Dans la lentille de Benoit Aquin: exposition sur Lac-Mégantic au Musée des beaux-arts de Montréal

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 Par Marco Fortier

Expo Aquin 2
Passage à niveau. Crédit : Benoit Aquin. Source : Musée des beaux-arts de Montréal

Nous nous souvenons tous des tragiques évènements qui se sont déroulés dans la nuit du 5 au 6 juillet 2013, lorsqu’un convoi ferroviaire sans conducteur, chargé de pétrole brut léger a déraillé et explosé au centre-ville de Lac-Mégantic. Il s’en est suivi un violent incendie qui a ravagé le cœur de la ville. Le bilan humain et environnemental est lourd : près de six millions de litres de pétrole déversés ont contaminé le sol et la rivière Chaudière. Les Méganticois pleurent quarante-sept des leurs et plusieurs jours sont nécessaires pour identifier tous les disparus. Les jours suivants, le monde entier a été témoin de cette tragédie, la plus grave du genre à survenir en Amérique du Nord.

Du  18 février au 24 mai 2015, le Musée des beaux-arts de Montréal présente Benoit Aquin : Mégantic photographié. L’exposition est composée de près de 40 photographies alignées horizontalement sur trois des murs, se chevauchant à la manière d’une fresque. Sur le 4e mur, une seule photo montre des débris tordus, calcinés et méconnaissables. Ces photos, il faut les regarder de près et de loin pour en saisir toute l’intensité. Suite à ma visite de l’exposition, l’artiste et photographe Benoit Aquin a généreusement accepté de m’accorder une entrevue.

Benoit Aquin, 2013.    Crédit : Sébastien Roy Source : Musée des beaux arts de Montréal
Benoit Aquin, 2013.
Crédit : Sébastien Roy
Source : Musée des beaux arts de Montréal

Né à Montréal en 1963, Benoit Aquin a étudié à la New England School of Photography de Boston. Depuis 2002, son travail est à la fois journalistique et artistique puisqu’il s’intéresse aux catastrophes naturelles et environnementales. Depuis, il a exposé ses œuvres portant sur de nombreux évènements qui ont tristement marqué le monde : en 2004, il s’est rendu en Indonésie pour réaliser une série de photos intitulées Tsunami; en 2005 il a voulu témoigner du réchauffement climatique du Grand Nord québécois; en 2007, il s’est intéressé à la crise alimentaire en Égypte; en 2008, il a gagné le Prix Pictet pour son exposition Chinese Dust Bowl; en 2010, il s’est aussi rendu en Haïti suite au tremblement de terre . À chaque fois, il en a résulté une série de photos autant saisissantes que marquantes.

Finalement, c’est en 2013 qu’il a décidé de plonger profondément dans la tragédie qui a secoué Lac-Mégantic et le Québec tout entier. Benoit Aquin est l’un des rares photographes ayant eu accès à la zone rouge de Lac-Mégantic et il s’y est rendu à plusieurs reprises suite aux évènements pour photographier les lieux. D’ailleurs, fait remarquable, The Gardian a identifié la photographie Zone d’exclusion(2), issue de cette exposition, comme l’une des quinze meilleures images des Rencontres d’Arles de 2014.

À mon avis, les photos de cette exposition appartiennent à trois catégories, que je qualifie ainsi : 1) les photos « Coups de poing » qui sont lourdes, sombres, choquantes. Elles nous remémorent l’intensité du drame et ravivent en nous les émotions de colère ressenties en 2013. Par la suite, celles que j’ai nommées « Coups de gueule » puisqu’elles me semblent plus descriptives que les précédentes. Toutes aussi percutantes, elles nous racontent l’éveil après la catastrophe, le constat des dégâts, le besoin de reconstruire… le chemin de fer. Finalement, les photos « Coups de cœur », celles qui expriment la beauté malgré le drame et l’espoir qui renaît.

Revêtement de polymère, extérieur fondu   Crédit : Benoit Aquin, de la série « Mégantic » 2013  Source : Musée des beaux-arts de Montréal
Revêtement de polymère, extérieur fondu
Crédit : Benoit Aquin.
Source : Musée des beaux-arts de Montréal

M.F.: Quelles ont été vos motivations personnelles pour vous intéresser aux causes environnementales et aux catastrophes naturelles ?

BA : Les enjeux environnementaux sont au centre de mes préoccupations d’artiste depuis longtemps. C’est toujours la relation que nous avons avec notre environnement, social et écologique, que je trouve intéressant.

MF : Qu’est-ce qu’on ressent quand on est sur les sites de ces catastrophes ? Et est-ce qu’on s’y habitue ?

BA : C’est difficile à exprimer. La photographie me permet d’avoir un certain recul. Ce sont quand même toujours des moments très intenses. Je trouve frustrant de voir comment on traite notre rapport à la terre, à l’environnement et notre rapport aux autres. Ce sont souvent des souffrances qui pourraient être évitées. Je ressens une certaine désolation. Non, on ne s’habitue pas. C’est choquant à chaque fois.

MF : Quels sont les points communs entre la tragédie de Lac-Mégantic et les autres que vous avez photographiées ?

BA : Les catastrophes auxquelles je me suis intéressé étaient causées par les humains, sauf pour le tsunami en Asie et le tremblement de terre en Haïti. Je m’intéresse à ces sujets comme démonstration du temps qui passe sur notre civilisation. Mon travail est une tentative pour provoquer une réflexion sur l’existence. Je ne cherche pas à tomber dans le « pathos ». Je me vois davantage comme un observateur et un recueillant de pièces archéologiques.

MF : Comme québécois, est-ce que le regard sur la tragédie de Lac-Mégantic était différent de celui des autres événements ?

BA : Je l’ignore…. Probablement. J’essaie quand même de travailler avec la même rigueur et le même professionnalisme. C’est certain que les contacts sont plus faciles quand on parle la même langue. Ça m’a permis de travailler plus intensément, sur une période d’un an et de faire 15 à 20 voyages sur le site.

MF : Dans l’exposition, il y a une quarantaine de photographies qui sont certainement une sélection parmi un plus grand nombre. Combien y en avait-il au total et comment les avez-vous sélectionnées ?

BA  : Je n’ai pas comptabilisé la quantité de photos mais ce sont des milliers. La sélection se fait sur une longue période. On doit vivre avec les images. C’est un processus qui prend du temps. Ça ne sert à rien de le bousculer. À la prise de vue, le travail est plus intuitif, par la suite il devient plus cérébral. Pour le projet Mégantic, l’utilisation du « flash » a unifié beaucoup le travail.   Le « flash » est devenu métaphorique avec le temps. C’est un peu comme si j’avais éclairé ce qu’on nous cachait, ce qui était dans l’ombre. Longtemps j’ai pensé qu’on a tout fait pour que Lac-Mégantic ne devienne pas un martyr industriel.

MF : Est-ce que parmi les 40 photos de l’exposition, vous en avez une préférée ou une plus précieuse que les autres ?

BA : Non, pas vraiment, non, non. Ça change selon nos émotions. Ça varie. Il y en a toujours plusieurs qu’on aime.

Petite caisse du Musi-Café   Crédit : Benoit Aquin, de la série « Mégantic » 2013  Source : Musée des beaux-arts de Montréal
Petite caisse du Musi-Café
Crédit : Benoit Aquin.
Source : Musée des beaux-arts de Montréal

MF : Quand vous avez photographié l’homme souriant tenant une fleur blanche, qu’aviez-vous en tête ? Est-ce que la photo était mise en scène ou elle était spontanée ?

BA : Non, la photo n’a pas été mise en scène. L’homme rentrait chez lui après avoir acheté une fleur pour donner à sa belle-mère qui venait de se faire opérer. Pour moi, c’était peut-être une poésie plus féminine comparativement aux autres images plus dures. De la façon dont la fresque a été construite, chaque photo est comme une note de musique, et chaque note a sa propre vibration. C’est une image plus chaleureuse, plus joyeuse. En plus, ça me permettait de faire la transition vers la photo suivante qui est une plante contaminée près de la rivière Chaudière.

MF : Que souhaitez-vous que le public retienne de cette exposition?

BA : J’espère que les gens vont être touchés. J’aimerais que mon travail provoque des réflexions sur le sens de la vie. Je pense qu’après cette tragédie, on aurait dû faire un bilan des errances de notre société de consommation. Ça ne s’est pas fait. On a mis des bandages pour soigner les blessures. Mais tout continue comme avant. Il y a peut-être certaines modifications dans la sécurité des systèmes ferroviaires. Mais il n’y a toujours pas de politique pour économiser l’énergie et réduire notre dépendance aux énergies fossiles.

MF : Quels sont vos prochains projets ?

BA : Je travaille sur l’agriculture au Québec, sur le bassin versant de la rivière Yamaska, et, avec une équipe, sur la crise alimentaire dans le monde. Tous ces projets sont encore au stade de la création.

Cette exposition est présentée au Musée des beaux-arts de Montréal jusqu’au 24 mai 2015.

 

 Marco Fortier

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INVITATION SPÉCIALE

MBAMVersion officielle couleur       Le Musée des beaux-arts de Montréal invite les lecteurs de Coups de cœur d’ici à une soirée toute spéciale. La nocturne du mercredi 11 mars 2015, entre 17 heures et 21 heures, permettra de visiter l’exposition Merveilles et mirages de l’orientalisme à demi prix, soit 10 $. Pour ajouter à l’expérience orientale, le Musée offrira, à cette occasion, le thé marocain et le tatouage au henné. Ce sera l’occasion parfaite pour visiter l’exposition Benoit Aquin : Mégantic photographié! IMPRIMEZ CETTE INVITATION SPÉCIALE ET PRÉSENTEZ-LA À LA BILLETTERIE DU MUSÉE EN ACHETANT VOTRE BILLET ET ON VOUS REMETTRA UNE PETITE BOÎTE DE THÉ MAROCAIN. (Jusqu’à épuisement des stocks)

La Favorite de l’émire, Jean-Joseph Benjamin-Constant. Vers 1879 Source : Musée des beaux-arts de Montréal
La Favorite de l’émire, Jean-Joseph Benjamin-Constant. Vers 1879
Source : Musée des beaux-arts de Montréal

 

Chorus: entre ombre et lumière

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Il y a quelques jours prenait l’affiche le très attendu Chorus, dernier opus de François Delisle (Le bonheur c’est une chanson triste, Deux fois une femme, Le météore) qui a clôturé les derniers Rendez-vous du cinéma québécois. Le film raconte le deuil de Christophe (Sébastien Ricard) et Irène (Fanny Malette), dont leur fils Hugo, 8 ans, est décédé 10 ans auparavant dans des circonstances jusqu’alors jamais élucidées. Les premières scènes présentent les aveux de l’assassin d’Hugo, grâce à qui les restes de l’enfant sont retrouvés. Durant toutes ces années, les deux parents ne sont pas parvenus à reprendre leur cours normal de leur existence : Christophe a fui sa peine au Mexique, là où il a cherché en vain un peu de réconfort et Irène a trouvé en la musique et le chant un exutoire à ce mal qui la ronge nuit et jour.

Le film est divisé en trois actes qui déterminent la suite du récit. D’abord, la découverte du corps de leur fils force la réunion des parents dont le couple a volé en éclats suite au drame. Ensuite, la cérémonie funèbre enfin célébrée permet à Christophe et Irène d’entamer ce deuil qu’ils n’auraient pu faire autrement et d’envisager l’avenir. C’est aussi à ce moment qu’ils réussissent faire la paix, entre eux et avec le passé. Finalement, la rencontre d’Antonin, l’ami d’enfance d’Hugo offre un peu de lumière en ces jours sombres.

Chorus_07Le film est remarquable à plusieurs niveaux. D’abord, le récit est efficace et ne verse pas inutilement dans le mélodrame. Les évènements qui s’enchaînent sont crédibles et touchent droit au cœur. Pour leur part, les acteurs offrent tous une solide performance, juste, toute en retenue et émouvante. En plus de Fanny Malette et Sébastien Ricard, les personnages secondaires, la mère d’Irène campée par Geneviève Bujold, et surtout, Pierre Curzi, qui incarne le père de Christophe, sont forts et crédibles.

Tournées en noir et blanc, les images sont lumineuses et magnifiques. Elles offrent un contrepoids saisissant et salutaire avec le propos sombre. Aussi, les plans filmés au Mexique en été contrastent fort bien avec ceux de Montréal enneigé.

Depuis sa sortie, Chorus a reçu une pluie d’éloges, tant au Festival de Sundance qu’à la Berlinale où il a été présenté un peu plus tôt en février. Malgré ce succès international et considérant la puissance de l’œuvre qui aborde un sujet accessible au grand public, il est regrettable de constater qu’il n’est disponible que dans trop peu de salles à travers le Québec. Espérons malgré tout que le succès sera au rendez-vous.

L’horaire des projections de Chorus dans la grande région de Montréal est disponible ici.

Myriam D’Arcy

Myriam D'Arcy Crédit André Chevrier
Myriam D’Arcy
Crédit André Chevrier

Sauvons la Cinémathèque québécoise!

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Vendredi dernier, Le Devoir nous annonçait qu’un mariage forcé allait peut-être être conclu entre la Cinémathèque québécoise et Bibliothèque et Archives nationales du Québec pour minimiser les coûts de gestion des deux organismes.

imagesLa nouvelle a été publiée après qu’une lettre adressée au Premier ministre et signée par quelques artisans du cinéma bien en vue, dont Denys Arcand et Micheline Lanctôt, a circulé sur les réseaux sociaux. Ceux-ci se disent alarmés par pareille fusion entre deux organismes qui ne poursuivraient pas la même mission. Pour ma part, le vrai scandale réside dans l’inaccessibilité des œuvres et des collections de la Cinémathèque qui, faute de moyens, est réduit à n’être qu’un lieu de dépôt légal pour les films produits au Québec. Contrairement à l’Office national du film (ONF) qui a très bien pris le virage numérique, depuis la fermeture de la Ciné-robothèque, les collections de la Cinémathèque s’empoussièrent sur ses tablettes sans qu’on ne puisse les consulter. Évidemment, c’est le manque de ressources financières de l’institution qui en est la cause. 

Le gouvernement du Québec doit prendre ses responsabilités en finançant adéquatement la Cinémathèque pour lui redonner ses lettres de noblesse, pour qu’elle joue un rôle plus actif, de premier plan, dans la conservation et la diffusion du patrimoine cinématographique québécois. Je suis parfaitement d’accord avec les cinéastes interviewés dans cet article: dans tous les États normaux, on fait une priorité de la conservation du patrimoine national. 

Du côté de BANQ, grâce aux ressources alloués à la numérisation de ses collections, notamment plusieurs journaux, on procède à une vaste entreprise de numérisation des archives et collections qui facilite grandement le travail des historiens et autres chercheurs.

Source: site d'Éléphant.
Source: site d’Éléphant.

J’ignore si ce mariage forcé est la solution pour assurer la survie de la Cinémathèque et garder ses activités pertinentes à l’ère du 2.0, mais une chose est certaine, on doit hausser son financement. Aussi utile et louable soit le projet Éléphant, ce n’est pas normal qu’une entreprise privée se soit sentie obligée de se substituer à l’État en se donnant pour mission de numériser l’ensemble des œuvres de fiction d’ici. D’ailleurs, si l’on en croit les signataires de la lettre, la Cinémathèque peine à répondre aux demandes de celle d’Éléphant, ce qui ralenti considérablement son travail.

Il faudrait donc que le milieu du cinéma se mobilise et interpelle la ministre de la Culture, de même que le Premier ministre pour exiger que la Cinémathèque reçoive le financement nécessaire à la préservation et diffusion de ses collections. Aucune entreprise d’assainissement des finances publiques ne devrait justifier qu’on sacrifie un pan de notre mémoire collective pour quelques économies de bouts de chandelles. Lorsqu’il était aux commandes de l’État, Lucien Bouchard l’avait bien compris en octroyant les ressources nécessaires à la construction de la Grande Bibliothèque, désormais une institution culturelle phare qui fait la fierté des Québécois. Aujourd’hui, c’est elle qu’on appelle au chevet de la Cinémathèque qui mérite autant de considération et de moyens pour réaliser une mission.

Myriam D’Arcy

Myriam D'Arcy Crédit André Chevrier
Myriam D’Arcy
Crédit André Chevrier

Carnets des Rendez-vous du cinéma Québécois (3) : suite et fin!

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CAPHARNAÜM

Samedi le 28 février 2015, dernière journée des Rendez-vous du cinéma québécois, j’ai assisté aux courts métrages présentés dans le cadre du programme Capharnaüm à la salle Claude Jutra de la Cinémathèque québécoise. Huit courts métrages ont été présentés, variant de quatre à dix-neuf minutes. La salle était presque pleine. On reconnaissait les mêmes visages fidèles et ça sentait l’excitation de la fin de cette semaine super active.

La plupart des films n’avaient pas d’histoire à proprement parler, mais visaient plutôt à  nous présenter de belles images et nous faire ressentir des émotions sans nécessairement les mettre en contexte. On se laisse emporter par la danse, la descente aux enfers de la drogue, l’adolescence en planche à neige, l’attente ou encore les voyages. Par contre, deux films proposaient un scénario qui racontait une histoire plus élaborée. Ils font  partie de mes trois coups de cœur dont je souhaite vous entretenir.

Je suis une actrice

Benoit Lach – Je suis une actrice  (Blachfilms, 2014, 8 mins)

Jade-Mariuka Robitaille Source : Benoit Lach Crédit : Olivier Gossot.
Jade-Mariuka Robitaille
Source : Benoit Lach – Crédit : Olivier Gossot.

De loin, mon premier coup de cœur va à Je suis une actrice  du réalisateur, producteur et scénariste Benoit Lach, co-écrit avec Vincent Lafortune. Le film a gagné le prix de la meilleure comédie court métrage en 2014 au Rhodes Island International Film Festival.

Que ne ferait pas une jeune actrice pour décrocher un rôle? Le scénario est drôle, original et percutant. L’humour est intelligent et porteur d’une certaine réflexion sur les relations qui peuvent se développer entre  des réalisateurs établis et de jeunes acteurs qui débutent leur carrière. Le dialogue est coloré et les silences éloquents. Les deux actrices sont excellentes et resplendissantes : Jade-Mariuka Robitaille dans le rôle de l’étudiante déterminée et Sophie Faucher en réalisatrice guru à la recherche de disciples inconditionnels. La qualité de l’image englobe bien le tout. J’ai ri et adoré! Vraiment, bravo!

À noter que le film sera projeté prochainement au festival Regard sur le court métrage au Saguenay du 11 au 15 mars 2015.

 

Bounce, this is not a free style movie

Guillaune BlanchetBounce (Travelling, 2014, 4 mins)

Source : Travelling  Crédit photo : Guillaume Blanchet
Source : Travelling
Crédit photo : Guillaume Blanchet

Mon second coup de cœur va à Bounce, this is not a freestyle movie dont le réalisateur propose « rebond » comme traduction française. Guillaume Blanchet nous provient du milieu de la publicité parisienne. Il y a six mois, il a fièrement reçu, sa citoyenneté canadienne et travaille maintenant comme concepteur-rédacteur et réalisateur indépendant. Pendant deux ans, il a voyagé avec, pour seul compagnon, son ballon de soccer. On les voit, la plupart du temps seuls, déambuler un peu partout à travers le monde. Chaque fois qu’il le botte le ballon, il se voit téléporté ailleurs.  Sans qu’on ait le temps de reconnaître l’endroit, les images s’enchaînent rapidement.. Par contre, le mouvement est continu, comme si la trajectoire du réalisateur-comédien et de son ballon ne subissait aucune interruption d’un pays à l’autre. Bounce est un film sans parole et prend une toute autre dimension humaine pendant le générique où on y voit,  avec humour, les personnes rencontrées durant le tournage, toutes souriantes et volontaires.

Le film sera prochainement projeté au:

 

Les cennes chanceuses

Émilie Rosas – Les cennes chanceuses (Travelling, 2014, 17 min)

Source : Travelling  Crédit photo : Pierre-Luc Asselin
Source : Travelling
Crédit photo : Pierre-Luc Asselin

Mon troisième et dernier coup de cœur de cette série va à Les cennes chanceuses de la réalisatrice Émilie Rosas, diplômée de l’UQAM en cinéma et de l’INIS en réalisation. Un jeune garçon est négligé par les adultes qui l’entourent. Toutefois, la conclusion est pleine d’espoir. La distribution est composée de Mathieu Gagné (le jeune garçon), Rosalie Gaucher (la jeune fille), Hélène Florent (la mère), David Boutin (le père) et Michel Charrette (un ami des parents). On est touché par ce petit garçon vivant dans un contexte familial difficile et qui demeure intègre dans ses valeurs et ses sentiments.

Le film sera également projeté au :

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FICTIONS DU RÉEL

Cette deuxième série de courts métrages fut présentée le samedi 28 février 2015 à la salle Claude Jutra de la Cinémathèque québécoise. D’une durée variant entre 15 et 49 minutes et regroupés sous le thème Fictions du réel, on y présente trois histoires aussi différentes les unes que les autres, et dont on discerne difficilement le vrai du faux.

Encore une fois la salle était pleine. Pour le bonheur des spectateurs, les trois réalisateurs étaient présents et en ont profité pour remercier leur équipe de tournage ainsi que le public. Comble de malchance, l’alarme d’incendie a résonné pendant la projection du second court métrage et nous avons dû évacuer les lieux pendant une vingtaine de minutes. Heureusement, rien de grave. Nous avons finalement pu retrouver nos places pour enfin profiter de ces dernières projections.

 

La douce agonie d’un désir dérobé

Emmanuel Létourneau Jean  et Alexandre Prieur-Grenier La douce agonie d’un désir dérobé (Nesto Cienfuegos, 2014, 45 mins)

Mon seul coup de cœur de cette série va à La douce agonie d’un désir dérobé des réalisateurs Emmanuel Létourneau Jean et Alexandre Prieur-Grenier, aussi scénariste. Quatre amies d’enfance, à l’aube de la trentaine, partagent un repas chez l’une d’entre elles. Au cours des discussions, alcool aidant, elles décident de révéler à tour de rôle un secret qu’elles n’ont jamais dit à personne.

Source : Emmanuel Létourneau Jean Crédit photo : Martin Leduc-Poirier
Source : Emmanuel Létourneau Jean
Crédit photo : Martin Leduc-Poirier

Bien honnêtement, j’ai tout d’abord été agacé par le niveau de langage puéril où les mots « genre » et fucking » sont présents constamment, voire plusieurs fois dans la même phrase. Mais j’ai soudainement reconnu, dans leur style et façon de s’exprimer, des jeunes filles de mon entourage et  me suis donc laissé séduire. On oublie que ce sont des actrices et on  a l’impression d’être avec elles, un peu en retrait peut-être, mais bien présent. Elles parlent tout naturellement, souvent toutes en même temps. Elles sont vraies, sympathiques, drôles et  touchantes. On ne reste pas indifférent à leurs histoires et elles nous font passer par toutes sortes d’émotions.

J’ai adoré. Bravo au scénariste, aux réalisateurs et bien sûr aux quatre actrices : Marie-Emmanuelle Boileau, Alexa-Jeanne Dubé, Marie-Pier Favreau-Chalifour et Catherine Paquin-Béchard.

C’est déjà la fin de cette 33ème édition du Rendez-vous du Cinéma Québécois. Ce fut une première et agréable expérience pour moi que je  souhaite bien répéter l’an prochain.

Bientôt à venir : un article sur l’exposition Benoit Aquin : Mégantic photographié au Musée des beaux-arts et un autre sur le dernier concert de l’ensemble vocal À Contrevoix, lors de la nuit blanche à Montréal.

Marco Fortier

Marco Fortier
Marco Fortier

Carnets des Rendez-vous du cinéma québécois: courts métrages au programme! (2)

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Source : SPIRA. Crédit: Richard St-Pierre
Glace, crevasse et dérive. Source : SPIRA.
Crédit: Richard St-Pierre

COEURS ET CORPS

Cette deuxième série de courts métrages fut présentée le samedi 21 février 2015 à la salle Claude Jutra de la Cinémathèque québécoise. D’une durée variant entre 5 et 21 minutes et regroupés sous le thème Corps et cœurs, on y célèbre la danse et l’amour.

Encore une fois la salle était comble. J’ai dû faire la file pendant plus de 30 minutes pour m’assurer d’un siège. Le public, plus diversifié, semblait formé de festivaliers aguerris qui parlaient entre eux de leurs propres réalisations et des films qu’ils ont visionnés. Chacun des 6 réalisateurs est venu prendre la parole pour remercier le public de sa présence, reconnaître le travail des producteurs et distributeurs et finalement partager en quelques mots leur inspiration à la source de leur film.

Glace, crevasse et dérive

Glace, crevasse et dérive. Source: SPIRA. Crédit: Richard St-Pierre
Glace, crevasse et dérive.
Source: SPIRA.
Crédit: Richard St-Pierre

Chantal Caron – Glace, crevasse et dérive (Vidéo femmes, 2014 10 min)

Mon premier coup de cœur de cette série va à Glace, crevasse et dérive de la réalisatrice Chantal Caron, chorégraphe travaillant à St-Jean-Port-Joli où en 2006 elle a fondé Fleuve Espace Danse.

10 minutes de pur plaisir. Les images sont magnifiques et la musique superbe. Les deux danseurs, Karine Gagné et Thomas Casey, souvent habillés de noir, se démarquent sur ces banquises flottantes toutes blanches qui dérivent sur ce fleuve majestueux d’hiver. Vraiment bravo pour ce beau film.

La prochaine projection du film se déroulera lors de l’évènement Traverse Vidéo qui se tiendra en France, du 17 au 31 mars 2015.

Vanishing points

Marites Carino – Vanishing points (Video Signatures, 2014, 9 min)

Source: Marites Carino Crédit: Maxime Boisvert
Source: Marites Carino
Crédit: Maxime Boisvert

Ce court métrage de 9 minutes de la réalisatrice Marites Carino se mérite mon second coup de cœur. Il a été tourné sur les côtés d’un immeuble triangulaire, aujourd’hui détruit, de la rue Gilford à Montréal. Deux danseurs hip-hop, Emmanuelle Lê Phan et Elon Höglund, duo formant Tentacle Tribe, vont finalement se rencontrer à la pointe de l’immeuble.

La musique d’Andrés Vial et Tim Gowdy est répétitive, insistante et très efficace. La chorégraphie nous fait sourire par moment et les excellents danseurs y prennent clairement plaisir. D’ailleurs, notons que le film a été tourné « à reculons », c’est-à-dire que la chorégraphie prévoyait que les danseurs exécutent leurs mouvements de la fin vers le début. Au moment du montage, l’image projetée a été inversée. Ainsi, les spectateurs ont l’impression que les mouvements de la chorégraphie ont été exécutés dans l’ordre. On a l’impression que les danseurs avançaient mais en fait, ils reculaient. L’effet est absolument réussi et j’ai adoré ce film. Pour voir le « making of, suivez ce lien.

Prends soin de toi

Francis Fortin – Prends soin de toi (Francis Fortin, 2013, 5 min)

Prends soin de toi 1
Marianne Fortier dans « Prends soin de moi ». Source: Francis Fortin

Mon dernier coup de cœur de cette série est pour Prends soin de toi  du réalisateur Francis Fortin. Il nous disait avant la projection qu’il avait voulu rendre un court hommage au film Les Parapluies de Cherbourg. Cinq minutes, c’était vraiment trop court. On aurait aimé que ça continue et en savoir davantage sur ces deux jeunes amoureux, joués par Marianne Fortier et Dhanaé Audet-Beaulieu.

À noter que Francis Fortin sera présent au festival  Regard sur le Court Métrage qui se déroulera à la fin du mois de mars prochain. Les informations se trouvent ici.

Marco Fortier

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Marco Fortier
Marco Fortier

Carnets des rendez-vous du cinéma québécois : Courts métrages au programme! (1)

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par Marco Fortier

Du 19 au 28 février 2015 a lieu la 33e édition des Rendez-vous du cinéma québécois. On nous présente une belle programmation variée souvent en présence des réalisateurs, scénaristes et acteurs qui ne demandent pas mieux qu’échanger avec le public. Je ne peux que vous recommander d’aller vivre cette expérience et d’encourager nos artistes d’aujourd’hui et de demain.

En deux jours, j’ai pu visionner 4 longs métrages et 15 courts métrages. C’est de ces derniers dont je veux vous parler aujourd’hui.

LE BONHEUR, LE BONHEUR, PIS APRÈS ?

Source: Florence Pelletier Crédit: Anie Poupart
Source: Florence Pelletier
Crédit: Ariel Poupart

Samedi dernier, j’ai assisté aux courts-métrages présentés dans le cadre du programme Le bonheur, le bonheur, et puis après à la salle Fernand Séguin de la Cinémathèque québécoise. Les 9 courts-métrages du premier groupe variaient de 2 à 21 minutes, et ont tous été réalisés par des étudiants ou récents diplômés en cinéma des différentes universités du Québec. La salle était bondée par ce qui semblait être des parents, amis, étudiants ou collègues des réalisateurs. Ceux-ci étaient tous présents et sont venus devant la salle suite à l’appel de leur nom. Il y avait de la fébrilité dans l’air.

Les thèmes abordés allaient de la tristesse suite au rejet, à la séparation, la dépression ou le décès d’une personne aimée, en passant par la solitude, l’amitié brisée entre adolescents, jusqu’à la détérioration de notre environnement. Bref le bonheur n’était pas au rendez-vous, bien au contraire.

Le défi de taille pour un réalisateur de court métrage est de raconter une histoire qui interpelle le public, de lui présenter des personnages complexes, réels ou fictifs, en seulement quelques minutes. Plusieurs ont très bien réussi et je vous présente mes coups de cœur ci-après.

Il est toujours intéressant d’assister au premier visionnement public d’un film en présence des artistes impliqués. L’atmosphère qui règne dans un festival comme le RVCQ est bien différente de celle qu’on retrouve normalement. On peut ressentir la nervosité, la joie, la fierté des artistes et la curiosité du public. Le RVCQ est une vitrine très importante pour les courts-métrages et leurs jeunes réalisateurs qui ne jouissent habituellement pas d’une aussi grande visibilité que celle accordée aux longs métrages.

Seul(s)

Kevin Landry – Seul(s) (INIS, 2014, 11 min)

Mon premier coup de cœur va à Seul(s), dont le scénario a été écrit par Luis Molinié et du réalisateur Kevin Landry qui détient une formation en réalisation de l’INIS, ainsi qu’un baccalauréat en communication, profil cinéma de l’UQAM. Il aborde, d’une façon tout à fait inattendue et très originale, le thème de la solitude. Onze minutes pendant lesquelles le personnage principal, Nicolas, joué par Danny Gilmore, nous promène dans un labyrinthe de découvertes de soi par les autres et dont on se demande comment il s’en sortira.

* À noter que Seul(s) sera projeté en compétition du festival du Film Étudiant de Québec du 20 au 22 mars 2015, ainsi qu’au Festival du Film de l’Outaouais du 20 au 27 mars 2015.

Bromance

Florence Pelletier – Bromance (ADDR, 2014, 7 min)

Mon second coup de cœur va à Bromance de la réalisatrice montréalaise Florence Pelletier, récemment diplômée de l’Université Concordia. Elle a aussi remporté le prix du meilleur film réalisé par une femme pour son court métrage Mes anges à tête noire au Festival du film étudiant de Québec en 2013. En 7 minutes, elle brosse le portrait d’une relation entre deux jeunes adolescents fort sympathiques interprétés par Nicolas Fontaine et Luka Limoges. Le film débute par un punch qui nous fait tous rigoler et réussit bien à nous garder en haleine jusqu’à la fin. La qualité des images mérite d’être soulignée.

*À noter que Bromance sera présenté au Short Film Corner du Festival des films de Cannes du 13 au 23 mai 2015.

Demain et l’autre d’après

Francis Lacelle – Demain et l’autre d’après (INIS, 2014, 7min)

Mon troisième coup de cœur va à Demain et l’autre d’après principalement pour la qualité de jeu des deux acteurs principaux : Marianne Farley et Patrick Hivon. Ce court métrage d’une durée de 7 minutes a été réalisé par Francis Lacelle et Clodie Parent (scénario) qui se sont inspirés de la vie en banlieue de ce dernier, alors qu’il était adolescent. L’histoire est simple mais le scénario fait ressortir l’intensité des émotions ressenties par les deux personnages. En très peu de mots, on comprend bien le drame qui se vit devant nos yeux.

*À noter que le film Demain et l’autre d’après a gagné Le Prix Cinémental pour le meilleur court métrage canadien-français du Festival Cinemental au Manitoba qui a eu lieu du 17 au 19 et 24 au 26 octobre 2014. Ce prix a été décerné par un jury, formé cette année de Lorraine Bazinet, Bertrand Nayet et Norman Dugas.  Le film sera aussi présenté au Festival du film de l’Outaouais du 20 au 27 mars 2015.

 

Ce qui fane

Samuel Pinel-Roy – Ce qui fane (Samuel Pinel-Roy, 2014, 21 min)

Ce qui fane. Source: Samuel Pinel-Roy
Ce qui fane.
Source: Samuel Pinel-Roy

Mon coup de cœur suivant va à Ce qui fane du réalisateur Samuel Pinel-Roy(1), originaire de Rimouski et détenteur d’une maîtrise en arts de l’UQAC. Le réalisateur nous présente la détresse d’un petit garçon d’environ 10 ans suite au décès de sa grand-mère. Dans ce court métrage de 21 minutes, nous sont livrées de superbes scènes d’extérieur d’hiver dans le petit village d’Armagh dans la région de Bellechasse, de gros plans silencieux qui en disent long, et un choix musical recherché. On ne peut qu’être touché par ce petit garçon dont l’avenir est incertain.

* À noter que Ce qui fane sera présenté dans le cadre du festival Regard sur le court métrage au Saguenay, mercredi 11 mars 2015 à 19h00 au Théâtre Banque Nationale à Chicoutimi.

La conspiration du bonheur

Source: Édouard Dufour-Boileau Crédit: Larry Rochefort
Source: Édouard Dufour-Boileau
Crédit: Larry Rochefort

Édouard Dufour-Boiteau – La conspiration du bonheur (Capturographe, 2014, 11min)

Mon dernier coup de cœur de cette série est pour La conspiration du bonheur  du réalisateur Édouard Dufour-Boiteau. Un film lent qui traduit la tristesse d’un pédopsychiatre et de son jeune patient avec qui il partage un drame similaire. On sympathise avec les personnages qui savent nous transmettre leur désir de vivre et de surmonter ces moments difficiles. Du même réalisateur, When Bad Meets Evil a été présenté au Short Film Corner de Cannes.

Projections à venir:

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(1) Du même réalisateur :

  • Cinq réalisateurs, dont Samuel Pinel-Roy, ont reçu une carte blanche pour produire un vidéoclip sur la chanson Stroboscope, une musique de Frank et le Cosmos, qui sera diffusé à Regard dans le cadre d’un projet initié par La Bande Sonimage http://bandesonimage.org qui s’appelle Explorations Cosmiques. Il sera aussi diffusé sur la Fabrique Culturelle d’ici 3 semaines.
  • En 2008, Il a gagné (avec Gabriel Fortin et Maxime Milette) le Grand Prix Télé-Québec au Festival du Documenteur de l’Abitibi-Témiscamingue avec le film Donnant donnant, dans le concours de création (produire un documenteur sur place en 72heures) https://vimeo.com/48294647
  • Il est aussi directeur photo. https://vimeo.com/109044935

Samedi, la suite des carnets des Rendez-vous du cinéma québécois – courts métrages au programme!

Marco Fortier

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Marco Fortier
Marco Fortier

Marco Fortier

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Marco Fortier
Marco Fortier

Marco Fortier se passionne particulièrement pour la musique classique, le théâtre québécois, la danse contemporaine, les arts visuels et la littérature québécoise.

Musicien de formation et homme d’affaires, Marco Fortier s’est toujours impliqué dans le milieu des arts. Il a été président du conseil d’administration du Nouvel ensemble moderne de 1995 à 2000, Trésorier du conseil d’administration du Centre d’Arts Orford de 2003 à 2006, et président du conseil d’administration du Théâtre Alambic de 2003 à 2006. Il est lauréat du Prix Personnalité Arts-Affaires 1998 de la Ville de Montréal.

Il a aussi une expérience de la scène musicale et théâtrale. Il a été membre des chœurs de l’orchestre symphonique de Québec de 1972 à 1978, de l’orchestre symphonique de Montréal de 1984 à 1993, et plus récemment de l’orchestre symphonique de Philadelphie de 2009 à 2012. Au théâtre, il a joué au TNM dans l’Asile de la pureté en 2000, dans Match au théâtre Prospéro avec le Théâtre de Fortune en 2002, dans le cadre des Soirées B du Théâtre d’Aujourd’hui en 2001, 2002 et 2007, et depuis 2013 dans les événements bénéfices du Festival du Jamais LU.

Depuis plusieurs années, il publie ses chroniques de voyage sur le web : www.meschroniques.info. Il est fier de se joindre à l’équipe de Coups de coeur d’ici.

Si l’aurore : ballade planante avec Marie-Pierre Arthur

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Marie-Pierre Arthur - 16 février 2015, Cabaret La Tulipe - Spectacle de lancement de Si l'aurore. Crédit: Alexandra Bourbeau
Marie-Pierre Arthur – 16 février 2015, Cabaret La Tulipe – Spectacle de lancement de Si l’aurore.
Crédit: Alexandra Bourbeau

Mardi dernier dans un Cabaret La Tulipe rempli à craquer, Marie-Pierre Arthur lançait Si l’aurore, son très attendu troisième album. Très attendu par son public car au fil des années, l’ancienne choriste du groupe Karkwa s’est taillé une place enviable sur la scène musicale québécoise, et par l’auteure de ces lignes puisque je dois l’avouer, Marie-Pierre Arthur fait partie de mes artistes féminines préférées. Sa voix claire et magnifique, avec laquelle elle sait si bien mettre en valeur ses textes et mélodies, sa simplicité et son plaisir manifeste de jouer sur scène font d’elle une interprète accomplie. Si l’expression a encore du sens dans notre monde numérique, j’ai usé à la corde ses deux derniers albums, sans jamais me lasser.

Les sonorités soul et disco de ses nouvelles chansons, aux ambiances sexy, enveloppantes et très planantes par moments, tranchent définitivement avec les deux précédents opus à la facture plus rock. Une fois la surprise passée, le résultat est fort intéressant. Les atmosphères enveloppantes qu’elle a su créer, notamment grâce aux synthétiseurs, guitares électriques qui nous rappelle les années 90 et au saxophone, accompagnent et bercent sa voix. À la première écoute, on se laisse happer par la musique, pour ensuite porter attention aux textes qui traitent pour la plupart de tourments et ruptures amoureuse.

Il y a quelques jours, j’ai eu la chance et le plaisir de m’entretenir avec la principale intéressée au sujet de son nouveau disque, de son virage musical et des thèmes qui traversent ses nouvelles pièces.

M.D.A. : Quels sont les principaux thèmes qui sont abordés dans ces nouvelles chansons?

M.P.A. : J’écris sur ce qui me touche et me fascine. La manière dont on peut gérer émotivement ce qui nous arrive; les réactions, les ressources et les décisions prises qui peuvent être tellement différentes d’une personne à l’autre m’inspirent beaucoup.

Je suis à l’affût de ce qui m’entoure et plus le temps passe, plus je me rends compte que mes textes sont inspirés de ce que je vois autour de moi. Une chanson, c’est un peu le regard que et le jugement que je pose sur la manière dont les gens vivent les situations auxquelles ils font face. Récemment, beaucoup de couples autour de moi ont été secoué par crises et des séparations. La plupart d’entre eux  étaient ensemble depuis plusieurs années et avaient eu des enfants. Certains étaient déchirés entre ce qu’ils avaient bâti et rêvé d’être.  Beaucoup de ceux-là ont rencontré une nouvelle personne et tout ce qui va avec. Ces évènements ont nourri mes réflexions et inspiré mes textes.

À partir de ces histoires, j’ai imaginé un couple qui vivait tous ces déchirements et j’ai abordé tous les angles, les registres et tous les rôles des personnes impliquées, soit : la personne trompée, celle qui trompe, celle qui s’emmerde dans son couple et qui développe un désir pour une autre personne et ses tourments, l’ami de la personne trompée, etc. J’ai exploré ainsi tous les registres de cette même histoire.

MPA Marc-Étienne Mongrain
Marie-Pierre Arthur. Crédit: Marc-Étienne Mongrain

M.D.A. : Ce troisième disque est fort différent de vos deux premiers. Pourquoi avoir senti le besoin d’explorer d’autres univers?

M.P.A. : Le virage peut paraître brusque, mais pour nous, ça été tout naturel parce que trois ans se sont écoulés entre l’album précédent et celui-ci. C’est une évolution qui me semble naturelle parce qu’entre temps, j’ai beaucoup été influencée par le mélange des musiques différentes que j’ai écoutées ave les membres de mon band. Aussi, je savais que j’avais envie de jouer quelque chose d’un peu plus sexy que rock. J’avais envie d’adopter une attitude musicale différente et de jouer un son plus invitant que le rock énergique qui pousse vers les autres. 

M.D.A. : À mon avis, Aux alentours, votre précédent disque, était parfait pour la voiture avec ses chansons qu’on chante à tue-tête. Si l’aurore, on l’écoute où et dans quelles circonstances?

M.P.A. : Ça dépend si c’est une longue ride. Aux alentours s’écoutait tout de suite en partant de Québec vers Montréal et Si l’aurore, un peu plus tard pendant le voyage, une fois passé Drummondville quand on est plus détendus. 

M.D.A. : Quels sont le artistes qui ont influencé cet album?

M.P.A .: C’est terriblement large. Après avoir fait un disque, les musiciens et moi passons deux ans en tournée à nous promener sur la route. On est pas mal vieux jeu et on passe ce temps ensemble, sans être trop absorbés par nos téléphones portables. Durant ces moments-là, on écoute beaucoup de musique et on se partage nos découvertes qui forcément, nourrissent notre inspiration. Par exemple, je n’avais pas prévu que Cindy Lauper allait influencer la création de ce disque. C’est arrivé sans que je m’y attende. C’est un exemple parmi tant d’autres que je pourrais nommer.

M.D.A. : Avez-vous peur que le public, ceux qui vous suivent et ont apprécié les deux premiers albums soient un peu déroutés par ce virage musical?

M.P.A : Si j’avais eu envie de faire un album qui ressemble au précédent, je ne m’en serais pas empêché. J’ai senti le besoin d’aller voir ailleurs parce que j’avais l’impression d’être allée au bout d’un esthétisme. Je ne fais pas de la musique pour m’écouter mais plutôt parce que ça me fait vraiment tripper. Je ne serais pas honnête si la peur de perdre des gens en chemin m’empêchait de faire ce dont j’ai vraiment envie. De toute manière, il n’y a jamais de garanties que le public va aimer ce qu’on fait. Si pour ne pas dérouter ceux qui ont apprécié Aux alentours, j’avais produit un disque qui lui ressemble, peut-être que les gens n’auraient pas eu envie d’embarquer dans ce trip-là et qu’ils auraient préféré se souvenir de l’autre qu’ils avaient préféré.

L’important, c’est d’assumer mes choix. Je sens que je réussis à représenter totalement ce que je suis, ce que je veux faire au moment où je le fais. J’essaie d’être intègre et d’être le plus « raccord » possible avec ce que je suis.

En plus de ses talents indéniables de musicienne et sa voix unique, cette intégrité dont elle se soucie traverse sa démarche et son œuvre. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’aime autant Marie-Pierre Arthur. Si l’Aurore est en vente chez tous les bons disquaires et disponible en ligne sur ITunes et Bandcamp. Pour consulter les dates de ses spectacles, visitez son site: www.mariepierrearthur.com.

Extraits choisis de Si l’aurore :

Myriam D’Arcy

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Myriam D'Arcy Crédit André Chevrier
Myriam D’Arcy
Crédit André Chevrier

Un Québécois et une juive hassidique : un amour possible?

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Entretien avec Maxime Giroux autour du film Félix et Meira[1]

Source: Métafilms. Crédit: Julie Landreville
Source: Métafilms. Crédit: Julie Landreville

Quelques jours après la sortie du film Félix et Meira, je me suis entretenue avec son réalisateur Maxime Giroux pour discuter de son dernier opus, mais aussi des sujets délicats qu’il aborde avec intelligence, délicatesse mais sans complaisance.

Le film raconte l’improbable histoire d’amour entre deux êtres que tout sépare : Meira (Hadas Yaron), jeune mère et épouse juive ultra-orthodoxe qui se sent prisonnière d’un destin qu’elle refuse, et Félix (Martin Dubreuil), Québécois bohème en rupture avec sa famille et son milieu bourgeois où il ne se reconnaît pas. Les deux se croisent au hasard sur les trottoirs du Mile-End et dans les cafés d’Outremont. Tranquillement, l’un apportera réconfort et un peu de sens à la vie de l’autre qui en a bien besoin.

Pour une trop rare fois au cinéma, l’histoire est campée au cœur de l’hermétique communauté juive hassidique de Montréal. Avec érudition, objectivité et humilité, Giroux nous propose une incursion dans le quotidien des membres de cette communauté dont la vie est encadrée par des règles qui peuvent sembler étouffantes. Ainsi, le thème de la liberté traverse l’œuvre et lui confère une dimension universelle. Elle force la réflexion autour de celle dont jouissent ou non les femmes, celle que nous offre parfois jusqu’au vertige la société occidentale et à l’inverse, celle qu’on encadre soigneusement dans certaines communautés religieuses. Ce thème confère à l’œuvre une dimension universelle.

Lauréat du meilleur film au dernier Festival international du film de Toronto (TIFF) qui s’est tenu en septembre dernier, le film de Maxime Giroux est arrivé sur nos écrans quelques semaines après l’attentat perpétré chez Charlie Hebdo, relançant de plus belle les débats entourant la laïcité, la liberté d’expression, l’intégrisme religieux et l’intégration des nouveaux arrivants. Ce film constitue une véritable bouffée d’air frais dans un espace public où l’on pratique de plus en plus la complaisance et l’autocensure, par peur de déplaire ou choquer. C’est donc naturellement autour de ces questions délicates mais néanmoins fondamentales que s’est déroulé mon entretien avec Maxime Giroux, un artiste brillant et articulé.

MDA : Votre film arrive à point nommé alors que le débat sur l’intégration des immigrants a repris de plus belle. Dans ce contexte, avez-vous eu peur qu’il soit mal reçu?

M.G. : L’an dernier, nous avons tourné le film en plein débat sur la charte des valeurs (québécoises). Je n’étais pas nécessairement en faveur de cette charte-là mais je suis d’avis qu’il faut mener cette réflexion collective sur la laïcité et l’intégration des nouveaux arrivants. À tort, beaucoup de gens ont dénoncé ce projet de charte et alléguaient que tout va bien et qu’il ne fallait pas ouvrir ce débat. Au contraire, c’était nécessaire de le faire car si on n’aborde pas ces questions-là maintenant, on devra faire face à des défis de taille dans 20, 30 ou 40 ans.

Aussi, je remarque que dès que les Québécois francophones abordent des questions liées à l’immigration, ils sont souvent perçus comme racistes. En réalisant Félix et Meira, j’avais peur de la réception du film au sein de la communauté juive, tant chez les ultra-orthodoxes que les autres. Partout à travers le monde, notamment aux États-Unis et en France, il a été bien reçu. Les deux seules fois où les entrevues se sont moins bien déroulées, c’étaient à Toronto. J’ai senti que le fait que je sois Québécois francophone et avais osé faire un film sur les Juifs posait problème. Portant, c’est en creusant des questions comme je le fais dans mon film que des préjugés en viennent à tomber et ainsi, favoriser les rapprochements entre les communautés. Les préjugés se forgent quand on ne connaît pas l’Autre.

MDA : Quelle a été la genèse du film? Pourquoi avoir voulu raconter une histoire qui se déroule dans la communauté hassidique?

M.G. : Le sujet se trouvait sous nos yeux à Alexandre Laferrière (co-scénariste) et moi. Tous les deux, nous habitions dans le Mile-End depuis plusieurs années et chaque jour, nous côtoyons des Juifs hassidiques. J’étais confronté au fait que je ne pouvais pas leur parler. Notre étonnement et frustration de ne pas pouvoir communiquer avec nos voisins ont été les éléments déclencheurs du film.

Pour que l’histoire soit intéressante, nous avions besoin d’un personnage Québécois francophone qui arrive à entrer en relation avec les hassidim. L’histoire de Félix, sa démarche, c’est un peu celle que nous avons dû suivre pour nous permettre d’effectuer la recherche nécessaire à la réalisation du film. Au départ, nous avons essayé d’accéder tout aussi naïvement que notre personnage aux membres de cette communauté jusqu’à ce qu’on se rende compte que l’entreprise était beaucoup plus complexe que nous l’avions imaginé.

Maxime Giroux Crédit: Julie Landreville Source: Metafilms
Maxime Giroux
Crédit: Julie Landreville
Source: Metafilms

MDA : Avez-vous eu besoin de vous déguiser comme l’a fait Félix?

M.G. : Non! Par contre, disons qu’à certains moments, nous avons forcé les choses pour qu’elles arrivent. On s’est parfois fait gentiment mettre à la porte de synagogues, d’autres fois, on devait argumenter pour rester sur place. Heureusement, nous avons fini par rencontrer des gens prêts à nous raconter leur expérience.

MDA : Combien de temps avez-vous consacré à la recherche vous permettant de connaître suffisamment les Juifs ultra-orthodoxes, leurs codes et coutumes?

M.G. : Pendant trois ans, nous nous sommes documentés et avons rencontré des ex-membres de cette communauté provenant de Montréal et New York.

MDA : Comment avez-vous réussi à rencontrer des hassidim en rupture avec leur communauté?

M.G : C’est beaucoup plus facile de rencontrer d’anciens membres de cette communauté que ceux qui y en font toujours partie. De fil en aiguille, en discutant avec des gens, nous avons été mis sur la piste ou en contact avec certains d’entre eux. D’ailleurs, la distribution du film compte cinq anciens hassidim.

Il y a quelques jours, nous avons présenté le film à la soirée de clôture du New York Jewish Film Festival qui se déroulait au Lincoln Center. Ultimement, c’était la soirée qui me rendait le plus nerveux parce que le public était composé soit de Juifs non-pratiquants, soit des ex-membres de la communauté hassidique et j’avais peur de me faire ramasser. Ils ont adoré le film qui les a vraiment touchés. Après la projection, beaucoup de gens sont venus me dire que j’avais raconté leur histoire.

MDA : Selon vos recherches et les témoignages que vous avez recueillis, comment se passe la transition vers une vie à l’occidentale pour les gens qui choisissent de quitter la communauté hassidique?

M.G. : C’est très difficile de sortir et survivre en dehors de cette communauté. Après avoir quitté, certains membres y reviennent parce qu’ils se retrouvent complètement seuls et sans ressources. Ils ne parlent pas notre langue, ne possèdent pas de diplômes, ne sont pas arrivés à trouver un boulot et parfois même, à se loger. À New York, l’organisation Footsteps fondée par des ex-hassidim existe depuis quelques années. Elle leur vient aide en fournissant un logement, et en défrayant les coûts de leur éducation. Après avoir quitté leur milieu, ils n’ont plus de contacts avec les membres de leur famille et leurs amis. Pour eux, c’est un choix aussi difficile qui se compare à celui d’un immigrant qui décide de recommencer sa vie ailleurs en partant de zéro. Ces anciens hassidim doivent apprendre – ou réapprendre comment fonctionne la vie. Ajoutez à cela que depuis toujours, on leur a répété que notre monde était rempli de vices et que nous, les gens qui vivent à l’extérieur de leur communauté, représentons le Mal. Pour Luzer Twersky, qui joue le personnage de Shulem, le mari de Meira, depuis qu’il a quitté sa communauté, il ne voit plus ses deux enfants. Il a été sans-abri pendant un certain temps et il a encore de la difficulté à joindre les deux bouts.  

Dans le cas de Meira, cet apprentissage de la vie en dehors de son milieu la ramène à l’adolescente qu’elle n’a jamais eu le loisir d’être. À cet âge, soit autour 12-13 ans, on apprend à ces jeunes filles à être une épouse et une mère. On leur apprend à cuisiner, à tenir une maison, les mathématiques car elles devront administrer l’argent du ménage. À 18 ans, elles se marient et deviennent des mères à leur tour. Aussi, au Québec, contrairement aux garçons, elles apprennent des rudiments de français. De leur côté, dès l’âge de 13 ans, les garçons se consacrent entièrement à l’étude de la Torah.

MDA : Croyez-vous que ces ex-hassidim sont plus heureux une fois qu’ils ont quitté leur milieu?

M.G. Je pense qu’il y a autant de gens heureux que malheureux dans les communautés fermées comme les ultra-orthodoxes que dans la nôtre. Aujourd’hui, on assiste à un retour du religieux dans les sociétés occidentales parce que les religions offrent ce cadre et ces règles que nous avons abandonnés. D’ailleurs, la plupart des nouveaux convertis font du zèle dans leur pratique car ils aiment être encadrés. Il arrive souvent que ces gens n’ont pas ou plus de contacts avec leur famille. D’ailleurs, dans le cas de Félix, il avait échappé au contrôle familial et refusé de vivre selon les codes de son milieu et de la société capitaliste. Dans son cas, comme il ne poursuit pas de buts, de projets, il se retrouve complètement perdu.

MDA : Tout sépare Félix et Meira. Pourquoi tombe-t-elle amoureuse de lui?

M.G : Je ne pense pas qu’elle tombe réellement amoureuse de lui. Il s’agit d’un amour circonstanciel. Tous les deux sont perdus et se reconnaissent à travers ce que vit l’autre. Lui est un adulte ayant adopté un mode de vie adolescent et elle veut retrouver cette adolescence qui lui a échappée. Elle aime sans doute son mari mais elle rejette ce destin-là. Et Shulem souhaite qu’elle suive les règles qui régissent leur mode de vie, le seul qu’il connaisse et qui correspond à ses attentes. Lorsqu’il se rend compte qu’elle ne peut plus être heureuse, il la laisse partir.

En ce qui concerne Félix, Meira a besoin de lui et c’est la première fois que ça lui arrive. Aussi, elle représente la famille, l’engagement même si à la fin, il n’est plus certain d’avoir pris la décision et se demande dans quel bateau il s’est embarqué. À la toute fin du film, les doutes que tous les deux laissent paraître sont tous à fait normaux dans les circonstances. Meira pense avoir pris la bonne décision. Elle sait que ce qui l’attend sera difficile, d’autant plus que sa petite fille ne pourra plus voir son père. Peut-être, comme les autres juifs hassidiques que j’ai rencontrés, un jour sur deux, elle regrettera sa décision.

MDA : Où pourra-t-on voir votre film ailleurs qu’au Québec?

M.G : Depuis le 4 février, il est présenté en salles en France et en Suisse, Par la suite, ce printemps il sera disponible en Belgique, puis aux États-Unis.

La semaine dernière, La Presse nous apprenait que de nombreuses salles ont été ajoutées un peu partout au Québec à celles où était déjà projeté le film. Pour consulter l’horaire de projection dans la grande région de Montréal, suivez ce lien.

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Le 1er février dernier, dans sa passionnante émission Tout un cinéma, diffusée sur les ondes d’Ici Musique, Rémy Girard a consacré cette édition à la bande sonore de Félix et Meira, de même qu’à la musique juive entendue au cinéma.

[1] Avertissement : certains éléments de l’intrigue du film sont dévoilés à la fin de ce texte.

Myriam D’Arcy

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La tarte au sucre de Fred Pellerin

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Crédit : Laurence Labat
Crédit : Laurence Labat

La semaine dernière, Fred Pellerin nous offrait Plus tard qu’on pense, son troisième disque solo, réalisé par son ami et complice Jeannot Bournival. Il s’agit de son meilleur album à ce jour, un petit bijou qui s’apprécie davantage à chaque écoute. Les arrangements dépouillés, les cordes et le son acoustique des guitares servent très bien les textes poétiques d’une grande beauté qui vont droit au cœur. À peine une semaine après sa sortie, le disque s’est écoulé à près de 20 000 exemplaires, empêchant ainsi One direction, le boys band américain de trôner au sommet du palmarès comme partout dans le monde.

En plus de signer trois chansons, Pellerin a sollicité la collaboration d’auteurs de grand talent : René-Richard Cyr qui avait offert la très belle pièce Il faut que tu saches sur son album précédent, David Portelance (Tenir debout) et Léon Bigras. Trois très belles reprises s’ajoutent aux compositions originales, soit Le grand cerf-volant de Gilles Vigneault, Cajuns de l’an 2000 de Stephen Faulkner et J’espère de pas tomber en amour avec toi de Tom Waits, traduite par David Portelance. À travers les douze pièces offertes, Pellerin aborde des thèmes qui lui sont chers : le temps qui passe, la famille, la nécessaire transmission, la solidarité, à travers lesquels il invite à prendre son destin en main, collectif et personnel.

FredPellerin_cover_PlustardquonpenseSa carrière d’auteur-compositeur-interprète, Fred Pellerin la mène en toute humilité, et même, à contre-courant dans un contexte où l’industrie du disque est secouée par de sérieuses turbulences. Les ventes de ses deux derniers albums réunis totalisent plus de 240 000 exemplaires sans avoir été accompagnés de spectacles et sans que ses chansons ne tournent à la radio. Il s’agit d’un véritable exploit qui témoigne du lien unique et privilégié qu’il a su tisser avec le public québécois, qui ne se dément pas au fil des années et des projets.

Il y a quelques jours, j’ai eu la chance de m’entretenir avec Fred Pellerin pour discuter de ce nouvel opus, mais aussi du rapport qu’entretiennent les Québécois avec leur histoire et leur culture.

MDA : Comment s’est déroulée la gestation de ce disque?

F.P. : Jeannot Bournival et moi, on s’est donné beaucoup de temps, soit un peu plus d’un an et demi. Comme nous l’avions fait pour Silence, tranquillement pas vite, je vais chez lui pendant deux heures et on ne fait rien. La semaine d’après, – je ne suis pas supposé y aller – et finalement, on fait deux tounes. On a fait ce disque sur un rythme ralenti, comme un long mijoté.

MDA : Comment choisis-tu tes collaborateurs?

F.P. : Ça vient au gré de l’amour des chansons que je reçois. Par exemple, quand j’ai dit à René-Richard Cyr que je travaillais à un album, il m’a répondu avoir des textes pour moi qui traînaient dans son ordinateur. C’est à ce moment que la chanson Plus tard qu’on pense a vu le jour. Nous avions presque terminé l’album quand il en a eu une nouvelle idée. Il m’a envoyé trois couplets de ce qui allait devenir la chanson De fils en pères. J’ai zigoné dedans avec ma mandoline et nous avons peaufiné le texte. 

MDA : Ces nouvelles chansons sont plus graves que les précédentes. Quel message veux-tu transmettre à ceux qui écouteront cet album?

F.P.: Même si ce n’était pas volontaire il y a quand même une gravité dans les chansons, une certaine urgence de vivre parce que j’ai conscience du temps qui passe. Les textes invitent à prendre les choses quand elles passent, de faire de notre mieux, de se tenir droit et de pousser fort. C’est ce que je veux qu’on retienne de ces chansons.

Aussi, je ne m’en étais pas rendu compte avant de donner des entrevues, mais la figure du père, la paternité reviennent à quelques reprises. Bien sûr De fils en pères, mais aussi, Les couleurs de ton départ. C’est une chanson d’amour, mais c’est également celle que je chanterais à mon fils. Et Ovide où je raconte quand mon père m’amenait voir ses poules. Un jour, ça été mon tour d’amener mon fils voir les poules d’Ovide.

MDA.: Je constate qu’une inquiétude semble te tarauder et traverse ton œuvre, celle de la fragilité de notre existence collective, de notre survivance qui n’est jamais assurée dans le temps. Pensons à Mommy, Tenir debout et sur ce disque, Plus tard qu’on pense, Cajuns de l’an 2000, Gens du vieux rêve. Penses-tu qu’il soit désormais trop tard pour les Québécois, que nous sommes les nouveaux Cajuns de l’an 2000?

F.P : Non! Même si je pense qu’il est plus tard qu’on pense, il n’est pas trop tard! C’est urgent plus que jamais. Heureusement, on s’en rend compte. On a repris la rue, on manifeste, on sort, on signe, on crie et c’est nécessaire. C’est nécessaire parce que si on lâche, notre sort peut se régler très rapidement. On sera gobé par le grand poisson. Pour agir, n’attendons pas de se retrouver dans le ventre de la baleine…

MDA : Après toutes les défaites que nous avons essuyées, je me surprends parfois à penser que l’indépendance ne se réalisera peut-être pas. Par contre, c’est peut-être grâce au rêve du pays que nous nous interdisons de baisser les bras. Qu’en penses-tu?

F.P : Oui, ce rêve-là nous garde en vie parce qu’on continue de marcher. Peut-être que le projet d’indépendance et de pays sont à rénover. On arrive à un moment où on doit plus exister par « oui » que par « non ». La québécitude existe beaucoup en voulant se définir par opposition à l’Autre. On l’a vu avec la Commission Bouchard-Taylor, puis la Charte des valeurs. On nous a demandé de dire ce dont on ne voulait pas, ce qui n’était pas nous. Mais qu’est-ce qu’on veut? Qu’est-ce qui est nous? Voilà ce qu’on doit chercher à définir. Par la suite, ce sera plus facile de tracer la ligne entre ce qu’on tolère ou non parce que la ligne sera claire. Notre projet, ça devrait être celui-là, de tracer les lignes plutôt que de vouloir définir ce qui passe ou non sur la ligne.

MDA : Quelle est la place de la mémoire et des traditions dans la définition de notre identité collective? 

F.P : Je suis convaincu que la culture, qui est inscrite dans le temps qui participe d’une mémoire, est nécessaire. C’est impossible de se réinventer à partir de zéro à chaque jour. À l’échelle individuelle, les gens qui souffrent d’Alzheimer, ce sont de gens qui perdent la mémoire et ce qu’on dit, c’est que ce n’est plus la personne que je connaissais. Être quelqu’un, c’est être de cette mémoire-là c’est être quelque chose qui est raccord avec ce que tu étais la seconde d’avant et ce que tu étais dix ans auparavant. La mémoire est nécessaire à la définition de l’individu et à la définition collective. Quand on rejette toutes nos traditions qu’on perçoit comme aliénantes, comme un vieux folklore gricheux, on fait sans le savoir une prétention de se réinventer alors que c’est impossible. Pour avoir une construction et des fondations solides, il faut construire à partir de ce qui existe déjà. La maison pourra ainsi être plus haute sans risquer de s’effondrer.

MDA  Les Québécois semblent de moins en moins assumer leurs traditions héritées du Canada français. À ton avis, comment l’expliquer?

FP : Peut-être y a-t-il eu dans la foulée du refus global, un bébé qui a été jeté avec l’eau du bain. Le folklore et les traditions étaient perçus comme de l’aliénation puisqu’elles correspondaient à des valeurs connotées comme étant aliénantes et folklorisantes dans le sens gricheux du terme. Le jour où on se met à cracher sur nos ceintures fléchées, ça ne donne pas le goût à grand monde à apprendre à faire des ceintures fléchées. J’ai appris à faire des ceintures fléchées et ça fait les plus beaux foulards du monde mais on ne flèche plus. Dans quelques années, il n’y aura plus personne qui flèchera et cet art-là, qui n’est pas du tout aliénant, disparaitra. Ce n’est qu’une forme de tricot, de tressage qui n’existe qu’au Québec. C’est quelque chose qui nous appartient en propre et moi je ne suis pas un grand puriste de la ceinture fléchée mais je pense qu’on peut créer des supers belles affaires en récupérant ce savoir-là pour aller là ou pour aller ailleurs si on veut. La recette de la tarte au sucre existe. Tu peux faire une tarte très funky à partir de la recette originale en ajoutant une épice pimentée ou cardamomée mais il reste que cette chose-là existe. Il faut donc apprendre ces rudiments de base de notre culture pour pouvoir les jazzer, les pousser plus loin.

MDA : Est-ce la même chose ailleurs dans le monde?

F.P : Je remarque que souvent, ailleurs, le folklore est célébré et valorisé. En Irlande, la musique traditionnelle est enseignée à l’université tandis que nous, on la sort au jour de l’An et on se dépêche de la ranger immédiatement après parce qu’on en a honte. On ne devrait pas avoir cette attitude-là envers notre musique et nos traditions. Pourtant, il y a tellement-là de matière pour en faire du beau. La racine n’empêche pas l’arbre de monter. Si on coupe les racines en pensant que ça retient l’arbre de pousser, il va mourir.

MDA : Tu donnes de plus en plus de spectacles en Europe. Alors qu’ils ne partagent pas tes références, comment expliquer cet engouement de plus en plus grand pour tes contes de la part des Français et des Belges?

F.P. Ce qui les étonne beaucoup, c’est la liberté que je me donne sur scène, en travaillant sans texte. Ils aiment aussi le délire que je me permets en démanchant la langue. Ils se rendent bien compte que ma langue n’est pas nécessairement celle que les Québécois parlent. Ça devient une autre langue même si je prends pour point de départ un code qu’on a en commun qui est un Grévisse ou une Bescherelle.   

Mes textes et mes références sont très québécoises et même si je ne le rappelle pas à leurs racines, ils y trouvent quand même leur dose de plaisir poétique. C’est étonnant! Comme je fais beaucoup référence à Saint-Élie-de-Caxton, mes contes pourraient n’intéresser que les gens de mon village. Au début, c’est ce que je pensais mais rapidement,  on m’a invité à Saint-Paulin et Saint-Barnabé, ensuite Trois-Rivières, et puis à Joliette. Je me promène maintenant en Suisse, en France, en Belgique. Je fais un tiers de mes spectacles à l’extérieur du Québec. Dans le regard des Français, on peut rapidement jouer les clichés et comme ils aiment ça, ça peut être tentant d’aller jouer dans ce registre-là.  Je ne vais pas dans cette zone là et ils trouvent y quand même leur compte. On me prend d’égal à égal et ça me touche.

MDA : Quels sont tes projets pour les prochains mois?

F.P. : D’ici à l’automne prochain, je vais poursuivre la tournée du spectacle De peigne et de misère. Par la suite, en décembre 2015, on offrira un nouveau spectacle de contes et musique symphonique avec l’OSM. Je travaille aussi avec Francis Leclerc à l’adaptation pour le cinéma du roman Pieds nus dans l’aube de Félix Leclerc.

 

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Là où très peu d’artistes réussissent, Fred Pellerin fédère autour de sa personne et de son œuvre les Québécois peu importe leur âge, leur provenance et leur classe sociale. Vieille souche ou nouvelle branche, jeune épinette ou vieux chêne, l’amour du public lui est acquis. En plus de nous réconcilier avec un passé que nous avons souvent voulu oublier, il nous rend fiers. Fiers de ce que nous sommes, fiers de ce que nous avons à offrir au monde. À travers son regard, tout devient plus beau et plus grand. Il est à la fois ambassadeur et producteur de culture et l’incarne comme personne d’autre.

C’est donc avec bonheur que nous accueillons son nouveau disque. Pour de plus amples informations sur les activités et la tournée de spectacles de Fred Pellerin, consultez son site à www.fredpellerin.com.

Myriam D’Arcy

Myriam D'Arcy Crédit André Chevrier
Myriam D’Arcy
Crédit André Chevrier