Festival du Jamais LU (3)
Rencontre avec Marianne Dansereau et Geoffrey Gaquère qui nous offrent la pièce Savoir compter
Par Marco Fortier
Savoir compter, de l’auteure Marianne Dansereau, sera lu pour la toute première fois ce lundi 4 mai à 20 heures, au Théâtre aux Écuries, dans le cadre du Festival du Jamais LU. Dans un langage cru et sans fard, cette pièce traite des rapports amoureux à une époque où l’engagement est remis en question, où l’on ne sait jamais si on peut vraiment compter sur l’autre. Ce texte sera mise en lecture par Geoffrey Gaquère et une kyrielle de comédiens : Alex Bergeron, Catherine Chabot, Violette Chauveau, Joanie Guérin, Simon Landry-Désy, Gabrielle Lessard, Sébastien René et Maxime René de Cotret. C’est avec plaisir que je me suis entretenu avec l’auteure et le metteur en scène pour nous en dire plus sur cette pièce.
Marianne Dansereau, âgée d’à peine 24 ans, est parmi les plus jeunes, sinon la plus jeune, auteures invitées au Jamais LU en 2015. Graduée en 2014 de l’École Nationale de Théâtre en interprétation, elle cumule le métier de comédienne et d’auteure. Hamster[1], sa première pièce lui a valu le prix du texte le plus prometteur en 2013 décerné par le CEAD (Centre des auteurs dramatiques). Du 5 au 15 mai prochain, elle jouera au Théâtre Denise Pelletier. Elle sera également de la distribution de la pièce Les Zurbains 2015, une production du Théâtre Le Clou. À compter de septembre prochain, elle sera auteure en résidence au Théâtre aux Écuries et travaillera aux côtés d’Olivier Choinière. Pour sa part, Geoffrey Gaquère est né en 1975 à Bruxelles en Belgique. À 18 ans, il est entré au Conservatoire Royal d’art dramatique. En 2000, il est reçoit son diplôme en interprétation de l’École Nationale de Théâtre à Montréal. Il s’est rapidement intéressé à la mise en scène et depuis un an il est le nouveau directeur artistique du théâtre l’Espace Libre. Il assure la mise en lecture de la pièce présentée ce lundi.
MF : Marianne, à quoi réfère le titre de ta pièce?
MD : Savoir compter, c’est d’abord savoir compter sur soi, mais aussi sur les autres. Trop souvent, les gens ne s’appartiennent pas et se comportent selon des stéréotypes plus ou moins préétablis. J’aime que mes personnages soient étranges, improbables. Leurs comportements ne sont pas conformes à ce qu’ils sont réellement puisque la plupart du temps, ils agissent sous le coup de la panique.
MF : Pourquoi ta pièce est construite par thème, plutôt que de manière chronologique? En quoi cette linéarité servait le texte?

Crédit: Maxime Côté
MD : Je voulais sortir du carcan qui suppose invariablement un début, un milieu, puis une fin. C’est trop prévisible. Voilà pourquoi j’ai fait exploser la structure narrative. J’ai confiance en l’intelligence du public pour remettre les morceaux de l’histoire en place. Les scènes de vengeance sont rassemblées, comme celles de mensonges, d’amour, etc. De plus, on retrouve trois chronologies : le présent, le passé et le rêve. C’est vraiment un défi que je me lance, de même qu’au public. Est-ce que je donne les bonnes clés aux bons endroits pour qu’on me comprenne?
MF : Pensez-vous que Savoir compter surprendra le public?
MD : Je pense que les gens ne sont pas habitués à se faire parler de sexualité, de relations interpersonnelles, d’amour désiré, de trahison, de façon aussi directe, crue, et vulgaire même. La pornographie, beaucoup consommée par les jeunes et les moins jeunes, influence nos rapports humains. Quand est-ce qu’on aime et quand est-ce qu’on veut posséder? On a trop souvent des comportements d’animaux. Nous nous transformons en proie ou en prédateur dans nos interactions avec l’autre. Disons que je n’y vais pas par quatre chemins et je suis très curieuse de voir si le public l’acceptera ou sera choqué par le propos de la pièce. Aussi, j’espère qu’il rira parce que le thème est abordé avec humour. C’est autant « trash » que drôle !
GG : J’ai accepté de mettre en lecture le texte de Marianne parce que son écriture est unique et très engagée. Sa langue, son verbe et sa poésie ressemblent à nulle autre. Quand on la rencontre, on a de la difficulté à croire qu’il peut y avoir autant d’excès et de démesure qui émanent d’elle. Avec audace, elle présente des personnages très typés, qui représentent bien les rapports amoureux d’aujourd’hui, rudes et fortement imprégnés de la culture du net, de la pornographie. Je suis convaincu que si elle continue sur cette lancée, Marianne nous surprendra encore avec ses prochains textes.
MF : Comment se déroulent les répétitions ?
MD : On a une équipe de feu ! On est nombreux et c’est super agréable. Geoffrey m’a permis de choisir les comédiens que j’avais en tête au moment d’écrire le texte. Et ils ont accepté, ce dont je suis bien heureuse. Ce sont presque tous des jeunes gradués des 5 dernières années de l’École Nationale de Théâtre. Je trouve ça intéressant. Ils représentent une nouvelle parole dans la vingtaine, une certaine vague de fraicheur. Ça sera une occasion de découvrir de nouveaux acteurs.

Crédit: David Ospina
GG: J’aborde ce travail de mise en lecture avec l’idée de servir le texte et non pas d’y imprimer ma propre interprétation comme je le ferais lors d’une mise en scène. La distribution que Marianne a choisie plonge facilement dans l’univers proposé. Je demande aux acteurs d’assumer ce qui est écrit, de ne pas juger leur personnage, d’être totalement sincères et humains.
Le texte est vraiment « flyé », dans le bon sens. On navigue dans un univers sans compromis, « frette net sec », mais avec une langue superbe. Dans la société dans laquelle on vit, qui est capable de regarder toutes ces émissions de télé-réalité, plus vulgaires les unes que les autres, je pense qu’on est capable de prendre un texte de théâtre un peu hors du commun. Et si jamais on est choqué par ce qu’on entend, ça veut dire que ça fait du bien de se faire réveiller parce c’est dans cet univers qu’on vit.
MF : Merci, bonne lecture et bon festival !
Vous pouvez voir Savoir compter au Théâtre aux Écuries, le lundi 4 mai à 20 heures. Pour vous procurer des billets, cliquez ici.
Marco Fortier
[1] http://voir.ca/scene/2013/07/17/zone-homa-entrevue-avec-marianne-dansereau-hamster/
S’Appartenir(e), Soirée d’ouverture du Festival du Jamais LU 20
Rencontre avec Emmanuelle Jimenez et Catherine Léger
Par Marco Fortier
Vendredi le 1er mai à 20 heures, au Théâtre aux Écuries, aura lieu la soirée d’ouverture de la saison 2015 du Festival du Jamais LU. À l’affiche, la pièce S’appartenir(e) écrite par un collectif de huit auteures, réunies par Marcelle Dubois, directrice générale et artistique du Jamais LU, Brigitte Haentjens, directrice artistique du Théâtre français du Centre National des Arts à Ottawa, et Anne-Marie Olivier, directrice artistique du Théâtre du Trident à Québec. Le tout est mis en lecture par Catherine Vidal.
S’appartenir(e) est la toute dernière publication de la série Pièces publiée par la maison d’édition Atelier 10 et réunissant les auteures suivantes: Joséphine Bacon, Marjolaine Beauchamp, Véronique Côté, Rébecca Déraspe, Emmanuelle Jimenez,Catherine Léger et Anne-Marie Olivier. La ligne directrice du festival est reliée à l’appartenance, comme individu, communauté, société ou même culture. Pour cette soirée, la parole est donnée aux femmes, symbolisée par le « e » ajouté pour l’occasion au titre de la pièce.
J’ai eu la chance de m’entretenir avec deux des huit auteures et d’en apprendre davantage sur le processus d’écriture collective.
Emmanuelle Jimenez a plusieurs textes qui ont été joués sur diverses scènes du Québec, dont Du vent entre les dents (Théâtre d’Aujourd’hui – 2006), Un gorille à Broadway (Productions À tour de rôle – 2007), Rêvez, montagnes ! (Nouveau Théâtre Expérimental – 2009) et Le dénominateur commun (coécriture avec François Archambault, Théâtre Debout) lu pour la toute première fois au Festival du Jamais LU 2013 et monté à La Licorne en 2015.
Catherine Léger écrit surtout pour le cinéma et la télévision. Elle a coscénarisé le film La petite reine (2014) avec Sophie Lorain. Elle a aussi écrit des pièces telles que J’ai perdu mon mari (2014), Princesses (2011), Opium 37 (2008), et Voiture américaine (2006), texte pour lequel elle a gagné le prix Gratien Gélinas. Elle fait partie des 26 auteurs sélectionnés par Olivier Choinière pour l’écriture de la version 2014 de l’Abécédaire qui a aussi été publié dans la série Pièces.
MF : Tout d’abord, comment l’écriture est arrivée dans vos vies?

Crédit photo : Andréanne Gauthier
EJ : J’ai étudié en sciences politiques à l’Université de Montréal. Je cherchais à rencontrer des gens qui avaient envie de changer le monde. Malheureusement, je n’y ai pas trouvé les personnes engagées que j’aurais aimé rencontrer. J’ai apprécié mes deux années et je demeure très intéressée par l’actualité politique.
Ensuite, j’ai été acceptée au Conservatoire d’art dramatique en interprétation. J’ai commencé comme comédienne mais je me suis très vite mise à l’écriture. Pour gagner ma vie, j’enseignais à des adolescentes du secondaire. Les œuvres au programme comportaient très peu de rôles intéressants pour les femmes et je me suis un peu tannée de mettre des moustaches à mes élèves. J’ai décidé d’arrêter de chialer et d’écrire du théâtre sur mesure pour les groupes auxquels j’enseignais. Je me suis fait ainsi la main à la dramaturgie. Petit à petit, mon intérêt a grandi et, tout en demeurant comédienne, je consacre la plus grande part de mon temps à l’écriture de pièces pour grand public qui sont produites professionnellement.
CL : Pour ma part, j’étais gamine lorsque j’ai commencé à écrire. Je ne sais pas pourquoi, c’est arrivé comme ça. À l’adolescence, j’ai écrit beaucoup de poésie, je rêvais de publier des romans. Malheureusement, je n’avais pas de discipline et j’ai trouvé dans le programme d’écriture dramatique à l’École Nationale de Théâtre cet encadrement dont j’avais besoin. Durant trois ans, j’ai suivi une formation intensive qui m’a permis d’acquérir la technique requise et avoir du souffle dans ma prose. C’est devenu mon métier. J’écris pour le théâtre, pour le cinéma et la télévision.
MF : Est-ce que le processus de création à huit auteures est bien différent qu’en solo?
CL : Ce n’est pas une création collective et chacune a écrit son texte. La difficulté d’écrire à plusieurs n’était pas présente dans ce projet. Savoir qu’on est huit à écrire sur un même thème, invite à aborder le sujet d’une manière originale, de trouver un angle différent pour s’assurer que le spectacle ne soit pas redondant. Chacune y est donc allée de façon très personnelle.
C’est extrêmement précieux cet espace-temps qu’elles nous ont accordé. Quand on écrit pour le cinéma et la télévision, on a rarement l’occasion de se pencher sur des sujets plus personnels. Elles ont créé un super momentum qui nous a habitées par la suite. La rencontre a été structurante, le groupe a réellement existé et chacune savait y trouver sa place.
EJ : Les trois instigatrices du projet, Marcelle, Brigitte et Anne-Marie, nous ont toutes réunies pour échanger sur notre façon de comprendre le thème. Nous sommes reparties la tête remplie d’idées, en ayant carte blanche. Nous disposions de quelques mois pour rédiger chacune un texte principal d’une dizaine de minutes et quelques plus petits textes qui pourraient être insérés dans le déroulement de la soirée.
Le travail d’aménagement des textes a été complété par Catherine Vidal, la metteure en scène et Marcelle Dubois. Elles ont colligé tous les récits et fait leurs choix. Le résultat est très éclectique : des prises de parole intimes, d’autres très engagées, de la poésie, des dialogues et des monologues.
MF : Le spectacle a déjà été présenté à Québec et Ottawa. Était-ce aussi sous la forme de lecture?
EJ : Oui c’est une lecture vivante, sans lutrin, avec une mise en espace et des projections sur écran. La scénographe Geneviève Lizotte, désirait aussi prendre la parole sur le thème S’appartenir(e) mais avec des images. La réaction a été au-delà de nos espérances.
Aussi, fait intéressant à noter : mis à part Éric Forget qui interprète le seul rôle masculin du spectacle, la distribution est entièrement assurée par les huit auteures.
MF Comme ces pièces sont écrites et jouées presque uniquement par des femmes, est-ce que les hommes seront aussi interpelés par ce spectacle?
EJ : Tout à fait. Dans mon cas, je me suis davantage intéressée au « e » dans S’appartenir(e). J’ai voulu faire un état des lieux de ce que je ressentais comme femme en 2015. La plupart des autres textes ne sont pas spécifiquement féministes. Les hommes ont un rôle important à jouer pour la cause des femmes.
CL : Pour ma part, j’ai écrit un dialogue entre une femme et un homme. Elle est plus idéologique et lui plus terre-à-terre. J’aime les personnages féminins qui parlent de sexualité et disent des choses affreuses sans aucun scrupule, mais totalement en lien avec la réalité. Ce sont des choses que j’entends souvent dans la vie mais rarement dans la fiction. Ça me plaît beaucoup d’inverser les rôles en lui faisant jouer, à elle, la rebelle de droite et, à lui, une attitude plus ouverte, à gauche.
MF : Emmanuelle, est-ce exact de ressentir de la rage, de la peur dans ton texte ainsi qu’un ardent désir de vivre heureuse malgré tout.
EJ : Oui c’est bien ça. C’est un sujet que j’évite très souvent. Quoiqu’on en dise, c’est encore très délicat de parler de féminisme. C’est très risqué de se faire cataloguer comme étant radicale, frustrée. Les préjugés existent encore et pour moi, ce n’était pas du tout un thème facile à aborder. Je fais des allers-retours constants entre un désir de vivre dans la liberté et la haine qui existe contre les femmes qui me rattrape sans arrêt.
MF : Et toi, Catherine, tu aimes donner des conseils comme tu le fais dans tes capsules humoristiques ?

Crédit photo : Dominique Lafond
CL : C’est une formule que j’avais testée avec l’abécédaire et ça avait bien fonctionné. Dans les médias sociaux et dans les magazines féminins, on voit constamment apparaître des listes, plus souvent absurdes qu’autres choses, comme par exemple « 7 trucs pour envoyer votre homme au septième ciel ». Ça existe beaucoup dans la consommation rapide d’information. Je trouve ça lourd de voir comment on dit aux femmes comment gérer leur vie au féminin. J’ai choisi cette formule, en utilisant le second degré, pour aborder des sujets plus difficiles et avec humour. Quand j’arrive sur scène, il y a une musique à caractère très pop et je prends une attitude décontractée et faussement sympathique alors que je dis des choses horribles.
MF : Merci et bon festival !
Vous pouvez voir S’appartenir(e) au Théâtre aux Écuries, le vendredi 1er mai à 20 heures. Les billets sont en vente ici.
Marco Fortier

Ouverture de la 14e édition du festival Jamais LU!
Rencontre Marcelle Dubois, fondatrice
Par Marco Fortier
Du 1er au 9 mai prochain se tiendra l’édition 2015 du Festival Jamais LU, formidable évènement permettant la rencontre du public et passionnés de théâtre avec des auteurs qui présentent leurs textes tout juste achevés.
À l’occasion de la conférence de presse du dévoilement de la programmation qui s’est récemment tenue au Théâtre aux Écuries, je me suis entretenu avec madame Marcelle Dubois, fondatrice, mais aussi directrice générale et artistique du Festival du Jamais LU. Toujours radieuse, Marcelle Dubois est passionnée par son travail et intarissable sur le sujet. Elle vient tout juste de se voir décerner le Prix Sentinelle 2015 par le Conseil québécois du théâtre, qui souligne le travail de membres d’équipe de gestion et d’administration de théâtres pour leur contribution à l’épanouissement de la dramaturgie québécoise.
MF : D’abord, toutes mes félicitations! Qu’est-ce que ce prix représente pour toi ?
MD : Ce prix reconnaît le développement exponentiel des activités du Festival du Jamais LU au cours des dernières années. Ce qui me touche personnellement c’est de penser qu’en 14 ans on a pu faire émerger la place de l’auteur dans le milieu culturel. Sa parole est davantage reconnue comme un acte fondateur d’une communication avec le public.
MF : Pour le bénéfice de nos lecteurs, raconte-nous ton parcours professionnel et ce qui t’a amené à faire du théâtre.
MD : Je suis originaire du Témiscamingue. J’avais autour de 13 ans quand je suis arrivée à Montréal. J’ai fait un certificat à l’UQAM en création littéraire et j’ai beaucoup aimé les cours sur la recherche, la réflexion et la psychologie de la création. J’ai réalisé que je voulais écrire, bâtir des univers et des espaces de prise de parole. En 2000, j’ai fondé ma compagnie Porteuses d’aromates. J’ai écrit et mis en scène mon premier texte « En vie de femmes » en 2001. C’était pour moi, une production école, avec toute la fraicheur d’un premier texte et tous les défauts associés à l’apprentissage.

Source et crédit photo: Emmanuelle Lussiez
MF : Dans quel contexte est né le Festival du Jamais LU?
MD : À ce moment là, je travaillais comme serveuse au Café l’Aparté situé juste en face de l’École Nationale de Théâtre. C’était le repère des Falardeau, Luc Picard, Les Zapartistes, et Le Théâtre de la Pire Espèce. C’était un tel vivier, tellement électrisant. On y a créé le premier Festival du Jamais LU, il y a 14 ans.
MF : Comment le Festival du Jamais LU a évolué au fil des ans ?
MD : Le festival est né d’un désir de s’entendre entre auteurs et de se faire entendre auprès des professionnels et des institutions. Il y a 15 ans, il n’y avait pas beaucoup d’ouverture envers les artistes de la relève. Il a donc fallu prendre notre place. Aujourd’hui, le festival demeure une vitrine pour les auteurs. On travaille toujours avec la jeune génération, on cherche à découvrir de nouveaux talents et on prend des risques. Avec le temps, c’est aussi devenu un échange avec les personnes qui s’intéressent de plus en plus à notre événement et à l’art littéraire théâtral. C’est une façon unique de développer un lien privilégié et direct entre l’auteur et le public.
MF : Pourquoi, depuis trois ans, demander à un artiste différent d’assumer avec toi la direction artistique du festival?
MD : C’est venu d’une nécessité, car, en 2012, j’ai dû prendre un congé de maternité pour donner naissance à un garçon en avril, à peine un mois avant le début du onzième festival. J’ai donc invité Jean-François Nadeau à se joindre à moi en septembre et à contribuer dès le départ. C’était agréable de faire côtoyer des visions complémentaires. Même si je continue d’établir la ligne directrice, j’aime bien me faire provoquer ou lancer des défis qui m’amènent plus loin que si j’y étais allée toute seule. J’avais aussi envie d’agir comme incubateur de direction artistique et d’offrir des opportunités à des gens qui ont le talent requis pour le faire.
Cette année, je travaille avec Justin Laramée. En plus d’être un auteur que j’aime bien, et une personne passionnée qui a une vision, il assure la direction éditoriale de la nouvelle collection Pièces d’Atelier 10. Nous avons une appartenance d’esprit avec Atelier 10 et j’avais le goût de m’associer avec eux.
MF : La programmation 2015 est très intéressante. Veux-tu nous en dire quelques mots ?
MD : La ligne éditoriale est S’appartenir. Quand on prépare la programmation, on n’essaie pas de faire coller des textes à une thématique prédéterminée. On choisit d’abord les coups de cœur, parmi les 200 et plus propositions que nous avons reçues cette année, et on en déduit une thématique qui les unit. C’est fascinant de voir à quel point les auteurs sont des porte-paroles de l’air du temps. Le thème s’appartenir s’est imposé de lui-même car il était au centre de tous les projets qui nous avaient parlé. Les histoires sont différentes, les styles d’écriture sont multiples, mais la préoccupation d’appartenance, que ce soit comme individu, comme communauté, comme société, comme culture, elle est clairement présente. Par exemple, Le repeuplement des racines familiales est un texte assez acide de Maxime Carbonneau. Sans être engagé au sens premier du terme, il touche clairement à la notion d’appartenance. Une famille demande à un voisin de venir jouer le personnage d’un des leurs, un différent chaque jour, et évalue s’il est meilleur qu’eux dans leur propre rôle. Ça traduit bien l’importance du paraître dans notre société en opposition avec qui nous sommes en réalité.

Source : Emmanuelle Lussiez
Crédit photo : David Ospina
Aussi, Comment frencher un fonctionnaire sans le fatiguer d’un collectif d’auteurs (les poids plumes) de l’Outaouais. Ça fait 10 ans qu’on invite des écrivains franco-canadiens au festival. Au début, on les cherchait. Maintenant on sent une nouvelle génération poindre, un regain de culture francophone dans ces régions, une affirmation forte et animée.
On accueille aussi une auteure française, Natalie Filion, qui viendra nous présenter son texte Spirit, qui est un dialogue intemporel entre des jeunes femmes contemporaines, colorées et pétillantes à Paris, et des fantômes des maîtresses de Lénine alors qu’il était en exil en France. Elles vont parler de la place des femmes dans l’histoire et des ambitions des femmes de notre génération.
MF : Que peux-tu nous dire sur ton plus récent projet, Habiter les terres, qui sera présenté dans le cadre du festival?
MD : C’est un texte sur lequel je travaille depuis trois ans avec le Théâtre du Tandem à Rouyn-Noranda, où je suis allée faire une résidence de création. J’avais envie de faire un travail anthropologique et d’aller voir les gens que je continue d’appeler les miens même si ça fait longtemps que je vis à Montréal. J’ai l’impression que mon ADN, mon imaginaire, sont modelés par ces gens là, ces paysages impossibles, cette ruralité très rude et en même temps magnifique. Quels sont les enjeux actuels de ceux qui décident d’y rester? J’y ai découvert des gens qui font vivre le mot pays au quotidien, des personnes qui ont été envoyées là, il y a 80-90 ans, c’est une région toute jeune. Plusieurs sont de vrais résistants, car ils sont constamment menacés de la fermeture de leur village, de la route qui les relie aux communautés voisines.
En utilisant la magie de l’écriture qui vient combler les trous de la réalité, j’ai écrit comme une fable où les gens pour se faire entendre vont kidnapper un ministre. C’est une pièce sur la ruralité mais aussi beaucoup sur les contre-pouvoirs. La question est très d’actualité avec ce qu’on voit au téléjournal ces temps-ci. Jusqu’où peut-on perturber l’ordre social pour faire entendre une cause noble ? Et à partir de quel moment on devient des terroristes et que notre fin n’est plus juste parce que nos actions ont dépassé les limites acceptées de l’ordre social ? Comment on arrive à se faire entendre pour vrai comme citoyen face au pouvoir ?
MF : Merci et bon festival !
Pour en savoir plus sur la programmation, visitez le site officiel du festival.
Marco Fortier

Corbo: le Québec au point d’ébullition
Depuis quelques jours, le drame historique Corbo, premier long métrage très attendu de Mathieu Denis est à l’affiche sur les écrans du Québec. Le film raconte l’attentat commis par l’adolescent Jean Corbo (Anthony Therrien) en 1966 pour le Front de libération du Québec (FLQ) où il trouvera accidentellement la mort.
Au-delà des évènements qui sont racontés, cette histoire est intéressante et force la réflexion. En apparence, tout sépare Jean Corbo des militants québécois d’extrême-gauche issus des classes ouvrières qui deviendront ses compagnons d’armes. Né dans une famille bourgeoise italo-québécoise de Ville Mont-Royal, rien ne destinait cet adolescent promis à un brillant avenir à s’engager dans ce mouvement révolutionnaire responsable d’actes terroristes. À cette époque, à peine quelques années avant la crise de Saint-Léonard, rares sont les membres de la communauté italienne de Montréal qui choisissent de vivre en français, et à plus forte raison qui s’engagent pour l’indépendance du Québec. La trajectoire de Jean Corbo vers son triste aboutissement n’est pas banale et mérite qu’on s’y attarde.
Avec intelligence et nuances, le film raconte comment l’engagement politique pousse ce groupe de jeunes militants à poser des gestes irréparables. Ceux-ci réclament l’égalité économique, politique et sociale du peuple québécois dominé par les Canadiens anglais et cela, malgré les grandes réformes en cours de la Révolution tranquille. Mathieu Denis évite judicieusement les pièges du pamphlet, contrairement à Octobre de Pierre Falardeau. Le résultat : on ne sort pas indemne du visionnement de Corbo. Les spectateurs sont forcés de se positionner et de mettre à la place des protagonistes pour décider si dans une situation semblable, ils auraient agi de la même manière.
Quelques heures après avoir vu le film, je me suis entretenue avec Mathieu Denis, scénariste et réalisateur pour discuter de son premier long métrage.
MDA : Pourquoi avoir choisi de raconter l’histoire de Jean Corbo et non celle d’un autre acteur du FLQ?
MD : Jusqu’à un certain point, j’essaye de me comprendre moi-même à travers mes films et certains sujets s’imposent à moi. Avec Jean Corbo, j’avais la conviction que c’était une histoire pertinente à raconter et j’avais moi-même envie d’en savoir plus. Je fais des films d’abord parce que j’aime le cinéma, parce que c’est un art qui me fait vibrer et qui me passionne, qui est à la fois porteur de sens et d’émotions. Certains films me touchent et me font réfléchir. J’ai envie que mes films aient cet impact-là sur ceux qui vont les voir.
Je n’avais donc pas envie de raconter une simple anecdote à propos du passé, mais plutôt un sujet qui trouve écho dans le présent, qui soit encore pertinent aujourd’hui. Le cas de Jean Corbo a quelque chose de très contemporain, notamment à cause de son bagage familial. Il y avait une quête identitaire dans sa démarche et ça nous parle. Même si le Québec d’aujourd’hui n’est pas celui de 1966 qui était principalement blanc, catholique et francophone, la question identitaire se pose toujours puisque nous n’avons pas encore réalisé notre indépendance.
C’était aussi pertinent de parler de Jean Corbo et de son engagement parce qu’aujourd’hui, nous vivons de plus en plus comme une société atomisée, c’est-à-dire une collection d’individus qui vivent de plus en plus en pratiquant l’indifférence envers les autres.

Crédit: Max Films Média
MDA : Les premières scènes du film montrent Jean Corbo rejeté par ses confrères de classe et son enseignant au nouveau collège qu’il fréquente. Ne se sentant pas reconnu comme un des leurs, il aurait pu ne pas faire sienne la lutte des Québécois pour leur émancipation. L’engagement de Jean Corbo n’allait donc pas de soi.
MD : Même s’il était issu d’une communauté immigrante, Jean Corbo avait besoin de prendre part au monde dans lequel il vivait. Voilà pourquoi je trouvais important de présenter la famille et cette espèce de filiation qu’il y a entre le grand-père (Dino Tavarone), le père (Tony Nardi) et le fils. Le grand-père a été fortement humilié après avoir été emprisonné durant la Seconde guerre mondiale dans un camp d’internement en Ontario réservé aux immigrants d’origine italienne. Pendant cette période, sa femme est décédée et il n’a même pas pu assister à ses funérailles. Il a aussi perdu sa maison et son commerce. Suite à ces tragiques évènements, il n’a plus voulu entendre parler d’intégration à la société d’accueil. Il en est venu à la conclusion que quoi qu’il dise ou fasse, il serait toujours considéré comme un Italien, alors il s’est complètement retiré dans sa communauté.
Pour sa part, la réaction de Nicola, le père de Jean, lui aussi emprisonné dans un camp, est différente. Même s’il s’est senti humilié, il sortira moins marqué de cette expérience que son père puisqu’il était plus jeune au moment de la guerre. Sa manière de réagir est différente : pour ne plus que jamais une telle chose ne lui arrive, il a pris le pari de travailler fort pour faire de l’argent et acquérir un statut social enviable. Son intégration au Québec est donc matérialiste. Voilà pourquoi il est aussi ébranlé lorsque Jean, à qui il a offert un avenir doré sur un plateau d’argent, lui annonce sans ménagement qu’il refuse cette vie de bourgeois. Les aspirations de Jean sont différentes de celles de son père et son grand-père. Autour de lui, il voit des injustices et des inégalités sociales et veut mettre la main à la pâte pour faire en sorte que ça change.

MAX FILMS MEDIA
Photo: Philippe Bosse / Max Films Media
MDA : Comment avez-vous entendu parler de Jean Corbo?
MD : C’est mon père qui m’a raconté cette histoire lorsque j’étais plus jeune. À l’époque, les évènements l’avaient fortement marqué et lui sont toujours restés en mémoire. D’ailleurs, si Jean était encore en vie, ils auraient à peu près le même âge.
J’ai essayé de me mettre à la place de Jean et me suis demandé si j’aurais été capable du même genre d’engagement politique. La réponse, c’est non et ce constat est confrontant. Quand j’étais adolescent, il n’y avait pas de cause assez forte pour expliquer un tel engagement. J’ai donc eu envie de comprendre pourquoi la situation était devenue si différente et pourquoi ma génération est apolitique et un peu cynique. Ça m’inquiète car les choses ne peuvent que dégénérer lorsqu’on se désintéresse de notre propre destinée.
MDA : Mis à part Jean Corbo, quels personnages portés à l’écran dans votre film ont réellement existé?
MD : Tous les personnages ont existé ou sont nés de croisements de membres de cette cellule du FLQ. Plus particulièrement François (Antoine L’Écuyer) et Julie (Karelle Tremblay), sont des composites de personnages historiques. Par contre, les gestes qu’ils posent à l’écran et les évènements racontés sont véridiques. Quant à eux, Mathieu (Francis Ducharme, le dirigeant de la cellule, c’est Pierre Vallières et Robert (Jean-François Poulin), celui qui donne un atelier sur Frantz Fanon, c’est Charles Gagnon. Je n’ai pas caché leur véritable identité, même si j’ai pris la liberté de les présenter sous leur pseudonyme.
MDA : Comment les felquistes ont accueilli votre projet de film?
MD : Au cours de mes recherches, j’ai retracé quelques anciens membres du FLQ. Certains ont refusé de me parler car ils ont tourné la page et ne souhaitent pas ressasser le passé. La plupart étaient surpris que je surgisse pour discuter de ces évènements largement occultés par ceux d’octobre 1970. Ils ont à peu près tous une chose en commun : ils ne semblent pas conscients de la place qu’ils occupent dans l’histoire. Aussi, la plupart ignorent si leurs gestes ont une quelconque valeur puisque jamais personne ne leur en parle. Parfois, j’ai senti une certaine fierté d’avoir essayé quelque chose. En même temps, ils ont honte de ne pas avoir obtenu plus de résultats concrets et bien sûr, à cause des victimes.
MDA : Jusqu’à présent, vous nous avez habitué à des œuvres qui offrent une réflexion sur la société québécoise. Je pense à Corbo mais aussi à Laurentie, que vous avez coréalisé avec Simon Lavoie. Est-ce que le cinéma a une fonction pédagogique?
MD: Jusqu’à un certain point, j’essaye de me comprendre moi-même à travers mes films et certains sujets s’imposent à moi. Avec Jean Corbo, j’avais la conviction que c’était une histoire pertinente à raconter et j’avais moi-même envie d’en savoir plus. Je fais des films d’abord parce que j’aime le cinéma, parce que c’est un art qui me fait vibrer et qui me passionne, qui est à la fois porteur de sens et d’émotions. Certains films me touchent et me font réfléchir. J’ai envie que mes films aient cet impact-là sur ceux qui vont les voir.
Corbo est donc une contribution importante pour comprendre cette période trouble de l’histoire du Québec récent arrivé à son point d’ébullition. À l’heure où chez nous, le cinéma historique a moins la cote, Mathieu Denis prouve sans équivoque toute l’utilité de ce genre qui agit comme puissant révélateur de notre passé.
L’horaire de projection de Corbo dans la grande région de Montréal se trouve ici.
Myriam D’Arcy

Crédit André Chevrier
Rencontre avec Walter Boudreau, lauréat du Prix du Gouverneur Général

Source : SMCQ
Le 9 avril dernier, Walter Boudreau, directeur artistique de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) recevait, notamment aux côtés du réalisateur Atom Egoyan et de Sarah Mc Lachlan, populaire auteure-compositrice-interprète et musicienne, le Prix du Gouverneur Général du Canada pour les arts du spectacle 2015. Cette récompense est la plus importante dans le domaine des arts. Elle lui a été accordée en reconnaissance pour les quarante années de carrière comme compositeur, chef d’orchestre et directeur artistique, ayant marqué le monde musical canadien. Walter Boudreau a écrit pour orchestre, petits ensembles, solistes, aussi pour le cinéma, le théâtre et le ballet. Il a plus d’une soixantaine d’œuvres à son actif. Cet honneur rendu était l’occasion parfaite pour réaliser un entrevue avec cet artiste de grand talent et dont la contribution est essentielle au développement de la musique contemporaine de chez nous.
Walter Boudreau a étudié au Québec, aux États-Unis et en Europe avec les grands maîtres de la musique contemporaine tel que Gilles Tremblay (Québec 1932), Serge Garant (Québec 1929-1986), Mauricio Kagel (Argentine – Allemagne 1931-2008), Karlheinz Stockhausen (Allemagne 1928-2007) György Ligeti (Hongrie – Autriche 1923-2006), Olivier Messiaen (France 1908-1992), Iannis Xenakis (Grèce – France 1922-2001), Pierre Boulez (France 1925).
MF : Bonjour Walter. D’abord, toutes mes félicitations pour le Prix du Gouverneur Général que tu viens tout juste de recevoir. Qu’est-ce que ça représente pour toi ?
WB : J’ai dit à gauche et à droite que c’est beaucoup plus intéressant que de recevoir un coup de pied au derrière! Bien sûr que ça fait plaisir. C’est une reconnaissance officielle à un très haut niveau. Je faisais la blague sur le coup de pied dans le derrière, ça fait tellement d’années que je me bats pour l’appréciation de la musique nouvelle et des compositeurs qui la pratiquent. Alors cette distinction me touche, me réconforte et me donne du courage pour continuer.
MF : Ce n’est pas le premier prix que tu reçois. Tu en as toute une collection. Est-ce que ça nous touche autant chaque fois ?
WB : En effet, je croule sous les médailles. En blague, je disais récemment que j’allais commencer à ressembler à un général russe! J’ai eu le Prix Molson du Conseil des Arts du Canada (2003), le Prix Denise Pelletier (2004), Chevalier de l’Ordre National du Québec (2013), membre de l’Ordre National du Canada (2013) , et bien sûr de nombreux prix Opus (1998, 1999, 2000, 2003, 2008), et maintenant le Prix du Gouverneur Général. Ça ressemble à une béatification, mais la sanctification n’arrive qu’après la mort…!
Plus sérieusement, on ne reçoit pas de prix tous les jours et il y a des traversées du désert entre chacun d’eux.. Ce sont des encouragements qui sont toujours agréables et réconfortants. Je suis un éternel combattant et j’apprécie l’énergie que ça me procure pour continuer à faire mon travail.
MF : Ton parcours est assez éclectique. Peux-tu nous le résumer ?

Source : SMCQ
Crédit photo : Pierre Saint-Amand
WB : Je suis né à Montréal en 1947 dans des circonstances dramatiques. Mon père, qui revenait tout juste d’Europe après avoir servi comme officier au sein du 22e régiment de l’armée canadienne durant la Seconde guerre mondiale, s’est noyé dans un accident de chasse. Ma mère m’a donc élevé à Sorel chez ma grand-mère maternelle. J’ai commencé à étudier le piano à 5-6 ans chez les Sœurs.
À 13 ans, j’ai appris le saxophone et j’ai joué dans l’harmonie du collège, ce qui a changé ma vie. J’étais maintenant entouré d’un grand nombre de clarinettistes, qui jouaient faux, d’ailleurs! Le saxophone m’a mené vers la musique populaire. Et bien sûr, j’ai goûté au jazz, tout en continuant mes études de piano classique.
En 1966, je suis déménagé à Montréal et l’année suivante, je travaillais à l’exposition universelle. J’y ai rencontré Raoul Duguay, Claude Gauvreau et bien d’autres. En 1968, j’ai commencé des études à l’Université McGill, au Conservatoire de Musique de Montréal et à l’école de Musique de l’université de Montréal, tout en fondant l’Infonie avec mon ami Raoul Duguay. On y faisait de tout : du classique, du contemporain, de la rengaine, de la chansonnette, même de l’électro-acoustique.
Par la suite, j’ai poursuivi ma carrière de chef d’orchestre en allant étudier en Europe et aux États-Unis. J’ai finalement été nommé à la direction de la SMCQ et j’y suis depuis 27 ans.
MF : Comment arrives-tu à concilier toutes tes fonctions?
WB : Je fais une triple carrière, à la fois comme compositeur, chef d’orchestre et administrateur des arts. C’est très exigeant d’avoir la responsabilité de la destinée de la plus grande société de musique contemporaine en Amérique du Nord. Ça me permet de rencontrer des gens de différents milieux, d’échanger des idées et c’est très stimulant, intellectuellement, politiquement et artistiquement. Par contre, mes fonctions ne m’empêchent pas de me consacrer à la composition et pas une journée ne passe sans que j’y travaille.
MF : Depuis sa création, de quelle manière a évolué la SMCQ ?
WB : Au départ, c’était un rêve grandiose puisqu’en 1966, il n’existait aucune institution au Québec pour supporter la musique contemporaine. Conséquemment, peu d’œuvres étaient produites. La SMCQ est née d’un regroupement de compositeurs et son premier concert a eu lieu le 15 décembre de cette même année. En 2017, nous fêterons le 50e anniversaire de la SMCQ.
Parmi nos réalisations, nous avons notamment créé la série Hommage, il y a presque 10 ans. Un des aspects fondamentaux de notre action est d’intégrer les compositeurs de musique contemporaine dans le milieu au même titre que le sont les poètes, les écrivains, les metteurs en scène, les dramaturges, les cinéastes.
En 2014, on a rendu hommage à Denis Gougeon et autour de 50 000 personnes, au cours de l’année, ont été exposées à sa musique dans plus de 200 événements, parce que c’est une initiative qui est partagée avec tout le milieu de la musique, pas seulement contemporaine. Cette année, c’est au tour de John Rea d’être mis à l’honneur.
Depuis maintenant 15 ans, nous avons développé un secteur jeunesse qui est absolument fantastique. Un des programmes s’appelle compositeurs en herbe. Des jeunes sont invités à partager leur composition et à recevoir des conseils de musiciens aguerris, le tout devant public.
Nous avons aussi le festival Montréal Nouvelles Musiques (MNM), le plus grand festival du genre en Amérique du Nord, créé en 2003 avec Denys Boulianne. Cette année, nous avons comptabilisé pas moins de 26 000 entrées. Chaque année, nous tentons d’agrandir notre auditoire, pour permettre de faire entendre le plus grand nombre d’œuvres de notre répertoire.
MF : Quel est ton concert le plus mémorable ?
WB : La Symphonie du millénaire que nous avons donnée sur le parvis et le stationnement de l’Oratoire St-Joseph devant 70 000 personnes. C’est une aventure invraisemblable que j’ai vécue comme compositeur, comme concepteur, comme organisateur, comme planificateur et comme interprète. On était 333 musiciens de 18 formations différentes. En cette période de morosité et d’austérité, les conditions gagnantes ne sont pas présentes pour faciliter une nouvelle performance de l’œuvre. Par contre, je suis en pourparlers avec des organismes en Europe et en Chine qui démontrent de l’intérêt.
Je souhaite éventuellement revivre un projet similaire sur lequel je travaille depuis des années, la Symphonie portuaire, étalée sur 1000 kilomètres de Valleyfield à Gaspé.
MF : Quel est le prochain concert de la SMCQ ?
WB : C’est notre événement bénéfice annuel qui aura lieu le 20 mai prochain à la salle Pierre Mercure du Centre Pierre-Péladeau. À cette soirée, on fait un beau clin d’œil à la collaboration que j’avais eue avec Lorraine Pintal au TNM lors de la production de l’Asile de la pureté. On présentera donc des extraits musicaux et théâtraux : le prélude avec le chœur Mruta Mertsri, François Papineau nous récitera des textes en exploréen, Alain Lefèvre jouera la Valse de l’asile, on fera le troisième mouvement du concerto de l’asile, la charge de l’orignal épormyable dans sa version deux pianos. Ce concert est ouvert au grand public et toutes les informations se trouvent sur notre site.
Le 30 mai, je serai avec Alain Lefèvre à Ottawa pour diriger l’orchestre du Centre National des Arts lors du grand concert gala des prix du Gouverneur Général du Canada 2015, et on présentera un extrait du Concerto de l’asile, on fera la valse que j’ai réorchestrée spécifiquement pour l’occasion.
MF : Merci!
Pour connaître la programmation des concerts de l’Ensemble de la Société de musique contemporaine du Québec, visitez leur site en ligne ici.
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Marco Fortier

Le Stabat Mater de Dvorak à la Maison symphonique: la suite
Dimanche dernier, j’ai assisté à un concert rarissime, le Stabat Mater de Dvorak (1841-1904), comme je l’ai annoncé dans mon précédent billet. L’évènement était dirigé par maestro Yannick Nézet-Séguin de l’Orchestre et du Chœur Métropolitain.
La salle était pleine à craquer. Avant le début du concert, Yannick Nézet-Séguin s’est adressé à l’auditoire pour nous expliquer la pertinence de monter cette pièce de musique sacrée en ce dimanche des Rameaux. Il nous a avoué n’avoir jamais eu la chance de chanter le Stabat Mater lorsque, plus jeune, il était choriste et qu’il en rêvait. Il s’est dit privilégié de pouvoir maintenant le diriger.
D’abord un changement dans la distribution : le ténor américain Garrett Sorenson est venu remplacer celui prévu initialement.
L’œuvre est dense, lourde, progressant très lentement vers un dernier mouvement plus éclaté. La musique exprime bien toute la douleur, la tristesse et les pleurs omniprésents dans le texte. Stabat Mater veut dire littéralement «Se tenant debout, Mère », faisant référence à la Vierge Marie accompagnant son fils vers la mort au pied de la croix.
D’abord, félicitations à l’orchestre et à son chef pour la qualité de l’interprétation. Les accents, souvent cuivrés, viennent admirablement ponctuer, de façon éphémère et marquante, de longues phrases mélodiques que se partagent l’orchestre et le chœur.
J’ai adoré le premier mouvement avec ses descentes chromatiques qui se chevauchent, se répètent et se transfèrent d’un groupe d’instruments à l’autre. L’entrée du chœur à l’unisson, pendant plusieurs mesures avant de se diviser, produit un effet assez saisissant.
La troisième section pour chœur est remplie de tendresse et d’émotions. Ça se déguste les yeux fermés.
La soprano, Layla Claire, a une superbe voix puissante, juste, précise dont elle se sert à merveille, en particulier dans les sections 8 et 10. C’est la soliste qui tire le mieux son épingle du jeu.
J’ai bien aimé aussi la mezzo-soprano, Karen Cargill, pour sa voix riche et chaude. Elle excelle autant dans son solo du neuvième mouvement que dans les quatuors alors que sa voix se mêle harmonieusement avec celles des autres solistes.
Le chœur est à son apogée dans le dernier mouvement où tous entrevoient la gloire du paradis. Le Amen final est interprété avec énergie et toute la fougue du renouveau qu’on peut imaginer. Les pupitres masculins se démarquent davantage par la justesse et la précision de leurs interventions.
Je fais maintenant partie des initiés qui ont déjà entendu et apprécié le Stabat Mater de Dvorak!
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Ce concert a été enregistré et sera rediffusé sur les ondes d’Ici Musique, (100,7 FM) le 1er avril prochain dans le cadre de l’émission Soirées classiques animée par Mario F. Paquet. Si vous n’avez pas pu être des nôtres dimanche, ne manquez pas cette occasion!
Marco Fortier

La passion d’Augustine : pour se réconcilier avec notre passé
Le dernier film de Léa Pool, La passion d’Augustine, a pris l’affiche au cinéma la semaine dernière. À l’image de Maman est chez le coiffeur, son précédent long métrage de fiction, l’histoire nous transporte au milieu des années 1960, dans le Québec de la Révolution tranquille. Mère Augustine (Céline Bonnier) dirige un couvent de Sœurs à vocation musicale situé au bord du Richelieu.
Grâce à la musique, elle offre à ses étudiantes un destin plus grand que celui qui leur est traditionnellement réservé. Malgré l’excellente réputation dont jouit l’établissement grâce aux nombreux prix remportés par ses étudiantes dans différents concours, une menace de fermeture plane. La récente création du Ministère de l’Éducation et la construction d’écoles publiques laïques forcent la congrégation religieuse à se restructurer. Pour éviter le pire, une grande conférence de presse est organisée pour montrer à tous l’utilité du couvent et les talents qui y sont cultivés. En plus des destinées de sa maison d’enseignement, Mère Augustine doit s’occuper de sa nièce Alice (magnifique Lysandre Ménard), jeune pianiste aussi douée que rebelle. Décelant son talent immense, Mère Augustine la pousse à se dépasser, espérant ainsi décrocher la médaille d’or au concours de musique provincial.
À l’écran, Céline Bonnier est appuyée par une imposante distribution presque exclusivement féminine : Valérie Blais, Andrée Lachapelle, Diane Lavallée, Marie Tifo et Pierrette Robitaille. Sans oublier la musique et le chant, qui ne jouent pas ici les seconds violons. Notons la direction photo impeccable, où le passage de l’hiver au printemps illustre bien le propos du film. Léa Pool possède bien l’art du récit et le résultat est convaincant. On craque pour les personnages tous plus attachants les uns des autres, tout en se laissant bercer par la musique. Par contre, le scénario n’est pas sans défauts : certaines scènes sont trop appuyées et les messages qu’on souhaite passer, notamment quelques envolées féministes et diatribes contre la nationalisation des institutions – sont soulignés en caractères gras. À quelques reprises, des archives radiophoniques viennent inutilement illustrer les changements sociaux que l’on devinerait et comprendrait aisément sans béquille. Aussi, la relation antagoniste opposant Augustine à la Mère supérieure (Marie Tifo), femme mesquine et sans nuances, n’apporte rien au récit qui se suffit en lui-même. Ceci dit, ces petits irritants n’altèrent en rien la qualité du film.
Au-delà du feel good movie et de l’omniprésence enivrante de la musique, ce film constitue une véritable bouffée d’air frais puisqu’il n’embrasse pas le récit officiel de la Révolution tranquille où notamment on célèbre l’abandon de la pratique religieuse. Léa Pool offre un point de vue rare sur les grands bouleversements vécus dans les rangs de l’Église suite à la sécularisation des domaines qui lui étaient autrefois dévolus.
Depuis plus de 50 ans, d’aucun n’ont cessé de célébrer avec raisons les grandes avancées réalisées à cette époque, où l’État moderne québécois s’est construit, où notre société s’est dotée d’institutions et d’outils nécessaires à son développement économique, politique, social et culturel. Trop rarement nous a été présenté l’envers de la médaille de ces réformes, ici les dommages collatéraux subit par les institutions phares du Canada français. Pool offre un regard généreux, plein de tendresse, mais sans complaisance sur ces religieuses qui ont tenté à leur manière d’attraper le train de la modernité qui filait à toute allure, comme en témoigne la scène la plus bouleversante du film. Pour se mettre au goût du jour, les Sœurs de la congrégation jusqu’alors vêtues d’un long et austère costume noir, sont forcées d’adopter une tenue plus moderne et de découvrir cheveux et chevilles. Bousculées et déboussolées, les deux doyennes du couvent, interprétées par Diane Lavallée et Pierrette Robitaille finissent par se plier à la consigne, pleurant en silence leur pudeur perdue.
En plus de ses qualités artistiques indéniables et de la force du récit, ce film fait œuvre utile. La passion d’Augustine est une heureuse invitation à se réconcilier avec notre patrimoine religieux et avec un passé bien moins honteux qu’on aime à se le rappeler, celui du Québec d’avant la Révolution tranquille.
Le film est présenté dans plusieurs salles à travers le Québec. L’horaire des projections dans la grande région de Montréal se trouve ici.
Myriam D’Arcy

Crédit André Chevrier
Yannick Nézet-Séguin de retour à Montréal pour diriger le Stabat Mater de Dvorak (1)
Dimanche 29 mars à 15 heures, Yannick Nézet-Séguin dirigera l’Orchestre et le Chœur Métropolitain à la Maison Symphonique de Montréal. Il interprétera le Stabat Mater d’Antonin Dvorak (1841-1904) accompagné de quatre solistes et du chœur de l’orchestre métropolitain:

Source : Orchestre Métropolitain
- Layla Claire, soprano (Canada)
- Karen Cargill, mezzo-soprano (Écosse)
- Brandon Jovanovich, ténor (USA)
- John Relyea, basse (USA)
- Pierre Tourville, Chef de choeur (Québec)
- François Ouimet, Chef de choeur (Québec)
Antonin Dvorak est un des grands compositeurs de la République Tchèque. Son portefeuille comprend 9 symphonies. La neuvième est la célèbre Symphonie du Nouveau-Monde, six grandes œuvres chorales dont le Stabat Mater, des concertos tels que le magnifique concerto pour violoncelle, de la musique de chambre et même 4 opéras. Le plus connu est Rusalka.
Le Stabat Mater est une œuvre de musique sacrée d’environ 90 minutes, écrite en 1876-77 suite au décès des deux enfants du compositeur. Cette pièce de musique chorale comprend 10 sections et le chœur intervient dans 7 d’entre elles. C’est donc une œuvre importante du répertoire de chant choral. Et pourtant, elle est rarement présentée. Malgré ma grande expérience de musique pour chœur, je n’ai encore jamais eu la chance de l’entendre. J’ai bien hâte à dimanche pour corriger cette lacune.
10 Sections:
1- Quatuor et chœur: Stabat Mater dolorosa (Andante con moto)
2- Quatuor: Quis est homo, qui non fleret (Andante sostenuto)
3- Chœur: Eja, Mater, fons amoris (Andante con moto)
4- Basse solo et Chœur: Fac, ut ardeat cor meum (Andante con moto quasi allegretto)
5- Chœur: Tui nati vulnerati (Andante con moto)
6- Ténor solo et chœur: Fac me vere tecum elere (Andante con moto)
7- Chœur: Virgo virginum praeclara (Largo)
8- Duo Alto: Fac, ut portem Christi mortem (Larghetto)
9- Alto solo: Inflammatus et accensus (Andante maestoso)
10- Quatuor et Chœur: Quandus corpus morietur (Andante con moto)
Je me suis entretenu avec Pierre Tourville, un des deux chefs de chœur de l’Orchestre Métropolitain. Il partage son historique ainsi que celui du chœur, et nous donne un avant-goût de ce que l’on pourra entendre lors du concert.

Source : Orchestre Métropolitain
M.F. : Pourriez-vous me raconter brièvement votre parcours musical ?
P.T. : Je suis né au Cap de la Madeleine et j’ai étudié l’alto au Conservatoire de musique de Trois-Rivières, ensuite au Conservatoire de Musique de Montréal et finalement au New England Conservatory de Boston. Je suis musicien, altiste, dans l’Orchestre Métropolitain depuis 2002. À peu près en même temps, j’ai commencé à être responsable du Chœur de l’OM.
M.F. : Dites-moi quelques mots sur le Chœur.
P.T. : Le Chœur va fêter son trentième anniversaire l’an prochain durant la saison 2015-2016. Il a été fondé par Agnes Grossmann, qui était la directrice artistique de l’OM à ce moment là. Elle a toujours baigné dans la musique chorale car son père, à l’époque, dirigeait les Petits Chanteurs de Vienne. Elle désirait ajouter à l’OM un chœur de haut niveau qui pourrait interpréter les grandes œuvres du répertoire. Depuis ce temps là, le Chœur contribue annuellement à la programmation de l’OM.
Le noyau principal du chœur est composé d’environ une centaine de choristes amateurs de haut calibre, des gens qui lisent la musique, ont eu une formation musicale et ont déjà chanté dans d’autres chœurs. Un petit groupe de 25 chanteurs professionnels vient enrichir la qualité sonore du chœur.
Le répertoire est varié. Il inclut de la musique sacrée et profane. Dans le passé, on a très souvent interprété la neuvième symphonie de Beethoven. Il va de la musique baroque, par exemple Jean-Sébastien Bach, à la musique contemporaine. Lors de notre dernier concert de Noël, on a présenté deux créations de jeunes compositeurs.
À l’origine, le chœur ne chantait qu’avec l’OM. Depuis peu, on a décidé de varier cette formule et maintenant, surtout dans le temps des fêtes, le chœur a son propre concert, sans l’orchestre. Ça nous permet de travailler ensemble de façon plus régulière et d’assurer une continuité dans les activités du chœur.
M.F. : J’ai remarqué que vous étiez deux chefs de chœur, ce qui est assez inhabituel. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi ?
P.T. : Oui, je partage la responsabilité du chœur avec un autre chef, François Ouimet. Au départ, ceci venait nous aider dans la logistique et principalement la gestion des horaires très chargés de chacun. Par la suite, ça s’est transformé en réel travail d’équipe et on mise sur les forces de chacun pour le plus grand plaisir des choristes. De plus, c’est une très bonne pratique pour les membres du chœur qui doivent rapidement s’adapter à différents chefs d’orchestre lors des concerts.
M.F. : Pourquoi le Stabat Mater est rarement présenté?
P.T. : C’est une bonne question. En général, Dvorak n’est pas parmi les compositeurs extrêmement visités et pourtant il a été très prolifique. Il a écrit des opéras, une superbe messe, par exemple. C’est difficile à expliquer. Le Stabat Mater est une œuvre splendide qui, en plus, n’est pas particulièrement difficile à chanter pour le chœur. On peut davantage travailler sur la qualité sonore plutôt que sur les difficultés techniques. C’est certainement une question que le public va aussi se poser.
MF : En quelques mots, comment décririez-vous l’œuvre?
P.T. : Grandiose, méditative, nostalgique, avec une grande tristesse. Dvorak a écrit cette pièce suite au décès de ses deux enfants. On y retrouve un mélange de drame et d’espoir à la fois. L’œuvre ne se livre pas d’elle même, elle a besoin d’interprétation, pour en faire ressortir toutes les couleurs. C’est une musique assez lente en général. Quand on y met toute la dévotion nécessaire, c’est une merveille, un chef d’œuvre.
Le Stabat Mater s’écoute très facilement, car les mêmes thèmes reviennent régulièrement, dans chaque mouvement. On peut se laisser emporter sans s’y perdre. La beauté des thèmes nous amène ailleurs.
À noter aussi que les 4 solistes ont chacun leur mouvement à eux, et ce sont pratiquement des airs d’opéra, qui peuvent avoir une certaine familiarité avec l’air à la lune dans l’opéra Rusalka.
M.F. : Quel est le prochain concert du chœur ?
P.T. : Cet été au festival de Lanaudière, on va chanter la troisième messe en fa mineur d’Anton Bruchner (1824-1896)
M.F.: Merci!
Le Stabat Mater sera présenté à la Maison Symphonique ce dimanche 29 mars 2015 à 15 heures. Il ne reste pas beaucoup de billets. Vous pouvez acheter vos billets ici. Le concert sera également rediffusé sur les ondes d’Ici Musique le 1er avril prochain dans le cadre de l’émission Soirées classiques animée par Mario F. Paquet.
Bientôt à venir: ma recension critique du concert.
Marco Fortier

L’Aiglon : Le fils de Napoléon
Présenté à l’OSM jusqu’à samedi!
Hier soir, j’ai assisté à la 2e représentation du concert-opéra L’Aiglon : Le fils de Napoléon par l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM). Sous la direction de Kent Nagano, cet évènement abondamment annoncé était présenté dans la métropole en première nord-américaine.
La salle était presque pleine, avec des gens curieux et ouverts pour découvrir cette nouveauté tant attendue. Une distribution impressionnante presqu’entièrement québécoise, s’ajoute à l’orchestre :
- Anne-Catherine Gillet, soprano (L’Aiglon) (Belgique)
- Marc Barrard, baryton (Flambeau) (France)
- Étienne Dupuis, baryton (Metternich) (Québec)
- Philippe Sly, baryton (Marmont) (Québec)
- Pascal Charbonneau, ténor (L’attaché militaire) (Québec)
- Isaiah Bell, ténor (Gentz) (Canada – USA)
- Tyler Duncan, baryton (Prokesch) (Canada)
- Jean-Michel Richer, ténor (Sedlinsky) (Québec)
- Marianne Fiset, soprano (Thérèse) (Québec)
- Julie Boulianne, mezzo-soprano (Fanny Elssler and Marie-Louise) (Québec)
- Kimy McLaren, soprano (Comtesse Camerata) (Québec)
- Chœur de l’OSM Andrew Megill, chef de chœur de l’OSM (USA)
- Les petits chanteurs du Mont-Royal, sous la direction de Gilbert Patenaude (Québec)
- Daniel Roussel , mise en espace (France – Québec)
L’Aiglon ( de son vrai nom Napoléon François Charles Joseph Bonaparte) est à l’origine une pièce de théâtre écrite en 1900 par Edmond Rostand. C’est le surnom donné à titre posthume par Victor Hugo au fils unique de l’empereur Napoléon 1er et de sa seconde épouse l’archiduchesse Marie-Louise d’Autriche. Il est aussi connu comme le Roi de Rome, Napoléon II, Prince de Parme, ou encore le Duc de Reichstadt. Il n’avait que 4 ans au moment de l’abdication de son père en 1815, quand il fut nommé Napoléon II. Son règne fut très court car il fut rapidement chassé du trône par l’arrivée au pouvoir de Louis XVIII.
La pièce de théâtre de six actes raconte la quête identitaire du fils par rapport à son père. Ça ne devait pas être facile de faire sa place quand on est encore jeune et le fils de Napoléon 1er. Cet adolescent, qui a vécu la plus grande partie de sa vie en Autriche, rêve de la France et de mener plus loin les projets de son père. C’est en 1936 que les compositeurs Jacques Ibert (1890-1962) et Arthur Honegger (1892-1955) décident d’écrire conjointement un opéra sur le livret d’Henri Cain inspiré de l’œuvre d’Edmond Rostand. C’est exceptionnel à cette époque que deux compositeurs bien en vue joignent leurs efforts pour coécrire une œuvre. Présenté pour la première fois en 1937, cet opéra ne pourra par la suite être présenté en France sous l’Occupation. Heureusement, l’œuvre a été adaptée au théâtre et au cinéma à plusieurs reprises, lui permettant ainsi de ne pas totalement sombrer dans l’oubli.
Marie-Hélène Benoit-Otis, musicologue et assistant professeur à la Faculté de Musique de l’Université de Montréal, nous présente, dans les notes du concert qu’elle a rédigées, les cinq actes de l’opéra aux titres évocateurs :
Acte 1 : Les ailes qui s’ouvrent
L’opéra débute en 1831 à Vienne, dix ans déjà après la mort de Napoléon 1er. Marie-Louise, la mère de l’Aiglon, lui présente des conspirateurs qui vont l’inciter à retourner en France.
Acte 2 : Les ailes qui battent
Ces conspirateurs ne s’avèrent pas tous dignes de confiance et vont s’attaquer à son estime de soi.
Acte 3 : Les ailes meurtries
Ayant perdu son enthousiasme, l’Aiglon rencontre des gens qui lui raviveront son rêve de retourner en France.
Acte 4 : Les ailes brisées
Son projet de retourner en France est dénoncé. L’Aiglon est poursuivi et capturé par les autorités autrichiennes avant qu’il n’ait réussi à quitter Vienne.
Acte 5 : Les ailes fermées
L’opéra se termine en 1832, à peine quelques mois plus tard, avec le décès de l’Aiglon alors qu’on lui faisait le récit de ses trop brefs moments de gloire.
Je salue le choix judicieux et audacieux de Kent Nagano qui a choisi de présenter cet opéra malheureusement peu connu, et dont le seul enregistrement remonte à 1950, plutôt que de faire un xème enregistrement d’un opéra plus traditionnel. Les trois concerts sont enregistrés et serviront à graver un CD.
Ce fut clairement un événement réussi. La découverte en valait le déplacement. La musique est magnifique, accessible pour tous, naturellement théâtrale, souvent militaire, et tendre et mélancolique vers la fin. J’ai particulièrement aimé les actes IV et V. La partition, superbement exécutée par l’orchestre, de la scène de bataille entre l’armée française imaginaire et l’armée autrichienne bien en chair, pendant laquelle plusieurs mélodies différentes se chevauchent, est grandiose. Les lignes mélodiques, entourant le décès de l’Aiglon, sont belles, tristes et lumineuses.
Les voix sont toutes superbes et les chanteurs québécois font tous très bonne figure. La diction est impeccable et on comprend facilement tous les mots. Je dois souligner l’extraordinaire performance de la soprano Anne-Catherine Gillet, qui chante le rôle de l’Aiglon avec justesse, aplomb et charme. La qualité de sa voix et son jeu sont impeccables. Le baryton québécois Étienne Dupuis se démarque également par sa voix riche pouvant à la fois être percutante ou judicieusement retenue. Sa prestance théâtrale était pleine de finesse. Finalement, la mise en espace de Daniel Roussel est sobre, efficace et contribue à une meilleure compréhension de l’œuvre.
J’ai adoré ma soirée et vais certainement guetter la sortie du CD pour en acheter un exemplaire.
Le concert – opéra sera présenté une dernière fois le samedi 21 mars 2015 à 20 heures à la Maison Symphonique de Montréal. Il reste quelques billets que vous pourrez vous procurez en ligne ici. Je vous recommande d’y aller sans hésitation. C’est un événement rarissime et une œuvre magnifique que vous n’aurez pas souvent l’occasion d’entendre.
Marco Fortier

Ariane Moffatt : 22h22, à écouter sans restriction!
Mardi dernier était lancé 22h22, le 5e album d’Ariane Moffatt. Si les ambiances eighties et les sonorités électro-pop montrent une parenté claire avec MA, son précédent disque, notamment à cause de la présence des synthétiseurs, les percussions et les arrangements nous amènent ailleurs, dans un univers plus éclaté.
Les douze nouvelles pièces offrent un éventail varié d’influences et d’ambiances. Certaines aux arrangements complexes comme Rêve, Nostalgie des jours qui tombent dont les premières notes font penser au travail de Patrick Watson; d’autres comme Toute sa vie aux accents reggae, Debout et Miami à la pop franche et finalement, 22h22, Domenico et Les deux cheminées, des balades piano-voix aux arrangements dépouillés. En somme, Moffatt montre qu’elle peut jouer sur plusieurs registres à la fois.
Pour l’écriture de ses chansons, elle a fait appel à l’auteur, poète, interprète et journaliste Tristan Malavoy, à qui elle a offert un droit de regard éditorial sur ses textes. Une fois terminés, elle les lui a soumis pour s’assurer que, bien qu’elle traite de sujets très intimes, ils soient assez universels pour trouver écho auprès du public. Ce qu’ils ont réussi haut-la-main. Loin d’être hermétiques, les chansons traitent de sujets universels comme la mort, la peur de vieillir, la violence inouïe des « tireurs fous », tristement d’actualité ces jours-ci, l’itinérance, ainsi que les vertus de l’amour à deux à une époque où l’on jette après usage. Ces thèmes sont tous inspirés par les expériences que la vie lui a récemment offertes grâce à la maternité et constituent les ingrédients liants les chansons entre elles. Aussi, peut-être parce que ces dernières années elle a fait le choix de se dévoiler un peu plus auprès du public, on sent et reconnaît davantage Ariane Moffatt à travers ses chansons.
Je me suis d’ailleurs entretenue avec elle pour discuter de ce dernier disque et de sa nouvelle vie.
Maman de jumeaux depuis bientôt deux ans, vous vous êtes abondamment confiée sur les conditions parfois difficiles de la création de ce disque et les nouvelles contraintes de temps avec lesquelles vous avez dû composer dans le processus de création de ce dernier disque. Avez-vous eu peur de perdre l’inspiration, ou du moins que la maternité et la vie de famille transforment votre rapport à la création?
A.M. : Oui, carrément. C’est sûr qu’au début, quand j’ai commencé à reprendre le contrôle de ma vie après l’arrivée des jumeaux, j’ai eu assez peur d’être transformée à un point tel que je ne reconnaîtrais plus mes repères de création, que je serais toujours trop fatiguée pour m’y attarder.
Aussi, quels sujets allais-je aborder quand tout ce que j’ai vécu ces derniers temps tournait autour des soins donnés à deux petits bébés? Au départ, j’ai eu peur de ne pas avoir de sources auxquelles m’abreuver pour créer. Et puis, au contraire, quand j’ai repris le chemin du studio, l’inspiration est remontée à la surface. Beaucoup de ces émotions, des changements et prises de conscience m’ont nourrie : le rapport nouveau que j’entretiens avec le temps, la vie, la mort qui viennent avec ma nouvelle vie. Ce sont des sujets que j’abordais moins avant et qui me viennent maintenant naturellement. La matière était là. Il a juste fallu que je reprenne une routine de création. C’est sans doute la même chose avec toutes les disciplines et c’est comme le vélo : il faut s’y remettre tranquillement et ça ne se perd pas!
Quels sont ces fameux repères de création? Comment fait-on pour les retrouver?
A.M. : Le fait de s’asseoir devant l’ordinateur, de retrouver un rapport ludique à la musique et le plaisir de la recherche. Aussi, de ne pas être dans une quête de finalité immédiate, mais plutôt dans un état d’abandon face à l’inconnu. Il fallait surtout accepter que les contraintes de temps soient désormais plus serrées qu’avant. Je peux moins me permettre de périodes d’oisiveté, de liberté, de spontanéité.
Durant la création de l’album, je suis donc passée par plusieurs phases : Au début, juste d’avoir du temps pour moi, d’être face à mes machines et de composer, j’avais la sensation que tout était extraordinaire. Par la suite, après deux mois, c’était tout le contraire et tout me semblait mauvais! Sans vivre des tourments profonds, j’ai eu des moments d’angoisse et mes perceptions étaient biaisées. Pus un moment donné, le chemin s’est éclairci.
Parlez-nous des thèmes qui traversent cet album. J’ai été surtout frappée par le rapport au temps qui semble vous tarauder. Le temps qui passe, la jeunesse qui nous échappe, la peur de vieillir et aussi, l’heure de la sagesse qui a sonné. Ces thèmes reviennent notamment dans Retourner en moi et la très belle pièce Nostalgie des jours qui tombent qui me rejoint beaucoup. Est-ce que le temps passe trop vite?
A.M. : La chanson Nostalgie des jours qui tombent, a été écrite au lendemain de ma soirée d’anniversaire de mes 35 ans, quand j’ai ouvert un livre pour enfant qui appartient aux jumeaux. On y lit « Maman cœur », « Maman fleur » et différentes autres mamans. À ce moment-là, j’ai visualisé le mot « jeunesse » à la place de « maman » et voilà comment se sont écrites les premières paroles de la chanson .
Ma jeunesse fleur – Ma jeunesse coeur – En avril, s’étiole –
Est-ce que je l’enterre – Avant qu’elle ne s’envole ?
Ma jeunesse drame – Ma jeunesse flamme – Brûle dans le petit matin – Sur la rosée alcool –
Ma jeunesse spleen – Ma jeunesse dream – Se dissout – Se dérobe – Se déchire et me désole[i]
A.M. : L’idée d’avoir 35 ans m’est rentrée dedans et m’a fait vivre un petit spleen. Cette chanson est devenue celle des lendemains d’anniversaires qui nous rendent mélancoliques. Dans le refrain, je fais référence à la Joconde pour rappeler que l’art et la création nous rendent intemporels. Ils deviennent une sorte de refuge où l’enveloppe corporelle n’a plus d’importance.
Est-ce que les responsabilités nouvelles qui accompagnent le rôle de maman font en sorte que les moments de folie se font de plus en plus rares?
A.M. : Oui, mais on assimile ces changements en même temps qu’on apprend à devenir parent. Avant d’être mère, je n’ai pas manqué d’occasions de faire la fête. Par contre, je réalise qu’avant, je me projetais moins dans l’avenir, je ne pensais pas à l’idée de vieillir, ni à celle de mourir. Voir la vie qui pousse près de soi nous ramène à ces enjeux-là.
Après 15 ans de carrière, êtes-vous satisfaite du chemin parcouru jusqu’à présent?
A.M. : Oui, je suis satisfaite. Je ne sens pas les gens blasés devant ce que je propose et l’album semble bien accueilli. Aussi, je travaille vraiment fort pour demeurer authentique dans ma démarche et d’avoir une vraie quête artistique.
C’est vrai que malgré le temps qui passe, le public est toujours au rendez-vous, et pour cause! Il faut dire qu’en près de quinze ans de carrière, Ariane Moffatt affiche un parcours sans faute, où d’un album à l’autre, le succès est au rendez-vous. Au moment de leur sortie, chaque disque a marqué notre scène musicale et s’écoute tous aussi bien aujourd’hui. Fait remarquable : Ariane Moffatt est l’une des rares artistes à rallier à la fois le grand public et celui s’abreuvant à des sources un peu plus « champ gauche ». Et cela évidemment, bien avant sa participation à titre de coach à La Voix. Ce succès est amplement mérité puisqu’elle nous propose toujours une pop efficace et bien ficelée, tant au niveau des textes que des mélodies. Toujours dans le ton, à l’affût des tendances, elle n’a rien à envier aux vedettes pop anglophones.
L’album 22h22 est disponible en magasin, ainsi qu’en ligne sur le d’Archambault et ITunes. Pour une période de 3 mois, Ariane Moffatt a fait le choix de restreindre la diffusion en écoute libre de son album pour susciter la nécessaire prise de conscience sur les effets néfastes de la culture de la gratuité qui s’est installée ces dernières années. Je salue bien haut cette initiative. Il est plus que temps de revoir les règles du CRTC qui en matière de droits d’auteur et des redevances. Nous assistons à l’effritement du marché du disque, surtout causé par la progression fulgurante de l’offre des produits numériques qui ne connaît pas de frontières. Dans ces circonstances, il est de plus en plus difficile de se tailler une place au sein de l’industrie musicale où le succès et la longévité de la carrière d’Ariane Moffatt relèvent de plus en plus de l’exploit.
Au cours des prochains mois, Ariane Moffatt offrira une vingtaine de spectacles dans plusieurs villes du Québec. Les détails concernant sa tournée se trouvent ici. À noter qu’elle fera sa rentrée montréalaise le 22 mai au Métropolis.
[i] Paroles tirées de la chanson « Nostalgie des jours qui tombent », Ariane Moffatt, 22h22, Simon Records, 2015
Myriam D’Arcy

Crédit André Chevrier
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