’abord, parce que, comme pour tous les secteurs des arts et de la culture, la tendance à la mondialisation est puissante. Des grandes chaînes comme American Apparel, Zara, H&M, GAP sont disponibles aux quatre coins du globe et imposent des styles vestimentaires. C’est aussi vrai pour les marques luxueuses comme Dior, Chanel, Gucci, Burburry, etc.
La deuxième explication se devine tout aussi aisément : pour offrir des vêtements à prix compétitifs, les commerçants doivent se procurer une marchandise confectionnée à bon marché, souvent en provenance des pays de l’Asie. Au tournant des années 2000, l’industrie du textile a connu une véritable hécatombe et de nombreuses entreprises ont dû se résoudre à fermer leurs portes. La faute est en grande partie attribuable à l’élimination progressive des quotas imposés par le Canada sur les importations de produits textiles qui ont pavé la voie aux importations de vêtements en provenance de l’Asie.

Défilé automne-hiver 2011
Crédit photo: Jimmy Hamelin
Depuis quelques années, pour s’adapter aux réalités du marché, le secteur de la mode québécoise est en ébullition, après avoir vécu de nombreuses remises en question et une profonde mutation. rendue nécessaire pour arriver à survivre et se tailler une place auprès des consommateurs québécois.
Il ne faut pas oublier que la mode québécoise est un secteur encore bien jeune. Sauf exception, on voit apparaître les premiers créateurs ayant fondé leur propre ligne de vêtements durant les années 1980. Pour les produits de luxe, pensons à Denis Gagnon, Marie Saint-Pierre, Philippe Dubuc et Nadya Toto. Par la suite, après un certain passage à vide qui s’est observé au tournant des années 2000, plusieurs créateurs offrant des produits à prix plus démocratiques ont fait une entrée remarquée sur le tapis rouge : Annie 50, Ève Gravel, Mélissa Nepton, Luc Fontaine et Hayley Gibson avec sa ligne Birds of North America.
Durant les prochaines semaines, je présenterai différents portraits de créateurs, de diffuseurs, de commerçants et d’organisateurs incontournables du secteur de la mode qui ont fait le pari de supporter l’achat local. Avec eux, nous tenterons de voir s’il existe une signature proprement québécoise. Finalement, nous réfléchirons au rôle des médias et des lieux de diffusion dans la promotion de la mode québécoise pour voir ce qui peut être fait de plus ou de mieux pour mettre en valeur les talents d’ici.
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Myriam D’Arcy

Crédits André Chevrier